![]() |
||
�
|
||||
�L'Europe et le vide de puissanceEssais sur le gouvernement de l'Europe au si�cle des Super-�tats �ditions Jean Paul Bayol - sortie mai 2008 |
||||
Annexe 11.Puissance g�opolitique, science et hyperscience� Les historiens consid�rent g�n�ralement que l’avenir d’une collectivit� humaine s’inscrit en partie dans le prolongement de ses h�ritages culturels. Nous avons pr�sent� sommairement les valeurs dont la synth�se selon nous distingue l’Europe du reste du monde. Ces valeurs ne l’opposent pas syst�matiquement aux autres peuples, mais lui permettent cependant de ne pas se laisser entra�ner par le courant g�n�ral de l’�volution en perdant le sens de son identit� profonde. Au-del� de ces valeurs, les repr�sentants des religions voudraient que l’Europe inscrive celles de son h�ritage religieux. Sans nier celui-ci, nous le mettons au m�me plan que l’h�ritage des Lumi�res et du rationalisme, dont l’Europe a �t� et demeure le principal berceau. Mais il nous semble qu’il existe un h�ritage, s’inscrivant d’ailleurs dans la ligne du rationalisme, qui est plus imm�diatement susceptible d’influer sur les comportements collectifs et individuels des Europ�ens. Nous pensons � l’h�ritage scientifique par lequel tous les Europ�ens d’aujourd’hui ont �t� model�s. C’est l’Europe, notre patrie commune, qui, ayant pris le relais du monde arabe et asiatique au 15e si�cle, a soutenu l’immense d�veloppement des connaissances scientifiques dont le monde moderne est issu. Certes, elle a laiss� d’autres peuples, issus d’ailleurs en partie d’elle, prendre la t�te de ce mouvement, dans le domaine des applications, mais aussi dans celui des recherches fondamentales. Elle en a parfois aussi - plus rarement qu’on ne le dit - d�voy� certains usages�(1). Mais l’h�ritage demeure et ne doit pas �tre laiss� � l’abandon. Une partie de ce livre constitue un plaidoyer pour que les Europ�ens comprennent mieux les cons�quences n�fastes du retard qu’ils ont pris dans les sciences et y rem�dient, alors qu’il est encore temps. Nous pensons que, m�me en tenant compte du fait qu’ils ne sont plus les seuls � pouvoir diriger le d�veloppement des sciences et des technologies, les Europ�ens sont toujours aujourd’hui les mieux � m�me d’exprimer les valeurs profondes, humanistes et philosophiques, qui sous-tendent la d�marche de la recherche scientifique. Nous avons dit que l’Europe devait redevenir une puissance mondiale. Cela veut dire se donner des instruments �conomiques, politiques et surtout technologiques pour ce faire. Mais il s’agirait d’une puissance sans �me, si elle n’�tait pas sous-tendue par l’ambition d’augmenter le capital des connaissances construites par les Terriens dans le cours de leur �volution, sans objectif de pouvoir et de profit imm�diat. Le destin profond de l’Europe dans les prochaines d�cennies devrait �tre l�. Les Europ�ens devraient faire plus. En s’inspirant
de l’esprit qui anime sans qu’ils s’en rendent toujours
compte leurs universit�s et leurs laboratoires, ils devraient,
plut�t que nourrir un id�al simplement scientifique, s’attacher
� d�velopper un id�al que nous pourrions qualifier
d’hyperscientifique. Autrement dit, l’Europe devrait se donner
la mission de servir, non seulement la science telle que nous la connaissons,
mais une hyperscience encore � venir. L'hyperscience, dans la d�finition provisoire que nous proposons ici, comporterait les traits suivants, qui la distingueraient de la science traditionnelle : - Elle multiplierait les critiques et les nouvelles hypoth�ses, sans se laisser embarrasser par des consid�rations de convenance. Ainsi serait remis � l'ordre du jour le concept d'anarchisme m�thodologique lanc� par le regrett� et aujourd'hui presqu’oubli� Paul Feyerabend (2). Plus g�n�ralement, elle exprimerait une volont� jamais d�courag�e de Mouvement, au sens o� l’on opposait dans l’histoire politique fran�aise le parti de l’Ordre et le parti du Mouvement. Le parti de l’Ordre �tait cens� regrouper les Conservateurs, tandis que le parti du Mouvement incarnait, sans doute abusivement (3), les divers mouvements et oppositions de gauche. L’hyperscience ainsi d�finie ne se satisferait jamais d’aucun r�sultat, mais chercherait en permanence � aller au-del�, quitte � remettre en cause continuellement et radicalement ses propres r�sultats. Elle incarnerait, autrement dit, la Recherche consid�r�e comme une sorte d’�tat permanent - ou de coup d’Etat permanent (4). - Elle serait radicalement transdisciplinaire. Non seulement elle naviguerait hardiment d'une sp�cialisation � l'autre au sein d'une discipline donn�e, mais aussi d'une discipline � l'autre, et ceci d’abord si tout para�t s�parer ces disciplines. Pour l'aider, il faudrait multiplier les outils et les r�seaux permettant le rapprochement des connaissances et des hypoth�ses - Elle redonnerait toute sa noblesse � l’instrumentation, sans jamais cependant s’engluer dans les images convenues du monde que tel instrument, utilis� de fa�on r�ductrice, peut entra�ner avec lui. Elle pousserait donc � l’invention et � la mise en service d'�quipements lourds ou l�gers destin�s non seulement � tester les hypoth�ses d�j� formul�es mais � faire na�tre ce que Michel Cass� appelle dans un de ses articles des nuages d'incompr�hension, indispensables � l'avancement de la recherche (5). - Elle n'h�siterait pas, en fonction du d�veloppement des syst�mes �volu�s d'intelligence artificielle et de simulation du vivant, � faire appel � leurs agents intelligents pour relancer l'esprit inventif des scientifiques humains et aussi pour collecter les fruits d’une biologie artificielle et d'un raisonnement non-humain qui pourraient agir en interaction avec les humains et les biosyst�mes actuels. - Sur le plan �pist�mologique, elle renoncerait au pr�jug� selon lequel la science doit unifier et rendre coh�rents tous les paysages auxquels elle s'adresse. Le m�me individu pourrait se donner du monde des repr�sentations diff�rentes, selon qu'il d�crirait les horizons de la physique th�orique, de la vie, des neurosciences, des syst�mes dits artificiels ou, plus imm�diatement, de l'art, de la philosophie et de la morale. Le pr�jug� selon lequel le monde est un et doit �tre d�crit d'une fa�on unique est sans doute un h�ritage du cerveau de nos anc�tres animaux, pour qui construire cette unit� �tait indispensable � la survie dans la jungle. Elle a �t� reprise par les religions monoth�istes, dont les pr�tres se sont �videmment r�serv�s la repr�sentation du Dieu cens� incarner cette unit�. Le � r�alisme � qui inspire encore la plupart des sciences constitue une survivance ali�nante de ce pr�jug�. Selon le r�alisme, il existe un r�el en soi, existant en dehors des hommes, dont les scientifiques, gr�ce � la science exp�rimentale d�ductive, pourraient donner des descriptions de plus en plus approch�es. L'hyperscience, tout au contraire, postulerait une sorte de constructivisme, th�se selon laquelle la science construit l'objet de son �tude, c'est-�-dire le r�el relatif � l’observateur-acteur, le seul qui puisse l'int�resser. Elle construit d'abord cet objet en le qualifiant comme th�me de recherche puis en v�rifiant exp�rimentalement les hypoth�ses qu'elle formule � son sujet. L'exp�rimentation a pour objet de maintenir une coh�rence entre les hypoth�ses pr�c�demment v�rifi�es et les nouvelles, sans pour autant s'interdire une remise en question (ou plut�t une extension) des premi�res. Elle est n�cessairement et fondamentalement empirique: cela marche ou ne marche pas. Si elle cherche � regrouper et unifier les causes et leurs expressions sous forme de lois, c'est sans pr�tendre rechercher - et encore moins pr�tendre avoir trouv� - une cause premi�re d�finitive (une loi fondamentale). Pr�cisons cependant que si l'hyperscience ne devait pas chercher � imposer une vision totalitaire du monde, elle devrait cependant, pour son propre compte, s'affirmer holiste et totalisante. En ce sens, elle montrerait, face � tous les �sot�rismes, les mythologies, les illusionnismes et les fondamentalismes religieux, qu'elle repr�sente la seule attitude rationnelle digne d'une humanit� qui voudrait relever dignement l'h�ritage du si�cle des Lumi�res. Il s'agirait en fait d'une forme de spiritualit� mat�rialiste tr�s haute car elle serait une th�orie de la contradiction sans transcendance, c'est-�-dire une th�orie de l'immanence premi�re et complexe qui sert de d�part (et d'arriv�e). - Elle se doterait enfin de portes paroles suffisamment influents pour obtenir le d�routement � son profit des milliards de milliards de dollars consacr�s au financement des guerres et aux d�penses de consommation somptuaire qui seront de plus en plus insupportables dans la perspective des grandes crises environnementales et g�opolitiques qui s'annoncent. L'hyperscience, pour ce faire devrait convaincre l'humanit� qu'elle repr�sente pour cette derni�re la seule opportunit� d'�chapper � ces crises. A d�faut d'en persuader le monde, elle devrait au moins en persuader les Europ�ens. L'hyperscience serait pour l'Europe une r�volution �conomique, politique et �pist�mologique, trois conditions indispensables � la r�solution des graves crises � venir. Si l'Europe, au lieu de construire des autoroutes et d'importer des 4/4, se couvrait d'Instituts de recherche fondamentale (dit en anglais Blue Sky Research) elle offrirait au monde un autre visage. Sur un plan plus philosophique, nous voudrions pr�ciser
que ce concept d'hyperscience ne devrait pas �tre compris comme
l'apologie d'un r�ductionnisme niant toutes les autres dimensions
des humains. La deuxi�me �dition d'un symposium nomm�
“Beyond Belief” , tenue � La Jolla, Californie, en
octobre 2007, r�unissait des scientifiques �minents, pour
la plupart mat�rialistes. Ils se sont mis d'accord sur le fait
que la science au sens strict devait tenir compte du fait que les humains
ont �volu� pour l'essentiel en se r�f�rant
� des valeurs non rationnelles: foi, religion, �motion.
On peut d'ailleurs en dire autant, sous des formes diff�rentes,
des affects pr�sents dans de nombreuses soci�t�s
animales. Nier tout ceci ne peut que cr�er des contre-sens. M�me
si par exemple les sectes gu�risseuses continuent � attirer
des foules, comme au Moyen-�ge, il ne sert pas � grand chose
de frapper d’anath�me leurs pratiquants. L'ath�isme
scientifique, en ce qui le concerne, doit savoir reconna�tre la
complexit�, que ce soit dans l'humain ou, � l’autre
extr�mit�, dans les entit�s cr��es
par la physique th�orique. |
�
�
�
�