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Compléments du livre :
Le paradoxe du sapiens

 

Le paradoxe du sapiens

Êtres technologiques et catastrophes annoncées

 

Éditions Jean Paul Bayol - sortie mars 2010

 

Annexe II. Etude des vestiges

Nous avons appelé anthropotechnique l’ensemble des processus évolutifs complexes ayant permis vers -7 à -5 millions d'années avant notre ère l'apparition d'un certain nombre d'espèces d'hominiens se distinguant des primates de l'époque par l’utilisation de plus en plus systématique d’outils et de langages. Les préhistoriens retrouvent de plus en plus de vestiges matériels de ces transformations. Parallèlement, les généticiens et anthropologues évolutionnaires réussissent à reconstruire les mutations adaptatives de leurs génomes et les transformations morphologiques et comportementales qui en découlèrent(1).

S'agissait-il d'espèces isolées les unes des autres caractérisées par l'impossibilité d'union fécondes entre leurs membres ou de sous-espèces ou races à l'intérieur d'une même espèce ? Nous avons indiqué que pour nous la question n’a pas grand intérêt, d’autant plus qu’elle peut susciter des débats non scientifiques, politique, voire religieux. D’autant plus que l'étude des ADN résiduels ne donne pas de résultats précis. Quant aux autres vestiges, ils ne sont pas signifiants à cet égard. On considère généralement cependant qu'il s'agissait d'espèces différentes ayant divergé en formes buissonnantes, sur de très longues durées (plusieurs millions d'années), intéressant de très petits effectifs d'individus répartis sur des territoires immenses. Toutes ces espèces n'étaient sans doute pas condamnées à disparaître. Reste que, pour des raisons encore inconnues, aucune n'a survécu, hors celles ayant abouti aux prédécesseurs de l'homo sapiens.

Le tronc principal de cette évolution a été associé aux australopithèques présents en Afrique dès - 4 millions d'années et ayant vécu jusqu'à -2,5 millions d'années. Les premiers outils de pierre, dits de l'Olduvien, datés de -2 millions d'années, ont été attribués à un hominien dit homo habilis, mais sans doute avaient-ils aussi été utilisés par des australopithèques récents. On peut voir là les origines de l’anthropotechnique. Certains de ces premiers hominiens ont quitté l'Afrique et ont migré en Europe et en Asie. Ils ont reçu divers noms, homo erectus en Asie, homo ergaster et homo heidelbergensis en Europe. Tous avaient acquis l'usage des outils de pierre du type dit coup de poing ou biface, puis l'usage du feu. Du tronc commun s'est séparée vers -1 à -0,5 million d'années l'espèce des néanderthaliens, contemporaine des premiers homo sapiens. Elle ne s'est éteinte qu'à une date récente. Ils sont associés avec l'industrie lithique dite Moustérienne. On pense par ailleurs que les homo erectus d'Asie auraient pu survivre jusqu'à une date encore plus proche de notre époque, dont la forme dite de l'homme de Flores en Indonésie serait un vestige.

On identifie les premiers homo sapiens à leurs caractères génétiques, morphologiques et à leurs outils, dits Aurignaciens ou de Cro-Magnon, outils très présents en Afrique du nord, Moyen-Orient et Europe à partir de -40 000 ans. Il est probable que de véritables sapiens, très proches de nous sinon semblables sur le plan corporel, se soient individualisés bien auparavant, entre - 60 000 années, voire -80 000, sinon plus tôt, comme indiqué ci-dessous. Signalons que le terme généralement employé d'homo sapiens sapiens pour distinguer les hommes modernes de leurs cousins homo neandertalensis, dénommés homo sapiens neandertalensis, paraît tombé en désuétude. Ce dernier a été jugé trop éloigné de l'homo sapiens pour être qualifié lui-même de sapiens, ceci malgré ses capacités cognitives incontestables. Pour simplifier, nous conserverons ici le terme d’homo sapiens pour désigner l’homme moderne, dont nous sommes les représentants.

Les conditions selon lesquelles s'est opérée la transition entre les homo erectus et espèces voisines et les sapiens ne sont pas clairement élucidées, ni les lieux où elle s'est produite. Peut-être s'est-elle faite en plusieurs fois, certaines branches pouvant avoir disparu par isolement. Des auteurs, comme indiqué ci-dessus, pensent avoir identifié des individus anatomiquement proches de l'homme moderne, c'est-à-dire du sapiens, en Afrique et même en Australie, vers -150 000 années.

Ajoutons que, depuis quelques années, les australopithèques présents dans l'est de l'Afrique ne sont plus considérés comme les premiers hominidés bipèdes. Un fossile découvert en Afrique de l'Ouest les a remplacés dans ce rôle. Il s'agit d'Orrorin tugenensis également surnommé Millennium Man. Il était devenu momentanément le principal prétendant au statut de premier hominidé bipède, accordé depuis 1993 à Ardipithecus ramidus (-4 à -5 Millions d'années), suivi de près par Australopithecus afarensis ou australopithèque précité. Il a cependant été évincé dans ce rôle en 2002 par Toumaï (Sahelanthropus tchadensis), âgé de -6,9 à -7,2 millions d'années.

On distingue les premiers hominiens de leurs contemporains grands singes par un certain nombre de caractéristiques physiques et comportementales. Elles ont été souvent énumérées : important développement de la capacité crânienne (coefficient d’encéphalisation ou EQ), aptitude à la station debout et à la marche bipède, développement de la main comme instrument multifonctions, transformations du pelvis et du port de tête liées sans doute à la station debout, transformations de l'appareil audio-phonateur avec rôle particulier de l’os hyoïde, etc. Toutes ces transformations ont précédé l’usage des outils lithiques et celui (supposé) des échanges symboliques de type langagier. Concernant la station debout, on sait que les grands singes la pratiquent occasionnellement, y compris en se déplaçant sur des branches d'arbres. D'autres animaux le font aussi. Mais chez les hominiens il s'agissait d'un mode de déplacement par défaut, si l'on peut dire, autrement dit devenu standard et ayant entraîné de nombreuses autres conséquences corporelles et culturelles(2).

Les données de la paléoanthropologie(3)

Rappelons d’abord ce que l’on croit savoir aujourd’hui de l’évolution des outils. Aux origines, des espaces de temps extraordinairement longs ont séparé l’apparition des premiers outils indiscutables, dits outils de phase 1 (galets grossièrement taillés ou éclats) et les transformations et perfectionnements de toutes sortes apparus ensuite. Le premier outil identifié serait un nucléus de quartzite avec des traces de taille, mis à jour en Chine près du village de Dongyaositou. Il serait âgé de 3 millions d’années, ce qui en ferait le spécimen le plus ancien connu. On ne mentionne pas dans ce calendrier les simples galets utilisés comme percuteurs pour briser des noix ou des os, dont l’usage est sans doute beaucoup plus ancien, mais qui sont difficiles à identifier en tant que tels. Les primates en font aussi usage occasionnellement. Les outils indiscutables (pierres aménagées, coups de poing dits bifaces, lames tranchantes) sont évidents à partir de -2,5 MA. Ils sont associés aux populations d’Homo dits habilis et erectus, lesquelles ont coexisté pendant 500 000 ans sans se mélanger. On rapproche de ceux-ci les Paranthropes (robustus et boisei) d’Afrique du Sud et d’Afrique de l’Est, datés de 2 à 1 MA, voire davantage pour le Paranthropus ethiopicus (2,5 MA). Ces diverses espèces sont plus voisines des Homo que des Australopithèques.

Le tableau suivant permet de classer les types d’outils et leurs dates d’apparition. Il est tiré d’un article de Olivier Keller Quelques données pour une préhistoire de la géométrie.

* Paléolithique archaïque. (-2,5 à -1,5 MA) Homo habilis (volume cérébral 500 à 800 cc). Afrique. Industrie oldowayenne. Galets taillés : choppers et chopping tools.

* Paléolithique inférieur. (-1,5 à -0,2 MA) Homo erectus (750 à 1250 cc) Afrique, Asie, Europe. Industrie acheuléenne. Bifaces.

* Paléolithique moyen. (-20 0000 à -40 000) Homo sapiens archaïque, homo sapiens neandertalis (1200 à 1700 cc). Industrie moustérienne Eclats et lames.

* Paléolithique supérieur. (-40.000 à -9000) Homo sapiens-sapiens Industrie laminaire. Lames retouchées.

* Epipaléolithique africain (à partir de -15 000), Mésolithique européen (-9000 à -5000) Microlithes (petites lames et pointes) géométriques.

Grâce aux outils de pierre, d’os et de bois (non conservés) ainsi qu’aux « pyrotechniques » associées au feu (d’usage beaucoup plus ancien qu’il n’était supposé il y a quelques décennies), les diverses espèces d’Homo ont pu, très vite après leur apparition, quitter le berceau africain d’origine et s’étendre, par vagues de peuplement successives ou croisées, à l’Afrique entière, puis à l’Europe, à l’Eurasie, à l’Indonésie et même à l’Australie. Les hommes modernes, dits homo sapiens (sapiens néanderthalensis et sapiens sapiens) identifiés vers -200 000 ans, ont alors hérité de techniques très sophistiquées qui leur ont permis de s’imposer progressivement à toutes les espèces dont ils partageaient le biotope.

Notons que les paléoanthropologues, dans leur majorité, considèrent que les nombreuses espèces rattachées au genre australopithèques, ayant vécu dans toute l’Afrique et au-delà entre -4 et -1,5 millions d’années, n’ont pas utilisé d’outils de façon systématique, en les transformant comme le faisaient dès l’origine les Homo, habilis et erectus. Ils le faisaient sans doute occasionnellement, à l’instar des grands singes, pour casser des noix ou éloigner des prédateurs. Ils avaient les capacités manuelles pour fabriquer des outils, mais sans doute n’avaient-ils pas développé les capacités cognitives nécessaires. Les australopithèques ne sont généralement plus considérés aujourd’hui comme les prédécesseurs des espèces d’Homo leur ayant succédé. Il semble qu’ils se soient enfermés progressivement dans des niches sans débouchés, après cependant s’être répandus dans toute l’Afrique pendant 2 MA (un bel exploit), tandis que les Homo apparaissaient et se généralisaient. Australopithecus africanus a vécu en Afrique du Sud jusqu’à au moins -2,2 millions d’années, tandis que le plus ancien reste d’Homo, dit Homo habilis, est daté de -2, 4 millions d’années. Il est possible que ce dernier ait évolué à partir d’une autre espèce, par exemple Kenyanthropus platyops, dont on ignore tout des aptitudes cognitives.

Avant les australopithèques, de -7 MA à -5 MA, trois espèces d’hominidés sont aujourd’hui connues. Elles ont été classées par leurs découvreurs dans des genres différents. : Orrorin Tugenensis, (-5,8 à -5 MA), Kenya - Ardiphithecus Kadabba (-5,8 à -5,2 MA) Kenya - Sahelanthropus Tchadensis (Toumaï, -7 MA), Tchad. Il s’agissait sans doute déjà de bipèdes plus ou moins systématiques. Aucun outil n’a été retrouvé sur les sites où ils ont été découverts. Mais le contraire aurait été très surprenant, vu la rareté des vestiges.

Notons par ailleurs que de grands efforts sont faits actuellement pour rapprocher les restes d’hominidés de ceux de grands singes archaïques, par exemple le Proconsul (Myocène inférieur, -20 MA) ou le Pierolapithecus (Myocène moyen, -20 -15 MA). Ceux-ci ne pratiquaient pas la bipédie mais seulement, pour certains d’entre eux, le « grimper vertical ». Si l’on en croit les analyses génétiques, les Homo ont divergé d’avec les ancêtres des chimpanzés vers -6,6 millions d’années, eux-mêmes d’avec les gorilles vers -8,6 MA. Ces divers primates, dits hominoïdes, se sont séparés des cercopithécoïdes (babouins, macaques, vervets) que nous allons retrouver ci-dessous, vers -38 millions d’années. Avec les céboïdes (singe écureuil, marmoset), les hominoïdes et cercopithécoïdes forment le genre des anthropoïdes, lequel lui-même, avec les Strepsirrhinines que l’on retrouve en particulier à Madagascar, et dont ils se sont séparés à la fin du crétacé, vers -77 millions d’années, constituent l’ordre des Primates. Rappelons qu’environ à cette époque s’éteignaient les derniers grands dinosaures.

1. On tend à dire que les individus représentant les nouvelles espèces étaient très peu nombreux. C’était sans doute vrai. Mais il faut relativiser. On considère aujourd’hui qu’une espèce n’est capable de survivre que si elle est représentée par quelques centaines d’individus au moins. Autrement dit, une espèce dont les effectifs sont de 300 et dont les individus ont une espérance de vie de 30 ans doit se renouveler tous les ans au rythme minimum de 10 par an, soit 1000 sur un siècle, 10 000 sur un millénaire et 10 000 000 sur un million d’années. La rareté des vestiges retrouvés ne veut pas dire qu’il ne s’agissait pas de populations importantes, par rapport à celles d’autres espèces de primates peuplant les forêts et savanes africaines à ces époques.
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2. L’ouvrage récent du préhistorien Jean-Jacques Hublin Quand d'autres hommes peuplaient la Terre, Nouveaux regards sur nos origines, Flammarion 2008, fait le point des connaissances actuelles concernant l’évolution des hominidés. Voir : http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2008/dec/hublin.htm

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3. Deux livres déjà cités, publiés au début de 2008, éclairent d'une lumière croisée la question des origines et de la supposée spécificité de l'espèce humaine. Leurs auteurs sont tous deux éminents dans leurs disciplines. Il s'agit d'une part de Prehistory, Making of the Human Mind, Weidenfeld and Nicholson 2007, du préhistorien britannique Colin Renfrew et, d'autre part de Human, the Science behind what makes us unique, Harper Collins 2008, du psychologue évolutionnaire et neuroscientifique américain Michaël S. Gazzaniga.
Les deux auteurs ne semblent pas s'être concertés. Ils ne se réfèrent même pas l'un à l'autre. L'ouvrage de Michaël S. Gazzaniga est beaucoup plus touffu que celui de son collègue, mais l'un et l'autre sont également riches en contenus informatifs et surtout en thèmes et références pour plus amples réflexions. Ils éclairent de beaucoup de précisions intéressantes les questions examinées dans cet essai.
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