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Pour un principe matérialiste fort

Compl�ments du livre
“L'Europe et le vide de puissance"

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L'Europe et le vide de puissance

Essais sur le gouvernement de l'Europe au si�cle des Super-�tats

�ditions Jean Paul Bayol - sortie mai 2008
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Annexe 9

Chapitre 6.

L’Europe est un syst�me multi-agents s’organisant autour d’un jeu de valeurs sp�cifiques

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Nous avons dans les pages pr�c�dentes sugg�r� plusieurs directions et projets qui pourraient selon nous contribuer � rendre � l’Europe la puissance et la souverainet� qu’elle est en train de perdre. Mais comment avec des orientations si diff�rentes, s’�chelonnant dans des dur�es elles-m�mes diff�rentes, conserver l’unit� d’action qui serait n�cessaire pour �viter que ne s’accroissent encore la division et le d�sordre caract�risant les comportements politiques des soci�t�s europ�ennes�? Comment de plus obtenir un minimum de consensus de la part de centaines de millions d’Europ�ens aux int�r�ts divergents, ceci d’autant plus que les programmes propos�s n�cessiteront des investissements que ces Europ�ens devront d’une fa�on ou d’une autre, financer au moins en partie par des sacrifices sur leurs consommations non prioritaires. Il faut se poser s�rieusement la question car l’organisme que nous avons constamment �voqu�, l’Europe, n’est pas en r�alit� un v�ritable organisme, dot� d’une coh�rence suffisante pour que les diff�rents rem�des que nous proposons de lui appliquer s’additionnent et coop�rent � son d�veloppement au lieu de se disperser ou se combattre.

La m�decine moderne sait qu’une personne victime d’un accident ayant produit des pathologies multiples ne doit pas �tre soumise � des traitements ind�pendants les uns des autres, s’attaquant s�par�ment � chacun des organes atteints. C’est d’abord l’organisme tout entier et son �tat g�n�ral qu’il convient de restaurer. Mais une collectivit� sociale et politique n’est g�n�ralement pas consid�r�e comme un individu, m�me si dans le langage courant on tend � la personnaliser. Comment alors obtenir d’elle qu’elle se comporte de fa�on coh�rente, afin de pouvoir r�agir comme le ferait une personne physique individuelle plac�e dans un environnement complexe : �laborer d’elle-m�me une image coh�rente, se situer face � ses alli�s et adversaires, optimiser l’emploi de ses ressources, se projeter dans le futur en �laborant des strat�gies de survie.

Aujourd’hui, la science des syst�mes complexes montre que, dans beaucoup de registres, les soci�t�s animales et humaines se comportent spontan�ment comme des organismes vivants de grande taille, g�n�ralement qualifi�s de super-organismes (1). On y met en �vidence de nombreux organes et fonctions qui sont analogues, avec quelques diff�rences de taille et de nature, � l’�quipement assurant la survie d’un organisme individuel plong� dans un milieu tr�s s�lectif : des organes sensoriels et des membres (dits effecteurs en robotique), des appareils respiratoires, digestifs, circulatoires, un syst�me immunitaire, un syst�me nerveux et finalement un cerveau g�n�rant une conscience de soi et une aptitude � la prise de d�cision dites intelligentes.

Cependant, de m�me que les individus, animaux ou humains, ne sont pas dot�s de corps et d’intelligences leur conf�rant des performances �quivalentes, de m�me toutes les soci�t�s ne constituent pas des super-organismes �galement arm�s pour la survie comp�titive. Si bien qu’au cours de l’histoire, les super-organismes sociaux ont tr�s in�galement surv�cu aux contraintes. Les uns ont disparu faute de pouvoir s’adapter, d’autres au contraire se sont fortifi�s et ont prosp�r�, au moins sur des dur�es multis�culaires.

En poursuivant cette comparaison et en reprenant les consid�rations sur la puissance pr�sent�es dans le chapitre 1, nous sommes tent�s de constater que le super-organisme europ�en se comporte aujourd’hui, dans un monde de pr�dateurs bien mieux arm�s que lui, comme une sorte de vaste ectoplasme aux organes sinon paralys�s du moins faibles et quasi inop�rants. Faute d’organes sensoriels et moteurs r�actifs, de m�tabolismes vigoureux, de syst�me immunitaire efficace, de cerveau capable de g�n�rer des repr�sentations de soi mobilisatrices et d’�laborer des strat�gies pertinentes, ce ��grand corps malade��(2) court le risque d’�tre phagocyt� sans pouvoir r�agir en temps utile. Plus grave, aux rem�des que de bons docteurs voudront lui administrer, il r�agira mal car ces rem�des se disperseront dans un organisme incapable de les rapprocher et les synth�tiser afin d’en tirer des r�vulsifs globaux.

Comment, docteur, transformer ce grand corps malade, apparemment plus vieux que son �ge, en personne fringante et comp�titive�? Dans les derni�res ann�es, les m�decins qui se sont pench�s sur la question ont sugg�r� de donner � l’Europe un squelette juridique. Autrement dit, au-del� des Trait�s successifs qui avaient permis de rassembler des �l�ments un peu h�t�roclites, l’id�e leur �tait venu de b�tir un cadre d’ensemble, � la fois squelette (o� m�me exosquelette(3)) et armure externe. Ce fut le projet de Trait� constitutionnel. Les historiens et les juristes constitutionnalistes savent que beaucoup de nations ne sont vraiment devenus des Etats qu’apr�s s’�tre dot�es d’une constitution d�finissant les diff�rents pouvoirs internes, leurs relations avec les citoyens et les modalit�s de leur fonctionnement. Mais une constitution, comme toute construction juridique, ne peut pas pr�c�der les faits, c’est-�-dire en l’esp�ce la volont� de vivre ensemble dans un certain cadre, si cette volont� n’existe pas assez explicitement. Les constitutionnels europ�ens, charg�s de r�diger le projet, en �taient bien conscients. Ils n’avaient pas os� proposer de construire un v�ritable Etat, sur le mode f�d�ral des Etats-Unis, pensant que l’affectio societatis des Europ�ens n’�tait pas suffisante pour qu’ils acceptent d’y ali�ner une part importante des comp�tences des Etats nationaux.

Nous pensons pour notre part qu’ils ont eu tort. Beaucoup de ceux qui se sont montr�s hostiles au projet de constitution l’ont �t� parce que celui-ci n’allait pas assez loin et ne permettait pas de construire une v�ritable autorit� �tatique commune, suffisamment puissante pour faire pr�valoir des int�r�ts communs � long terme face aux d�membrements impos�s par le jeu du march�. Une telle autorit�, dans leur esprit, aurait pu incarner l’int�r�t g�n�ral et la puissance publique face aux int�r�ts priv�s divergents qui, au nom du lib�ralisme et de la mondialisation, ne voulaient pas que l’Europe se construise en tant que puissance autonome. Il est vrai qu’un tel sch�ma n’aurait pas �t� compatible avec le dogme lib�ral que beaucoup des r�dacteurs du projet - principalement ceux situ�s politiquement � droite - n’entendaient pas remettre en cause. Il s’agissait donc d’une mission difficile, sinon impossible.

Le projet de constitution pr�voyait cependant un certain nombre d’organes et de r�gles qui auraient permis � l’Union Europ�enne de commencer � se comporter en f�d�ration d’Etats-Nations, selon l’expression de Jacques Delors. Les Etats nations demeuraient tr�s largement souverains. Cependant, dans des domaines essentiels tels que la diplomatie et un certain nombre d’autres comp�tences communes, l’Europe �tait dot� de repr�sentants uniques, pouvant parler d’une seule voix. L’�lection au suffrage universel d’un pr�sident europ�en �tait pr�vue. De plus, la r�gle de l’unanimit�, v�ritablement paralysante dans une Union dor�navant compos�e de 25 membres de taille, traditions et int�r�ts diff�rents �tait abrog�e dans certains domaines, les d�cisions pouvant �tre prises � la majorit� qualifi�e.

Il est vrai qu’en ce qui concernait le point, important pour beaucoup de citoyens, des pouvoirs de l’Union face aux acteurs �conomiques, la sacro-sainte loi lib�rale du march� n’�tait pas remise en cause. La constitution, notamment, n’�voquait pas la question des services publics et n’�voquait pas la perspective d’interventions r�galiennes en mati�re de grands programmes � long terme. Elle a donc donn� l’impression � ceux qui voulaient combattre la globalisation sous l’�gide am�ricaine qu’elle ouvrait grande la porte � un lib�ralisme sur lequel il aurait �t� tr�s difficile de revenir.

L� encore, ce jugement �tait sans doute faux. Le lib�ralisme est revenu en force, sous l’�gide des pr�c�dents Trait�s, qui sont encore plus empreints de lib�ralisme �conomique que ne l’�tait le projet de Trait�. Mais il n’est pas interdit, apr�s quelques mois, de penser que le chantier constitutionnel qui vient d’�tre rouvert avec l’adoption du projet de trait� simplifi� permettra aux institutions europ�ennes d’�tre � nouveau quelque peu renforc�es, � l’occasion des prochaines conf�rences intergouvernementales.

On peut craindre malheureusement que les am�liorations, dans le sens d’un pouvoir plus grand donn� � des organes repr�sentants l’Union dans sa totalit�, restent encore assez marginales. Les Etats membres ne retiendront sans doute pas l’id�e d’un gouvernement �conomique de l’Europe �voqu�e par Jean-Pierre Chev�nement et moins encore un sch�ma beaucoup plus f�d�ral, sur le mod�le propos� par le Premier ministre belge Guy Verhofstadt (4).

Quoiqu’il en soit, nous pensons que, � nouveau, mettre la charrue avant les bœufs, c’est-�-dire faire pr�c�der les faits par le droit, ne sera pas suffisant pour susciter un enthousiasme assez large de la part des nombreux citoyens qui voudraient v�ritablement faire de l’Europe une puissance capable d’influer sur l’�volution du monde globale en fonction des valeurs qu’ils souhaitent exprimer. Autrement dit, concr�tement, il faudrait engager le processus auquel pour notre part nous avons consacr� ce livre : montrer aux Europ�ens � quoi pourrait servir une Europe juridiquement renforc�e. Quels grands objectifs d�fendrait-elle, au service des Europ�ens mais aussi de l’humanit� toute enti�re�? Quels changements dans les comportements, les habitudes de consommation, les formes d’expression la d�fense de ces objectifs imposerait-elle�? Comment des gouvernements, des services publics, des administrations �conomiques pourraient-ils s’impliquer dans la cogestion de ces projets avec les citoyens (ce que nous avons ici qualifi� de retour � l’�conomie mixte ou au colbertisme)�?

Autrement dit, il ne faudrait plus tenter d’imposer aux citoyens europ�ens, par le haut, des institutions dont ils ne ressentiraient pas intuitivement le besoin. Il faudrait au contraire profiter des situations o� l’absence d’institutions europ�ennes ad�quates, face � des menaces croissantes, sera ressentie comme insupportable par les principales composantes de l’opinion europ�enne. On pourrait alors montrer comment une Europe mieux charpent�e, mieux gouvern�e, permettrait aux Europ�ens de faire face, plus efficacement que dans le d�sordre, aux dangers qui les menaceront. Tout au long de ce livre, nous avons expliqu� que ces dangers n’�taient pas imaginaires. Nous avons essay� d’expliquer aussi que des rem�des �taient � port�e, � condition de consentir un minimum de sacrifices au regard des habitudes de facilit� d�coulant d’un abandon de souverainet� g�n�ralis�. Ce sera pensons-nous dans ces perspectives qu’il faudra poursuivre la construction institutionnelle.

Section 1. Le concept de champ organisationnel europ�en

L’Europe, face � ses concurrents, dispose-t-elle d’une originalit� qui lui procurerait des avantages propres�? Si cette originalit� �tait li�e en profondeur � l’histoire et � l’organisation des soci�t�s europ�ennes, nous pourrions alors y voir une force structurelle et structurante. Qu’en est-il�?

Pour r�pondre � cette question, il faut s’interroger sur ce qui distingue l’Europe des autres pays et continents, faisant sa faiblesse actuelle mais aussi peut-�tre pouvant faire sa force de demain, � condition que les Europ�ens eux-m�mes prennent conscience de ce que pourraient �tre leurs vertus sp�cifiques dans un monde qui va changer extraordinairement vite � �ch�ance de quelques d�cennies.

La propri�t� unique de l’Europe est d’�tre constitu�e non seulement de 27 Etats tous diff�rents les uns des autres (en attendant de nouveaux membres probables) mais de plusieurs centaines d’entit�s socio-culturelles � l’int�rieur de ces Etats. Chacune de ces entit�s pr�sente ses sp�cificit�s, d�coulant d’une histoire souvent tr�s ancienne, lui permettant de devenir un p�le de d�veloppement original dont l’activit� sp�cifique b�n�ficierait � l’ensemble. On se trouve l� en pr�sence, pour parler en termes informatiques, d’un syst�me multi-agents adaptatif, un peu analogue � ce qu’est le syst�me immunitaire dans l’organisme vivant. Un syst�me immunitaire en bon �tat doit toujours pouvoir, en pr�sence d’une agression ext�rieure (un antig�ne) g�n�rer l’anticorps appropri� qui d�truira l’agresseur. Ce syst�me multi-agents pourrait aussi �tre compar� � un g�nome mutant en permanence, sur le mode al�atoire. Les mutations qui se r�v�lent aptes � faciliter l’adaptation du g�nome � des contraintes externes elles-m�mes al�atoires sont conserv�es, les autres �limin�es. Ainsi organis�, le syst�me peut � la fois r�sister aux agressions et s’adapter aux changements du milieu. Concr�tement, ceci veut dire que l’Europe, dans sa grande diversit�, devrait �tre capable de trouver une r�ponse appropri�e � n’importe quel type d’agression externe. Elle devrait �galement pouvoir g�n�rer en permanence des solutions nouvelles susceptibles de r�pondre aux nouveaux d�fis de l’environnement.

Nous avons indiqu� plus haut que le niveau de vie et le niveau culturel moyen des Europ�ens sont encore tr�s �lev�s, compar�s � ceux du reste du monde. L’avantage va certainement se r�duire au fur et � mesure de la mont�e en puissance d’autres grandes �conomies, mais il laisse des marges de manœuvre dont il faudrait profiter dans l’imm�diat. De plus, cons�quence en partie de cela, les Europ�ens sont de plus en plus connect�s � Internet et aux d�bats d’opinions � travers les grands m�dias. Beaucoup ne s’y comportent pas en simples � touristes � mais en v�ritables producteurs. Tous les journaux, journaux traditionnels ou journaux en ligne, offrent d�sormais des espaces de dialogue avec leurs lecteurs permettant de collecter toutes les r�actions, des pires aux meilleures. Les citoyens, de leur c�t�, multiplient les blogs personnels. On vient ainsi d’apprendre qu’un Fran�ais sur 3 (sinon davantage) a cr�� son blog sur Internet - ce qui aurait �t� inimaginable il y a quelques ann�es o� l’on d�plorait le retard fran�ais. Les contenus de ces blogs ne sont pas tous dignes d’un cours � la Sorbonne, mais la question n’est pas l�. L’important est qu’un Fran�ais sur 3, g�n�ralement jeune, �prouve le besoin de s’exprimer et d’ouvrir des dialogues, c’est-�-dire de rassembler tout son potentiel intellectuel pour se comporter en sujet communiquant et pensant.

In�vitablement, ces sujets s’impliqueront de plus en plus, en tant qu’acteurs, dans la soci�t� de l’information et des connaissances qui ne fait que commencer � s’installer dans le monde et en Europe.

Il faut reconna�tre que l’Europe n’est pas seule � mettre les nouveaux m�dias interactifs au service des d�bats politiques. La soci�t� am�ricaine, qui a longtemps eu une avance importante dans l’usage de l’Internet, reste encore, malgr� une surveillance polici�re accrue d�coulant du Patriot Act, un mod�le de d�mocratie num�rique. Il en est de m�me des autres pays occidentaux, Canada, Australie, Nouvelle Z�lande et, dans une certaine mesure, du Japon. Mais quand on voit les obstacles que mettent encore � la diss�mination des r�seaux les gouvernements de pays comme la Chine ou des Etats musulmans, on ne peut que se f�liciter d’�tre europ�en.

Un autre point relatif � ce ph�nom�ne d�coule de la diversit� culturelle europ�enne. Chacun des auteurs s’exprimant sur les r�seaux interactifs europ�ens utilise en g�n�ral sa langue et non en anglais pourtant consid�r� comme l’outil universel de communication sur Internet. Ceci est � la fois un inconv�nient et un avantage. Certes, il faut utiliser l’anglais pour acc�der aux documents scientifiques ou pour communiquer ais�ment, dans une sorte d’esperanto universel. Mais en revenir � sa langue maternelle est important car celle-ci plonge aux sources m�mes de la culture et de la cr�ativit�. De plus, gr�ce aux futurs outils de traduction en ligne (5) il sera de plus en plus facile de circuler d’un paysage culturel � l’autre sans passer par un anglais r�ducteur et envahi de � m�mes � am�ricanistes, c’est-�-dire d’images structurantes provenant de l’id�ologie am�ricaine actuellement dominante.

Ajoutons que, chaque pays europ�en ayant, nous l’avons indiqu�, des attaches linguistiques et culturelles avec un ou plusieurs autres pays hors d’Europe, le fait qu’un nombre de plus en plus grand de citoyens europ�ens publient dans leur langue suscite un nombre beaucoup plus �lev� de lecteurs dans le reste du monde. Ces lecteurs sont par d�finition des sympathisants sinon des alli�s potentiels.

Ceci dit, pour le moment, il ne faut pas s’illusionner sur l’int�r�t pratique de cette diversit� de points de vue. D’une part, plus les r�seaux offrent de facilit�s d’interactions, plus ils sont pirat�s par des malveillants de toutes sortes qui les d�tournent � leur profit. Mais avec quelques outils ad�quats, on peut limiter leur nuisance. C’est l’�clatement des points de vue en millions d’expressions diff�rentes qui effraie actuellement. L’opinion n’est plus une, telle que celle � qui �tait cens� s’adresser le journal t�l�vis� traditionnel de 20h. De ces millions de micro-opinions, peut-on esp�rer, m�me compte tenu des technologies les plus r�centes (6), une contribution notable � la construction de l’unit� culturelle europ�enne. Il ne s’agit pour le moment en effet que d’une juxtaposition d’isolats culturels ne pouvant pas communiquer entre eux pour �changer des contenus s�mantiques ou � sens � et moins encore pour construire des ensembles de significations qui soient � la fois nouveaux et dynamiques. Mais les technologies �voluent vite. Les moteurs de recherche fournissent actuellement les listes des sites et articles les plus consult�s dans les principales langues europ�ennes, ceci � partir de diff�rentes r�f�rences : noms d’auteurs, concepts, images. Il sera bient�t possible d’obtenir des renseignements plus fins portant sur les contenus eux-m�mes. L’utilisateur disposera ainsi de l’�quivalent de sondages d’opinion certes sommaires mais facilitant des �tudes plus pouss�es (7).

Une grande r�activit� externe et interne

Au vu de ces diverses consid�rations, on peut penser que l’ensemble des entit�s politiques et sociologiques constituant l’Union europ�enne devrait pouvoir, dans un univers de plus en plus dangereux et incertain, mieux s’adapter aux risques et changements que ne le feraient des ensembles dot�s peut-�tre de ressources plus abondantes, mais handicap�s par leur monolithisme (8). Ceci pourrait se faire, au plan d�fensif comme au plan offensif, non seulement au b�n�fice des Europ�ens seuls, mais � celui du monde global, dont l’Europe ne peut se s�parer. Nous avons �voqu� pr�c�demment la fin possible de l’Empire am�ricain. Si cette fin survenait, ce serait parce que, enferm�s dans leur langue, leur id�ologie, leurs certitudes et m�me leur puissance (sans parler de l’illusion qu’ils semblent parfois se faire d’�tre guid�s par un Dieu � eux), les d�cideurs politiques et �conomiques de l’Empire n’auraient pas vu se pr�ciser les dangers ni pu d�velopper en temps utile les d�fenses n�cessaires. Au contraire, dans l’Europe beaucoup plus souple, contrast�e, parcourues d’oppositions internes, il se trouverait bien face � de nouveaux p�rils quelque autorit� plus �veill�e que les autres pour sonner l’alerte et inventer une parade qui b�n�ficierait � l’ensemble (9).

La r�activit� propre � un syst�me multi-agents adaptatif qui semble caract�riser l’Europe est renforc�e par deux facteurs essentiels confortant son ouverture au monde global. Le premier est que chacun des sous-ensembles de l’Europe entretient avec les autres ensembles du monde des traditions de coop�ration voire d’amiti�, doubl�es d’une bonne connaissance des probl�mes respectifs. L’Espagne et l’Italie sont tr�s proches des pays sud-am�ricains et maghr�bins, l’Allemagne et les pays de l’Est europ�ens le sont de leurs voisins des fronti�res orientales, la France des pays moyen-orientaux, maghr�bins et sub-sahariens, la Grande Bretagne de l’Inde et de l’Asie du sud-est, les Etats scandinaves du Canada et du monde arctique…On pourrait poursuivre et affiner l’exercice en dessinant sur un globe terrestre une sorte de r�seau en toile d’araign�e dont l’Europe serait le centre et dont les branches se prolongeraient dans le monde entier. Certaines de ces branches pourraient m�me s’interconnecter avec des correspondants aux Etats-Unis o� quelques milieux lib�raux sont rest�s attir�s par l’Europe et respectueux de son d�sir d’autonomie.

Le deuxi�me facteur de r�activit� comp�titive de l’Europe, d�coulant un peu d’ailleurs de ce qui pr�c�de, tient � son statut politique hybride. Celui-ci est loin d‘�tre parfait et devra �tre am�lior�. Mais d’ores et d�j� il repr�sente un ensemble unique au monde, souvent admir� � l’�tranger, la conjugaison et l'articulation des diff�rents niveaux de souverainet�, r�gional, national et supranational. Cette conjugaison permet d’�viter l’�cueil d’un souverainisme national r�ducteur comme celui d’un f�d�ralisme supranational annihilateur. On a parl� de f�d�ration d’Etats-nations. L’expression peut pr�ter � l’ironie, car prise au pied de la lettre, elle pourrait signifier l’impuissance - ce qui est d’ailleurs trop souvent le cas actuellement. Mais dans une perspective plus dynamique, la f�d�ration d’Etats-nations pourrait symboliser la force d’une alliance concert�e entre nations apportant � l’ensemble leurs capacit�s propres de mobilisation. Dans ce cas, il ne faudrait pas r�duire les sp�cificit�s nationales au nom de l’int�gration europ�enne, mais il ne faudrait pas non plus � l’inverse les exalter au risque d’emp�cher les rapprochements n�cessaires. La ligne de conduite serait alors : comp�tition (si possible amicale) entre nous et front commun face au reste du monde.

Un organisme d�fini par un champ organisationnel sp�cifique

Existe-t-il un champ organisationnel europ�en�? L’�tude de la vie dans la nature montre qu’il est ais� d’y identifier autant d’organismes complexes que l’on veut, selon l’�chelle � laquelle on se place, et l’int�r�t que l’on aura � proc�der � de telles distinctions. Mais l’esprit humain s’est habitu� � r�server le terme d’organisme aux organismes vivants biologiques dot�s notamment d’une enveloppe corporelle, d’un g�nome, d’un plan de reproduction et le cas �ch�ant d’un cerveau. C’est avec beaucoup de prudence qu’il accepte de consid�rer les entit�s sociales comme des organismes � part enti�re, pour la raison simple qu’il est difficile de leur attribuer des corps, des g�nomes et des cerveaux en propre. On admet aujourd’hui que la r�union ou symbiose d’organismes simples peut par �mergence faire appara�tre un superorganisme plus complexe que les organismes constitutifs, mais on se refuse g�n�ralement � �tudier ce superorganisme comme on le ferait d’organismes simples.

Ce refus d’ouvrir les yeux sur les superorganismes qui nous entourent et dont nous sommes souvent les �l�ments constitutifs, conduit � une c�cit� politique grave. Nous avons �voqu� dans un ouvrage pr�c�dent (10) les analyses fructueuses de la soci�t� propos�es par Howard Bloom, en utilisant ce concept de superorganisme. Nous n’y reviendrons pas ici, sauf � rappeler que ces approches sont tout � fait ignor�es en France ou m�me en Europe. Reprenons seulement notre premi�re question : peut-on consid�rer l’Union europ�enne comme un superorganisme social, ou plus simplement comme un organisme de la vie sociale comparable aux organismes vivants de la biologie�?

La r�ponse sera �videmment affirmative. L’Union europ�enne est un organisme dont les �l�ments tr�s divers sont li�s ensemble par ce que Alain Cardon appelle un � champ organisationnel � :

� Nous appelons champ organisationnel l'ensemble structur� et fini des contraintes exerc�es localement et aux diverses �chelles d’organisation existantes, sur les mouvements de tous les �l�ments de la structure mat�rielle d'un objet organisationnellement complexe limit� par une membrane. Cet ensemble de contraintes permet � cet objet d'exister tel qu’il existe, avec une autonomie et une certaine r�gularit� comportementale interne et externe. �

� On va consid�rer l'espace de l'objet comme form� de potentialit�s � g�n�rer et g�rer des processus. Un objet organis� sera r�alis� � partir de telles potentialit�s, le nombre et les interactions de ceux-ci d�terminant le degr� de complexit� de l'objet. L'objet sera d�fini par ses processus qui conforment la mati�re et l'�nergie dont il est finalement fait dans l'enceinte perm�able de la membrane qui le d�limite. On consid�rera l'objet comme form� d'un ensemble fini de points d'un espace organisationnel abstrait. En chacun de ces points, l'objet sera caract�ris�, d�fini, par un petit espace organisationnel d�terminant le processus qui se d�roule en cet endroit, avec ses caract�res propres et les liens avec les processus adjacents. Lorsqu'on est dans le continu des math�matiques, on appelle cela un espace fibr�, un espace o� en chaque point, le ph�nom�ne local est d�crit dans un petit espace abstrait. La th�orie des champs utilise syst�matiquement cette notion d'un espace fait d'espaces. On peut alors d�finir les mouvements entres les points de l'espace fibr� comme des coordinations, des synchronisations et on peut m�me penser, en g�n�ralisant les fibres, � des changements d'�chelles. �

� Le champ organisationnel sera donc repr�sent�, en chacun de ses points, qui sont en nombre fini, par l'�tat organis� du processus en cet endroit. Il pourra y avoir un processus tr�s attractif, un processus faible, une rupture … en tenant compte des voisinages avec les autres points, avec les autres processus. On d�crira ainsi l’objet, par ce champ organisationnel qui est la manifestation de l'�tat organis� de toute la mati�re le constituant l'objet, � une certaine �chelle. Il s'agit de l'�chelle organisationnelle. On prendra en consid�ration, dans l'observation, les processus significatifs, ceux qui conduisent � des effets propag�s pertinents. Plus particuli�rement, on s'int�ressera aux processus qui contraindront et structureront � chaque moment les processus autonomes exprimant, eux, la � mati�re capable de mouvements � composant l’objet. Il s'agit donc bien d'un champ, mais con�u comme une potentialit� organisatrice, qui incite au d�ploiement, � l'organisation de processus mat�riels ou sociaux pour les faire exister de telle ou telle fa�on, � certains endroits et pas � d'autres. Un champ organisationnel sera donc, simplement, un ensemble fini de processus r�gulateurs et organisateurs qui contraignent la mati�re disponible, elle-m�me form�e de champs mais physiques dans ce cas, � prendre finalement telle ou telle forme (11).�

Appliquons cette d�finition � l’Union europ�enne consid�r�e comme un objet organisationnellement complexe. On peut la d�finir comme un ensemble d’une grande s�rie de processus autonomes relatifs au fonctionnement de ses acteurs�: administrations, entreprises, individus se livrant � diff�rentes activit�s politiques, administratives, �conomiques et soci�tales. Ces processus s’exercent � l’int�rieur d’une fronti�re ou membrane qui les isole du reste du monde. La fronti�re ou les fronti�res seront g�ographiques, politiques, juridiques. A l’int�rieur de cette fronti�re, les processus ne seront pas libres de s’exercer au hasard. Ils devront r�pondre � certaines r�gles communes. Autrement dit, les processus seront contraints par un champ organisationnel d�coulant de diff�rentes forces caract�ristiques de l’Union, par exemple les textes communautaires pr�cisant la forme et le contenu des activit�s soumises au droit communautaire (c’est-�-dire ne relevant pas de la comp�tence de chaque Etat, en application du principe de subsidiarit�). Ce champ distinguera sans ambigu�t� les processus propres � l’Union de ceux int�ressant des objets autres que celle-ci. Il labellisera les premiers comme � communautaires � et les seconds comme, par exemple, � extra-communautaires �.

Tous les processus ou activit�s externes � l’Union et entrant en interaction avec elle seront soumis � ce champ, comme le sont des objets c�lestes entrant dans le champ gravitationnel d’un astre massif. Ou bien ils seront eux-m�mes contraints par des champs organisationnels plus forts, si bien qu’ils ne seront pas attir�s par le champ de l’Union. Ils pourront m�me lui � arracher de la mati�re �. Ou bien au contraire ils seront contraints par des champs organisationnels faibles et ils seront attir�s par l’Union, jusqu’� s’ins�rer dans son enveloppe et rejoindre les autres processus d�finissant cette derni�re. On peut illustrer ceci en prenant l’exemple d’un pays non encore membre de l’Union europ�enne, tel que la Turquie (12). S’il est soumis � l’attraction d’un objet massif (tels que la superpuissance am�ricaine ou diverses influences arabo-islamiques (13)) il �chappera � l’attraction gravitationnelle de l’Union. Si ce n’est pas le cas, il la rejoindra.

Un objet ou processus qui rejoint l’Union europ�enne, en traversant sa fronti�re et en subissant l’influence de son champ organisationnel, se trouve transform� afin de devenir compatible avec son nouvel environnement, sans perdre pour autant son originalit�. Ainsi, des pays ou collectivit�s non europ�ens ayant l’habitude de r�gler leurs conflits par des affrontements arm�s devront en entrant dans l’Union abandonner cette pratique et adopter celle de la n�gociation diplomatique, gr�ce � laquelle l’Union s’efforce de bannir les conflits en son sein (14).

Le cas de la Pologne et de la Suisse face au champ organisationnel europ�en

Aujourd’hui, assez curieusement, cette influence du champ organisationnel europ�en pourrait �tre d�tect�e au regard de la situation contrast�e de la Pologne et de la Suisse. Les lib�raux polonais ont fin octobre 2007 repris le pouvoir aux fr�res jumeaux conservateurs Kaczynski, apr�s leur avoir inflig� une lourde d�faite aux �lections l�gislatives. Le parti lib�ral Plateforme civique (PO) dirig� par Donald Tusk a appel� les Polonais � la r�conciliation apr�s les divisions qu'a connues le pays depuis l'arriv�e au pouvoir des fr�res Kaczynski il y a deux ans. Le gouvernement lib�ral adoptera la Charte des droits fondamentaux, incluse implicitement dans le nouveau trait� europ�en et refus�e par les Kaczynski.

C'est une bonne nouvelle pour l'Europe. Cette grande nation qu'est la Pologne s'�tait marginalis�e par les prises de positions nationalistes et traditionalistes du pr�c�dent gouvernement. Cependant les partisans de l'Europe-puissance ne se feront pas d'illusions pr�matur�es. Le Parti Lib�ral va se montrer, comme son nom et son programme l'indiquent, un chaud partisan de l'ouverture � l'ext�rieur et du recul de la r�gulation publique. Son mod�le serait l'Irlande, qui s'est enrichie en accueillant tous les investissements �trangers d�sirant �chapper aux taxes, aux obligations sociales et aux contr�les administratifs. Vis-�-vis des Etats-Unis cependant, le Parti lib�ral semble devoir prendre du recul et r�pudier l'all�geance pr�c�dente. Le d�sengagement militaire en Irak est d�j� annonc�. Il semblerait �galement qu'une ren�gociation de la part polonaise dans le syst�me AMD soit envisag�e.

L'�volution de la Pologne montre bien le fonctionnement du principe de l'auto-association stabilisatrice en œuvre dans les syst�mes symbiotiques biologiques. On l’avait d�j� observ� lors des d�viances populistes de l'Autriche. Le poids des associ�s et de la ligne commune qu'ils expriment fini par s'imposer, pour le plus grand bien de l'ensemble comme de celui des nouveaux membres. Ceux-ci cependant, entr�s dans le syst�me commun, conservent certaines de leur sp�cificit� dont l'ensemble peut s'enrichir. C'est pourquoi nous pensons qu'apr�s quelques mois pendant lesquels les Polonais s'enchanteront d'�tre redevenus de � vrais lib�raux �, ils comprendront face aux crises qui attendent l'Europe la n�cessit� d'un retour � un interventionnisme de puissance - tr�s diff�rent d'ailleurs du contre-mod�le de type communiste dont les Polonais, � juste titre, ne veulent plus. La Pologne est plus grande et en plus mauvais �tat que l'Irlande. Les solutions ayant r�ussi - provisoirement - � cette derni�re, ne pourront pas �tre reprises directement par Varsovie.

La Suisse, en cette fin d'octobre, a montr� au contraire que les vertus de l'auto-association stabilisatrice ne jouent pas en sa faveur, simplement du fait qu'elle n'est pas membre de l'association, c'est-�-dire de l'Union europ�enne. L'Union D�mocratique du Centre UDC a �t� le grand vainqueur des �lections l�gislatives. Le parti de Christophe Blocher a renforc� son statut de premi�re formation politique du pays acquis il y a quatre ans. L'UDC enregistre cette progression apr�s une campagne ax�e sur l'immigration et l'ins�curit�, symbolis�e par son affiche montrant 3 moutons blancs expulsant un mouton noir. Ueli Maurer, le pr�sident du SVP, le pendant de l'UDC en Suisse al�manique, s'est f�licit� de cette victoire, qui selon lui sonne le glas des vell�it�s d'adh�sion de la Suisse � l'Union europ�enne. Qu'ajouter de plus pour ce qui nous concerne : tant pis pour l'Europe, tant pis pour la Suisse et tant mieux pour les fraudeurs de toutes natures qui font la fortune de l'Union des Banques Suisses.

Nous aurions aim� cependant voir la Suisse, au cœur de l'Europe, la rejoindre en lui apportant ses points forts, plut�t qu'offrir ainsi des mod�les au populisme et � l'isolationnisme toujours pr�ts � s'exprimer dans les pays europ�ens. Notamment en Hollande, pour ne pas la citer.

Un organisme organisationellement complexe

A la premi�re question que nous nous sommes pos�e : � peut-on consid�rer une entit� g�opolitique (telle l’Union europ�enne) comme un organisme vivant �volutif en comp�tition darwinienne avec d’autres�? � nous pouvons donc r�pondre par l’affirmative. L’Union europ�enne est un organisme vivant particulier, relevant du domaine social. Cet organisme est d�fini par un certain champ organisationnel s’exer�ant � l’int�rieur de ses fronti�res. Il est en comp�tition darwinienne avec d’autres organismes de m�me nature. Cette comp�tition d�finit le type d’�volution qu’il subit. Dans certains cas, il gagne des forces en les pr�levant sur des organismes plus faibles que lui. Dans d’autres il en perd au b�n�fice d’organismes plus forts. Son avenir n’est donc pas pr�d�termin�.

Si l’Union europ�enne peut �tre consid�r�e comme un organisme complexe, elle ne peut �tre assimil�e � un syst�me complexe enti�rement connaissable comme l’est un ordinateur ou une fus�e. Il s’agit d’un objet entrant dans la cat�gorie de ce que Alain Cardon a nomm� les objets organisationellement complexes. Nous ne reviendrons pas ici sur les caract�ristiques de ces objets, que nous avons nous-m�mes analys�s sommairement (15). Rappelons simplement ici que ces objets, qui sont ceux du monde en g�n�ral, cosmos, milieux biologiques, milieux environnementaux, milieux sociaux, ne peuvent �tre d�crits exhaustivement par quelque observateur que ce soit, qu’il soit situ� � l’int�rieur ou � l’ext�rieur de l’objet. Tout au plus peut-on en donner des mod�les statistiques tr�s approximatifs, et toujours en retard sur leur �volution intrins�que. L’observateur est en effet inclus dans l’entit� observ�e. Chacune de ses observations modifie cette entit�. En retour, l’entit� r�agit � l’observation en modifiant l’observateur. La seule fa�on de mod�liser de tels objets est, selon les th�oriciens de l’intelligence artificielle, de les repr�senter en utilisant des syst�mes massivement multi-agents dont l’�volution se fera en miroir de celle de l’objet.

Concr�tement, pour reprendre l’exemple de l’Union europ�enne utilis� jusqu’ici, ceci voudra dire que personne, m�me en utilisant les instruments les plus sophistiqu�s, ne pourra d�crire en d�tail l’organisme qu’elle constitue. Que sont ou seront ses fronti�res exactes�? Que sont ou seront les processus influenc�s par son champ organisationnel et comment r�agiront-ils � ce champ�? Comment analyser autrement que globalement l’influence d’un processus sur les autres et sur l’Union dans son ensemble�? Nul n’en saura rien avec pr�cision. On ne pourra que se livrer � des conjectures, qui pourront � tout moment �tre d�menties par de nouveaux ph�nom�nes jusqu’ici non pris en compte.

On dira que cette analyse peut s’appliquer � toutes les nations et grandes organisations politiques. Ni l’Am�rique ni la Russie ne sont susceptibles de descriptions simples permettant des pr�visions fiables. Les dirigeants qui ont pr�tendu, tel depuis le 11 septembre 2001 le pr�sident am�ricain G.W. Bush, savoir o� ils vont et o� ils m�nent le monde, s’illusionnent et trompent ceux qui leur font confiance. Mais notre lecteur pourra convenir que, compte tenu notamment de tout ce qu’il sait de l’histoire et de la configuration actuelle de l’Europe, l’entit� europ�enne bat tous les records de complexit�. On doit donc se persuader qu’il ne sera probablement jamais possible de pr�voir l’�volution future imm�diate ou � terme de l’Union, soit en s’appuyant sur des pr�visions relatives � l’�volution de ses processus (eux-m�mes d’ailleurs constituant des objets organisationellement complexes), soit en faisant des hypoth�ses sur l’�volution du milieu ext�rieur au sein duquel l’Union agit - ceci d’autant plus que l’�volution de l’Union et celle de son milieu interagiront en permanence. Pratiquement, on pourra toujours faire quelques hypoth�ses relatives � l’avenir, reposant sur des calculs probabilistes, mais elles resteront fragiles et toujours sujettes � discussion.

On voit que dans ces conditions, la gouvernance � terme de l’Union, ou des entit�s qui la composent, rel�vera plus de la divination que des sciences exactes. L’Union europ�enne, comme les autres entit�s du monde social et politique, ne sera ni pr�visible ni v�ritablement gouvernable. Son �volution sera d�termin�e par d’innombrables agents non per�us ou m�me non perceptibles. Les gouvernements auront le droit et m�me le devoir de gouverner cependant, mais en restant modestes. Si d�j� ils peuvent en temps utile prendre conscience des grands types d’�volution d�j� engag�s et y r�agir par des mesures aussi appropri�es que possible, ils auront rempli leur r�le.

C’est � la lumi�re de ces consid�rations que le lecteur devra comprendre les tr�s nombreuses orientations que nous avons propos�es dans cet essai, concernant l’avenir de l’Europe et du monde. Les gouvernements et les citoyens pourront toujours d�cider de faire ceci ou cela pour am�liorer la comp�titivit� de l’Union europ�enne, celle de la soci�t� occidentale et l’avenir du monde en g�n�ral. Rien ne pourra leur garantir a priori que ces orientations seront les bonnes.

Section 2. Des valeurs immunisantes

Nous en revenons apr�s ce d�tour au th�me principal de ce livre. La demande de structures institutionnelles nouvelles ne sera pas impos�e d’en haut. Elle devra provenir d’en bas, en sous produit de grands programmes europ�ens permettant aux citoyens de comprendre clairement � quoi pourrait servir une union europ�enne renforc�e. Mais pour ce faire, c’est-�-dire pour cr�er un champ organisationnel europ�en, le r�le des valeurs auxquelles, implicitement ou non, se r�f�rent les Europ�ens jouera un r�le tr�s important. Ces valeurs contribuent � orienter les comportements de beaucoup de personnes, soit dans la vie quotidienne soit � l’occasion de manifestations collectives telles que des �lections. Il est donc indispensable d’y consacrer quelques d�veloppements, alors que nous approchons du terme de notre essai.

Appelons valeurs un ensemble de convictions, rationnelles ou irrationnelles qui conf�rent � un individu une personnalit� profonde. Ces convictions sont si profond�ment implant�es que beaucoup de personnes pr�f�rent sacrifier des int�r�ts vitaux, sinon la vie elle-m�me, plut�t que les renier. Constater leur existence rel�ve de l’observation factuelle et n’entra�ne pas de jugement moral absolu sur leur l�gitimit� ou sur celle des valeurs qui dans d’autres soci�t�s, s’y opposent. Si je suis convaincu que la peine de mort n’est pas compatible avec la conception europ�enne du droit, rien ne me fera changer d’opinion, m�me si l’ensemble du monde, hormis l’Europe, appliquait la peine de mort. Cependant, en principe, je n’irai pas soutenir des campagnes d’ing�rence humanitaire muscl�e (c’est-�-dire faisant appel � la force) pour �radiquer la peine de mort dans les Etats voisins. Si les Am�ricains et les Iraniens se trouvent bien de la peine de mort, c’est leur affaire. Cependant, sauf contraintes professionnelles, je n’irai pas m’�tablir dans de telles soci�t�s. Je pr�f�rerai rester vivre en Europe, o� l’air (au moins � cet �gard) est plus frais.

Nous pouvons, en simplifiant beaucoup, r�partir les valeurs autour desquelles s’est construite et devrait continuer � se construire l’identit� europ�enne en deux cat�gories, les valeurs immunisantes et les valeurs dynamisantes. Appelons valeurs immunisantes celles qui prot�gent le champ organisationnel europ�en de l’intrusion de contre-valeurs g�n�ralement consid�r�es par les Europ�ens comme socialement et moralement destructrices (16). Pour faire court, nous en distinguerons trois : les droits de l’homme, l’�galit� entre les sexes, la la�cit�. Mais prot�ger ne suffit pas. Il faut aussi construire, inventer. Pour cela doivent intervenir des valeurs diff�rentes (qui d’ailleurs peuvent entrer sur certains points en contradiction avec les valeurs pr�c�dentes). Appelons les valeurs dynamisantes. Nous proposons ici d’en retenir �galement trois : la r�publique, la social-d�mocratie, la philosophie critique.

Il faut noter un point important, auquel nous voudrions faire r�fl�chir le lecteur. Aucune de ces valeurs n’est sp�cifique � l’Europe. Chacune d’elle, prise individuellement, se retrouve, sous des formes diverses, dans un certain nombre de pays du monde. C’est leur conjonction qui est sp�cifique � l’Europe. Aucune partie du monde de la plan�te ne r�unit un tel jeu de valeurs convergentes.

Certes, les Europ�ens ne sont pas parfaits. D’innombrables comportements criminels ou �go�stes s’y retrouvent, comme partout ailleurs. Certains pays europ�ens, pour des raisons soit historiques soit sociales, semblent m�me particuli�rement riches en mouvements violents recrutant particuli�rement chez les jeunes d’extr�me droite : n�o-nazis, supporters de clubs sportifs toujours pr�ts � l’affrontement, casseurs divers. Il ne faut pas les confondre avec les bandes s�vissant dans les banlieues des grandes villes et proc�dant p�riodiquement � la destruction d’�quipements publics ou de biens priv�s. Ces bandes sont principalement constitu�es de repr�sentants de minorit�s ethniques qui souffrent d’une mauvaise int�gration. On les retrouve sous des formes voisines dans le monde entier. Le n�o-nazisme par contre n’existe gu�re qu’en Europe et en Russie. Il est �videmment, lui aussi, le produit des difficult�s �conomiques, mais il est anim� d’un projet politique pr�cis, que l’on retrouve dans les partis d’extr�me-droite conservateurs et chr�tiens ultra, ainsi que chez les n�o-conservateurs russes. On per�oit mal leurs objectifs politiques, mais on peut penser que l’�tablissement de dictatures morales et politiques leur conviendrait assez, sur le mod�le de ce que fut l’Espagne franquiste, le Portugal de Salazar et l’Italie fasciste.

Il va de soi que de tels mouvements repr�sentent une v�ritable menace contre la d�mocratie. Leur audience doit �tre surveill�e. Mais pour le moment encore ils restent marginaux. Globalement, le champ organisationnel europ�en d�fini par la conjonction des valeurs que nous allons r�sumer est unique. Il ne se retrouve nulle part ailleurs. C’est pourquoi l’immense majorit� des gens vivant en Europe consid�rent qu’il y fait bon vivre, toutes choses �gales d’ailleurs.

Nous proposons de distinguer trois cat�gories de valeurs qui, selon nous, contribuent � immuniser les Europ�ens contre la persistance ou le retour de comportements venus du fond des �ges et jug�s, (en g�n�ral) asociaux, destructeurs voire criminels. Ces valeurs sont : les droits de l’homme, l’�galit� entre les sexes, la la�cit�

Les droits de l’homme

On a tendance aujourd’hui � ridiculiser sous le nom de � Droits de l’Hommisme � une tendance r�pandue en Occident et consistant � reprocher les atteintes aux droits de l’homme tels que d�finis par la D�claration universelle de l’ONU (17) auxquelles se livrent certains r�gimes dictatoriaux militaires ou policiers. Certes, s’auto-proclamer champion des droits de l’homme est un peu facile. Chercher noise aux voisins sans se critiquer soi-m�me est une attitude tr�s r�pandue, dans la vie internationale comme dans la sph�re priv�e. Il faut �viter de tomber dans ce d�faut. Surtout si l’argument de la protection des droits de l’homme cache en fait une forme d’agression politique. Les diplomates am�ricains sont pass�s ma�tres � ce jeu. Ils voudraient faire honte � leurs alli�s de relations commerciales avec des pays r�put�s peu respectueux des droits de l’homme alors qu’eux-m�mes ne se laissent pas arr�ter par ces consid�rations quand il s’agit de b�tir des � relations strat�giques � avec ceux dont ils estiment avoir besoin. Ceci dit, il faut avoir v�cu l’enfer que peut devenir la vie dans des r�gimes qui ne respectent pas, m�me marginalement, l’une ou l’autre des libert�s auxquelles les citoyens ont droit selon les termes de la D�claration Universelle pour comprendre l’importance consistant � mettre tr�s haut le respect des droits de l’homme, y compris et � commencer dans son propre pays.

Or les Etats europ�ens, m�me s’ils ne sont pas exemplaires, se situent tous au dessus de la moyenne des pays vertueux en ce domaine. Partout, les droits individuels et collectifs sont affirm�s. Ils sont souvent prot�g�s par des dispositions juridictionnelles parfois lourdes � utiliser mais efficaces. L’entr�e des pays de l’Est dans l’Union Europ�enne a toujours signifi� pour les populations concern�es l’entr�e dans une nouvelle civilisation, bien �loign�e des anciennes dictatures. Il s’agit d’un acquis consid�rable. Il faut le valoriser et, bien entendu, l’approfondir. Les institutions europ�ennes, avec les garanties qu’elles apportent pour leur part avec la Convention europ�enne des droits de l’homme et la cour europ�enne du m�me nom, offrent des r�f�rences tr�s pr�cieuses.

On dit souvent que les droits doivent s’accompagner de devoirs. C’est une �vidence, qui devrait aller de soi. Chaque droit se traduit par un devoir qui s’impose aux citoyens pour qu’il soit respect�. Ainsi la libert� d’expression impose le devoir de ne pas emp�cher, juridiquement ou pratiquement, l’expression par autrui de ses propres opinions - sous r�serve de dispositions r�glementaires et l�gislatives d’ordre public s’imposant � tous. On pourrait concevoir une D�claration europ�enne des devoirs, qui sans s’imposer juridiquement aux citoyens, repr�senterait un guide g�n�ral. Cela sera de plus en plus n�cessaire si les menaces environnementales qui p�sent sur l’Europe et sur le monde s’aggravent. Ainsi l’Europe pourrait affirmer le devoir s’imposant � chacun d’�conomiser l’�nergie, l’eau et les ressources rares, de respecter la biodiversit�, etc.

Une fa�on diff�rente d’affirmer des devoirs vis-�-vis de la nature consiste aujourd’hui � d�finir des droits aux animaux et � certaines esp�ces v�g�tales menac�es. Les cyniques s’y opposent en affirmant que la nature est � la disposition de l’homme. Mais ce point de vue est de lus en plus consid�r� comme inacceptable. Sans tomber dans les exc�s des d�fenseurs des droits des animaux (menaces, harc�lement physique, vandalisme) des d�fenseurs de la cause animale, et pr�cis�ment pour �viter de tels exc�s, nous pensons que l’Europe devrait prendre la t�te du combat pour la d�fense des droits des animaux (18).

Les droits de l’homme, nous l’avons dit, concernent l’individu comme le collectif. Mais, dans la mesure o� les individus, des deux sexes et � tout �ge, sont concern�s, n’encouragent-ils pas les exc�s de l’individualisme : le consommateur-roi, l’enfant-roi, le moi �rig� en valeur supr�me. Une telle d�marche fait le jeu des publicitaires visant � encourager des formes de d�penses individuelles se d�veloppant aux d�pends des enjeux �conomiques et environnementaux collectifs. Faudrait-il donc lui imposer des limites�? Nous pensons qu’en termes syst�miques, la complexification des super-organismes et leur marche vers une conscience collective repose sur deux processus parall�le. L’un renforce le super-organisme en tant qu’ensemble global susceptible d’acqu�rir une conscience extensive de lui-m�me dans le monde. Mais l’autre renforce les composants du super-organisme, en dotant ceux-ci d’un nombre croissant de propri�t�s pour l’acquisition de connaissances et la prise de d�cision. On parlera � cet �gard d’un renforcement b�n�fique du processus d’individuation. Les philosophes politiques ont fait depuis des si�cles la constatation de bon sens selon laquelle les empires o� les citoyens disposent de grandes capacit�s d’autonomie sont beaucoup plus r�sistants, r�silents, que ceux reposant sur la seule autorit� du tyran. La m�me constatation s’impose quand on examine la diversification vers l’individuation des diff�rentes cellules ou parties d’un organisme biologique complexe.

L’�galit� entre les sexes

La conqu�te par les femmes de droits et devoirs �gaux � ceux des hommes s’est engag�e tr�s t�t en Europe, environ � l’�poque du si�cle des Lumi�res. Mais elle s’est heurt�e et se heurte encore � d’innombrables r�sistances. L’�galit� absolue entre hommes et femmes demeure donc une priorit� majeure. Aujourd’hui, cependant, en Europe, comme en mati�re de droits de l’homme, certains pensent �l�gant de railler le f�minisme, consid�r� comme surann�, voire inutile sinon dangereux. Beaucoup de femmes, sous la pression il est vrai de traditions culturelles et religieuses qui combattent leur lib�ration, rejoignent le fort parti des hommes pour qui la sup�riorit� du sexe masculin est un pilier de la civilisation.

L’Europe, dans la lutte pour les droits des femmes, n’est pas homog�ne : ni g�ographiquement, ni socialement. De nombreuses r�gions europ�ennes, autour de la M�diterran�e ou dans les pays de tradition catholique, sont encore proches � cet �gard des soci�t�s islamiques et africaines traditionalistes. Les faibles revenus n’encouragent pas par ailleurs les femmes � se donner le temps et l’�ducation n�cessaire � l’acquisition de leur autonomie. Des �migrations venant des pays o� la femme est encore trait�e en personne de deuxi�me ordre, sinon en esclave, peinent � se mettre au niveau des moeurs europ�ennes dominantes. Les leaders de ces communaut�s - toujours des hommes, �videmment - essayent de dresser les femmes � revendiquer leur subordination comme un droit. Si les Europ�ens laissaient faire ce retour � l’obscurantisme, ils pourraient dire adieu � un pilier essentiel de leur civilisation.

Heureusement, la plupart des Europ�ennes, comme beaucoup d’Europ�ens, sont depuis longtemps convaincus du caract�re non seulement in�luctable mais b�n�fique, de l’�galit� entre les sexes. Partout o� cette �galit� s’installe, au travail ou dans la vie personnelle, les taux de natalit� se r�gulent et la � transition d�mographique � s’esquisse, l’activit� �conomique augmente, la cr�ativit� collective augmente et se diversifie. Les pays scandinaves en ont fait depuis longtemps la d�monstration. Les pays m�diterran�ens de tradition catholique, o� la lib�ration de la femme est encore combattue par les �glises, le d�couvrent � leur tour. Le meilleur service que l’Europe pourra rendre au monde, dans les ann�es prochaines, sera de montrer aux femmes des pays traditionalistes l’exemple des femmes europ�ennes et de l’enrichissement qu’� tous �gards, elles apportent � la soci�t�. C’est �videmment par le d�but : l’acc�s � l’�cole, � la contraception, � l’avortement et aux m�tiers valorisants, aux droits civiques sans exceptions, que le combat se m�ne. Les dictatures le savent bien puisque leur premier objectif est d’emp�cher les femmes d’avoir acc�s aux m�dias occidentaux qui pourraient diffuser des r�f�rences dangereuses pour la pr�tendue � vertu � des femmes.

Comme toujours quand il s’agit de valeurs, on ne tombera pas dans l’exc�s contraire en affirmant que les femmes sont, par essence, meilleures que les hommes, ceci gr�ce � un caract�re inn� de leur nature. On se bornera � demander que la soci�t� traite les individus de la m�me fa�on, quel que soit leur sexe. Cette exigence s’�tendra aussi aux personnes homosexuelles. Mais traiter les sexes de la m�me fa�on signifie-t-il que les Etats europ�ens doivent renoncer aux mesures dites de discrimination positive. Les f�ministes puristes le voudraient, les jugeant contre-productives. Il faut bien voir cependant que les retards dont souffrent les femmes dans l’accession aux responsabilit�s, professionnelles et politiques, sont tels que de telles mesures seraient utiles, ceci partout en Europe. Nous pensons pour notre part que les Institutions europ�ennes devraient, � tout le moins, recommander aux l�gislations nationales d’y faire appel.

La la�cit�

Le sujet est constamment d�battu en Europe. Il donne lieu � de nombreux contresens mais aussi � des offensives, constamment renouvel�es, des religions visant � battre en br�che ce qui est pourtant un principe fondamental des soci�t�s europ�ennes. Les religions auraient voulu, notamment � l’occasion de la discussion des trait�s constitutionnels europ�ens, faire reconna�tre par un texte les � racines chr�tiennes � de l’Europe. La majorit� des repr�sentants politiques europ�ens s’y opposent, consid�rant � juste titre que ce serait l� rouvrir la porte aux guerres de religions qui ont d�vast� l’Europe, jusqu’� ces derni�res ann�es, et qui font rage dans le reste du monde. Les mots sans dangereux. De la reconnaissance des racines chr�tiennes � l’int�gration des religions dans la vie publique, il n’y a qu’un pas.

D�finissons la la�cit� comme une disposition l�gale (de pr�f�rence inscrite dans les constitutions) qui impose aux institutions publiques et � leurs repr�sentants de ne pas se r�f�rer aux religions, � leurs prescriptions et � leurs cultures. Chacun est �videmment libre de croire ce qu’il veut, ou de ne pas croire. Mais il ne doit pas trouver l’appui d’une institution publique, par exemple l’�cole, pour propager sa foi. La sph�re du priv� et celle du public doivent �tre s�par�es de fa�on �tanche. En France, cela semblait �vident, jusqu’� ces derni�res ann�es. Mais les religions ont pr�tendu que l’application du principe de la�cit� dans la vie civique pouvait � heurter leur sensibilit� �. Ainsi certains imams s’�l�vent-ils contre l’interdiction du voile f�minin dans les lieux publics. Les chr�tiens ont revendiqu� le droit � l’�tude des religions dans les �coles et universit�s (19). Aujourd’hui, les religions veulent d�sormais obliger les enseignements scientifiques � faire �tudier les all�gations des �critures (Bible, Coran) au m�me titre que les th�ories scientifiques, darwinisme, astrophysique notamment. On voit tr�s bien que c�der sur ces points serait catastrophique. Ceci ranimerait les guerres id�ologiques et pire, reconduirait l’Europe au Moyen-�ge (20).

Il faut bien voir que l’Union europ�enne, � son niveau comme � celui de la majorit� des Etats qui la composent, constitue la seule r�gion du monde o� la la�cit�, ainsi d�finie et inspir�e de la vieille tradition des Lumi�res europ�ennes, est consid�r�e comme un principe fondateur. Partout ailleurs, de fait comme de droit, y compris aux Etats-Unis, le Dieu dominant est associ� aux institutions publiques. L’Europe donne � cet �gard un exemple essentiel au monde. Il ne faut absolument pas renoncer � une application stricte et rigoureuse du principe de la�cit�. Sinon, on pourrait affirmer sans emphase que l’Europe perdrait son �me. Les adversaires de la la�cit� multiplient les offensives id�ologiques contre ce principe, condamnant ce qu’ils appellent notamment le la�cisme, consid�r� comme un fondamentalisme ath�e. Mais il ne faut pas c�der � ces arguments. Il n’y a pas une la�cit� mod�r�e et un la�cisme fondamentaliste. Il n’y a que la la�cit�.

Dirait-on que le � d�mocratisme � serait une version fondamentaliste de la d�mocratie�?

On objectera qu’un certain nombre de pays europ�ens n’ont pas une conception aussi stricte de la s�paration des �glises et de l’Etat que celle appliqu�e en France en application de la loi de 1905 (21). En Grande Bretagne, dans les pays de l’Est europ�ens, le Dieu dominant est souvent repr�sent� dans les lieux publics ou invoqu� dans les textes et d�cisions. C’est certainement regrettable et germe de disputes. Les communaut�s religieuses non reconnues officiellement demandent � b�n�ficier de droits �quivalents � ceux de la communaut� dominante et la soci�t� se morcelle en noyaux oppos�s, pr�ts � s’affronter manu militari comme ce fut le cas jusqu’� ces derniers temps entre catholiques et protestants au Royaume Uni. Mais dans l’ensemble, m�me dans les pays m�diterran�ens de tradition catholique, une la�cit� � la fran�aise est en train de s’�tendre. Elle correspond d’ailleurs � la d�christianisation des populations pr�sent�e comme une catastrophe par les Eglises et qu’au contraire, les d�mocrates consid�rent comme une bonne chose. Loin de propager tous les vices, ou de faire des citoyens des consommateurs passifs des mod�les publicitaires, la d�christianisation s’est accompagn�e, en France comme dans les pays europ�ens m�diterran�ens, d’une mont�e importante de la conscience civique et de la tol�rance.

Ceci dit, l’optimisme que nous affichons ici, consistant � voir dans l’Europe un havre pour la la�cit� et la tol�rance r�ciproque entre croyants et non croyants, est peut-�tre d�j� d�pass�. On voit monter tr�s rapidement en Europe un islamisme de combat que nous distinguons de l’Islam, dans la mesure o� nous affirmons le droit de chacun � pratiquer le culte qu’il choisit, et surtout dans la mesure o� nous pensons qu’un Etat la�c fort est la meilleure, et la seule, barri�re aux d�rives int�gristes : l’Etat doit offrir � ses fils et filles une protection effective face � des r�gles de vie impos�es par les religions, ne serait-ce que dans le cadre priv�. Il est inqui�tant et d�plorable de voir que sur notre sol des pratiques pourtant bannies par la loi sont tol�r�es au nom du respect de la diff�rence. Nous pensons � l’excision, au mariage forc�, au sexisme �rig� en loi absolue. Ces horreurs d’un autre �ge ne doivent pas avoir cours au sein de notre patrie commune, l’Europe.

Or au lieu d’�tre combattues par les institutions et par les opinions publiques, elles b�n�ficient d’une indulgence qui n’est explicable que par la l�chet�, non seulement morale mais physique. Nous y avons fait allusion ci-dessus. Il faut y revenir. Les premi�res manifestations, en Italie et en Allemagne, du fascisme et du national-socialisme n’avaient pas �t� rejet�es par le corps social, comme elles auraient du l’�tre d�s le d�but, parce que les opposants �ventuels se taisaient. Ils se taisaient, comme aujourd’hui se taisent les voyageurs du m�tro confront�s � une bande s’en prenant � une personne seule. Ils craignaient d’affronter la violence physique dont faisaient largement usage les nervis mussoliniens et les S.A (Sturm Abteilung) hitl�riens. Le m�me ph�nom�ne est en train de se reproduire en Europe. Les musulmans mod�r�s, ceux qui sans renier leur religion se disent la�cs, au lieu d’�tre encourag�s par la soci�t�, se taisent par peur des islamistes violents. Il en est de m�me des jeunes filles musulmanes qui refusent d’�tre instrumentalis�es par les grands fr�res et les imams financ�s par les p�tro-dollars. Elles aussi rentrent dans le rang, par peur.

Quand les lois et valeurs europ�ennes sont bafou�es, � chaque fois la R�publique europ�enne recule. Quand dans certains coll�ges et lyc�es europ�ens il n'est plus possible de se dire juif, quand les professeurs ne peuvent plus enseigner l'histoire ou la science parce que � ce n'est pas dans le Coran �, quand des municipalit�s instaurent des jours non mixtes pour l'utilisation des piscines municipales, quand il faut appeler l'imam pour calmer les populations, quand des quartiers entiers sont de fait soumis � la charia, quand un chef d'Etat et le haut repr�sentant europ�en pour la politique �trang�re et la s�curit� commune pr�sentent leurs excuses pour trois malheureux dessins…la R�publique europ�enne est bien malade et un virage radical s'impose.

Section 3. Des valeurs dynamisantes

Une collectivit� humaine ne survit pas seulement en prot�geant son identit� des contaminations ext�rieures jug�es nuisibles. Elle doit aussi faire appel � des valeurs lui permettant de se d�velopper, de cr�er, d’entrer en comp�tition victorieuse avec les autres, tant du moins qu’elle ne s’en prendra pas directement � l’existence ou � l’int�grit� de celles-ci. La marge est �videmment �troite. Un gouvernement exaltant la fibre ou les sp�cificit�s nationales �vite rarement de cr�er des zones de frictions, sinon de conflits entre les voisins. Mais c’est l’art de la diplomatie que s’affirmer soi-m�me tout en �vitant de d�pr�cier inutilement les voisins.

L’Europe, de par son histoire, est riche de valeurs qui, convenablement exploit�es, lui permettraient de montrer son originalit� et de servir le cas �ch�ant de mod�le � d’autres. Nous avons choisi d’en pr�senter trois : les concept de r�publique et celui de social-d�mocratie, compl�t�s par une tradition bien ancr�e de philosophie critique.

La � r�publique europ�enne �

Pourquoi parler de r�publique et non de d�mocratie europ�enne, alors qu’un certain nombre d’Etats europ�ens ne sont pas des r�publiques au sens constitutionnel du terme et que tous au contraire sont des d�mocraties. Parce que les valeurs d�mocratiques ne paraissent pas suffisamment stimulantes pour rassembler la diversit� des populations europ�ennes et les pousser � entreprendre de grands projets. Les valeurs r�publicaines (res publica, la chose de tous) paraissent par contre porteuses de messages bien plus forts, que chacun pourra comprendre m�me si l’Etat dont il rel�ve n’a pas adopt� la forme r�publicaine. Les citoyens de l’Europe devraient apprendre � voir dans celle-ci une � res publica � commune se superposant aux appartenances nationales.

Il ne faut pas cependant passer sous silence le fait que l’Europe, contrairement � d’autres parties du monde, est enti�rement compos�e de r�gimes d�mocratiques. Il s’agit d’abord de r�gimes repr�sentatifs parlementaires dont les repr�sentants sont �lus au suffrage universel. Mais il s’agit aussi de d�mocraties v�ritables, et pas seulement de d�mocraties formelles. La d�mocratie v�ritable se traduit par une grande autonomie des citoyens et des forces sociales face aux pouvoirs, elle respecte les libert�s politiques et syndicales �l�mentaires, elle reconna�t et promeut la parit� entre hommes et femmes, elle constitue une force consid�rable d’attraction pour tous les pers�cut�s politiques. Certes, une d�mocratie parfaite n’existe nulle part, pas plus en Europe qu’ailleurs. Mais les d�mocraties europ�ennes peuvent �tre consid�r�es comme des mod�les par tous les autres pays du monde - y compris par la d�mocratie am�ricaine o� ces derni�res ann�es les d�rives autoritaires ont pris de l’ampleur (22). Ce type de d�mocratie � l’europ�enne est par ailleurs parfaitement adapt� � la d�mocratie num�rique qui se met irr�sistiblement en place d�s que les r�seaux d’�change se constituent et s’interconnectent.

M�me si les puissances ou superpuissances en comp�tition avec l’Europe paraissent faire peu de cas des institutions et moeurs d�mocratiques de l’Union, elles les envient certainement et souhaiteraient b�n�ficier des m�mes avantages de comp�titivit�. Mais la d�mocratie ne s’improvise pas au bon vouloir des dominants. Elle r�sulte de d�cennies sinon de si�cles de conflits internes ma�tris�s et sublim�s. Les Europ�ens ne valorisent pas assez cette caract�ristique commune quand ils s’interrogent sur les valeurs susceptibles d’assurer leur coh�rence d’ensemble.

La d�mocratie europ�enne n’est pas seulement une d�mocratie d’assembl�es repr�sentatives. Elle repose aussi sur la pr�sence d’administrations traditionnellement comp�tentes, int�gres et p�n�tr�es de sens du bien public. Nulle part ailleurs on ne trouve sur un si petit espace g�ographique rassembl�s des services publics conjuguant les traditions des vieilles administrations britanniques, allemandes (prussiennes) et fran�aises. Certes ces administrations ont beaucoup vieilli, elles ont eu tendance � s’enfermer dans un certain dogmatisme, elles peinent � augmenter leur productivit� par l’emploi des m�thodes modernes de gestion. Mais elles �voluent cependant et se perfectionnent en silence, malgr� les critiques de ceux qui r�clament une r�forme de l’Etat sans rien faire pour rendre leurs propres activit�s plus transparentes et plus efficaces.

La pr�sence d’un tel potentiel permet de penser que, si quelque part dans le monde, il est possible de d�finir des alternatives au capitalisme financier et � la gestion lib�rale � court terme, c’est bien en Europe. Seule l’Europe est actuellement capable de faire la d�monstration de ce que pourrait �tre l’�conomie mixte que nous appelons de nos vœux.

Ceci admis, il ne faut pas adopter une vue trop na�ve des instituions d�mocratiques. Dans les pays p�n�tr�s de conflits internes, il ne suffit pas, comme les Am�ricains semblaient le croire il y a quelques ann�es, avant leurs �checs au Moyen-Orient, de mettre en place une constitution d�mocratique pour qu’une d�mocratie v�ritable, au sens d�fini, ci-dessus, ne s’installe.

Plus g�n�ralement, le suffrage universel et la course aux voix qu’il entra�ne sont des portes ouvertes en permanence � la facilit� voire � la d�magogie. Comment, en situation de crise notamment, des gouvernements pourraient-ils obtenir des citoyens les sacrifices n�cessaires si les moindres mesures doivent �tre discut�es au sein des instances et des mouvements politiques�? Comment, dans une autre perspectives, obtenir du corps �lectoral des consensus pour de grandes politiques publiques, par exemple en mati�re spatiale, supposant des investissements � long terme devant �tre financ�s par des pr�l�vements sur les d�penses imm�diates�? La tentation est grande alors de court-circuiter les proc�dures de la d�mocratie repr�sentative par diff�rentes techniques, soit juridiques (des pouvoirs sp�ciaux donn�s � l’ex�cutif, par exemple) soit socio-politiques (appel � des formes confuses de d�mocratie participative utilisant notamment les nouveaux m�dias). Le danger existe de voir surgir des juntes militaires ou leur �quivalent civil. � La d�mocratie [repr�sentative] est le pire des r�gimes, � l’exception de tous les autres �, avait dit fort justement Winston Churchill.

Comment alors transcender sans les remettre en cause les valeurs de la d�mocratie. Certains Etats en Europe proposent-ils des voies pour ce faire. Nous pensons que c’est le cas, gr�ce aux valeurs dites r�publicaines que la plupart d’entre eux, m�me sans �tre des r�publiques au sens formel, ne d�savoueraient pas. La soci�t� fran�aise, malgr� bien des p�rip�ties historiques, a toujours illustr� clairement ce que peuvent �tre de telles valeurs r�publicaines. Jean-Pierre Chev�nement, lorsqu’il �tait au pouvoir mais aussi dans tous ses essais et discours, s’est donn� pour mission de les exprimer clairement, au profit de citoyens qui seraient tent�s de les oublier.

La R�publique est d’abord la � chose de tous �. Mais il ne s’agit pas d’une � chose � dont chacun pourrait se disputer les d�pouilles. C’est le bien commun et l’int�r�t g�n�ral subsumant les int�r�ts particuliers et les id�ologies, y compris les religions. C’est aussi, comme nous l’avons vu, un corps de textes juridiques et de traditions administratives et politiques permettant � cet int�r�t g�n�ral de se faire entendre malgr� les vicissitudes de la vie quotidienne. C’est plus que cela encore. C’est un v�ritable mythe transmis par la m�moire collective, dont chacun, � sa place, ressent la pr�gnance et o� il peut trouver des guides pour sa conduite imm�diate, pour le choix entre ses int�r�ts et ceux de la collectivit�. Les fonctions publiques europ�ennes, � la suite de deux cent ans de lutte contre la corruption et les abus de pouvoirs, ont r�ussi � faire vivre ce mythe dans l’esprit de la plupart des fonctionnaires et agents des services publics (23). Le mythe ne leur est pas r�serv�. Dans chaque profession existent des majorit�s de personnes qui supportent les difficult�s de la vie professionnelles et font plus que leur devoir gr�ce � l’intime conviction qu’elles ont de servir le bien public (24).

Ces vertus r�publicaines si r�pandues en Europe devraient rendre d’autant plus s�v�re la r�pression des maffias qui, dans certains pays europ�ens, mettent au contraire l’int�r�t personnel de leurs membres au-dessus des lois, profitant ainsi des efforts et des sacrifices que font pour la collectivit� la majorit� des citoyens. Si l’Europe nous parait une r�f�rence pour l’id�e de r�publique, elle a aussi le triste privil�ge d’avoir �t� et de rester la patrie des maffias criminelles. Certes, l’existence de celles-ci peut relever d’explications scientifiques savantes. Mais la science ne doit pas paralyser la police. Tant que l’Europe n’aura pas �limin� ses maffias, elle ne pourra pas pr�tendre donner des le�ons au monde en mati�re de vie politique.

La social-d�mocratie

La pens�e lib�rale, nous l’avons d�j� constat�, fait de la social-d�mocratie la cause de tous les maux europ�ens. Il faut reconna�tre que les principes de celle-ci, depuis l’apparition des partis socialistes ayant r�pudi� le processus r�volutionnaire, ont inspir� la plupart des politiques europ�ennes depuis la seconde guerre mondiale. Ils le font encore, de fa�on plus ou moins discr�te, mais certaine. C’est pour cette raison que l’Europe demeure un p�le d’attraction pour les flux migratoires. Pourra-t-elle le rester�? Nous le pensons, mais � certaines conditions.

Appelons social-d�mocratie une conception de la soci�t� qui, comme le dit excellemment Hubert V�drine dans son rapport pr�cit� sur la mondialisation, amortit les chocs �conomiques brutaux, n’abandonne personne ni aucune cat�gorie socio-professionnelle, s’accompagne de politiques de solidarit�s et de reconversion nouvelles et cibl�es……Ainsi d�finie, la social-d�mocratie ne se retrouve pratiquement aujourd’hui qu’en Europe (25). Elle suppose des charges sociales et de transfert consid�rables qui, a priori, ne favorisent pas l’investissement. Les autres soci�t�s, m�me les plus d�velopp�es, comme la soci�t� am�ricaine, reposent sur une comp�tition sans piti� entre individus et groupes, laissant sur le c�t� ceux qui ne peuvent s’adapter.

La social-d�mocratie europ�enne pose deux questions : quelle est sa finalit�? Repr�sente-t-elle une voie d’avenir, sinon une r�f�rence pour d’autres pays non-europ�ens, compte tenu de l’approfondissement de la crise mondiale qui rendra la � g�n�rosit� � de la social-d�mocratie de plus en plus lourde � supporter pour ceux qui en financeront les d�penses�?

En termes syst�miques, nous pensons qu’� condition d’�viter des exc�s de protection paralysant toute adaptation, l’objectif consistant � ne pas rejeter les �clop�s, mais au contraire � les soigner pour les remettre au combat, constitue le B.A. BA de tout commandement bien avis�. Comme pour une unit� militaire ou une entreprise, l’unit� et l’�nergie d’un Etat - nous venons de le voir pr�cis�ment en pr�sentant le concept de r�publique - tient � l’id�e que s’en font ses ressortissants. Si les individus se consid�rent comme enr�l�s par un monstre froid qui les exploitera jusqu’au bout de leurs ressources et s’en d�sint�ressera ensuite, ils ne manqueront pas de trahir � la premi�re opportunit�. Ils pourront aussi chercher dans les institutions religieuses, sinon dans des associations plus ou moins criminelles, les secours mat�riels que la soci�t� leur refuse. La social-d�mocratie repose sur l’id�e oppos�e que les individus donnent plus ou moins d’eux-m�mes selon l’int�r�t que leur porte la structure dont ils font partie. Les co�ts de la protection sociale sont certes �lev�s et s’imputent dans un premier temps sur des budgets qui pourraient - en principe - s’en servir pour financer des investissements productifs. Mais ils sont compens�s par les efforts de productivit� et autres exploits grands et petits que feront des personnes se sentant au sein de la social-d�mocratie comme- selon l’expression qu’aiment bien les militaires - au sein d’une grande famille. Le concept de social-d�mocratie pourra alors �tre consid�r� comme porteur de valeurs dynamisantes. Il fera appara�tre des formes d’organisation soci�tale capables, dans la meilleure des hypoth�ses, de se transcender elles-m�mes.

Ceci admis, jusqu’o� peut aller la protection sociale, � un moment o� la comp�tition due � la mondialisation s’accro�t, o� les flux migratoires vers les pays r�put�s riches augmentent et o�, enfin, des investissements technologiques co�teux seraient de plus en plus n�cessaires pour pr�parer l’avenir�? En d’autres termes, quel serait l’avenir de la social-d�mocratie en Europe, compte-tenu des diverses crises environnementales, �conomiques et politiques qui s’annoncent�? Il s’agit d’une question difficile qui ne peut �tre trait�e s�rieusement dans le cadre de cet essai.

Disons seulement ici que cette perspective essentielle ne doit pas rester de la responsabilit� seule des gouvernements nationaux. Sans entrer dans des d�bats politiques concernant les cons�quences sur l’activit� �conomique de la protection sociale oppos�e � un lib�ralisme de type thatch�rien, les institutions europ�ennes devraient s’impliquer progressivement dans la r�alisation d’un v�ritable espace social europ�en. Ce concept reste encore principalement d�fendu par les partis socialistes et les syndicats europ�ens. Il devrait, sous des formes raisonnables, devenir un objectif commun. On pourrait le concr�tiser par divers instruments permettant la mobilit� des travailleurs tout en leur garantissant le maintien de droits du travail et de protections sociales minima constantes. Le terme de flexis�curit� europ�enne a �t� propos�. La flexis�curit� peut s’entendre au niveau des r�mun�rations et des emplois, mais elle peut �tre �tendu � la protection sociale. Dans ces divers cas, un � minimum vital � devrait �tre garanti aux travailleurs, voire aux citoyens europ�ens, quels que soient leurs m�tiers et leurs r�sidences. Son acceptabilit� d�pendra du niveau des garanties fournies et de celui des contr�les, destin�s � ce que ce syst�me ne profite pas aux parasites. Mais d’une fa�on g�n�rale, une telle s�curit� ne pourrait consister � aligner les pays les mieux prot�g�s, la France, l’Allemagne, par exemple, sur ceux o� rien de tel n’existe encore. Ce sera un alignement vers le haut qu’il faudra viser. Pour maintenir l’investissement productif et l’emploi, il faudra abandonner, dans ce domaine comme dans les autres, une r�f�rence au lib�ralisme absolu que nous jugeons incompatible avec le survie de l’Europe (26).

Un tel d�fi ne se r�glera pas au niveau de chacun des Etats-membres, mais pourra-t-il l’�tre au niveau de l’Europe � 27�? Elle supposerait d’�tre abord�e au sein d’un gouvernement �conomique et social de l’Europe. Or, dans les prochaines ann�es, nous ne voyons que l’Euro-groupe, d�j� �voqu� plusieurs fois ici, qui soit capable de se comporter en puissance � l’�gard des autres puissances mondiales. In�vitablement, la social-d�mocratie europ�enne telle qu’envisag�e ici devra se consid�rer comme oblig�e de d�fendre ses fronti�res contre des adversaires ne faisant aucun cas des valeurs auxquelles elle se r�f�re. Les fronti�res politiques et administratives de l’Europe devront ainsi fermer la porte, sans craindre des mesures de r�torsions, � l’importation de biens et services en provenance de pays ne tenant aucun compte des principes environnementaux ou sociaux que l’Europe s’efforcera de mettre en application � l’�gard de ses membres.

Les fronti�res devront prohiber les trafics frauduleux d’argent et de marchandise. Selon des modalit�s sp�cifiques, la question de l’immigration devra aussi �tre trait�e de cette fa�on. Si l’Europe estime, comme nous l’�crivons ici, qu’elle doit, pour des raisons morales et d’efficacit�, se comporter en social-d�mocratie, elle doit aussi s’efforcer d’obliger ses partenaires et voisins � faire de m�me. Nous pensons en particulier � la Russie et aux pays frontaliers, � la Turquie et aux pays du sud de la m�diterran�e participant aux accords euro-m�diterran�ens actuels ou futurs. Ceci ne se fera pas par des discours mais par des mesures capables de p�naliser ceux qui persisteront � refuser l’id�al social-d�mocrate europ�en.

Exigence et vivacit� critique de la philosophie

La troisi�me des valeurs dynamisantes dans lesquelles, selon nous, les soci�t�s europ�ennes pourraient se reconna�tre, rel�ve de ce que l’on pourrait appeler autrement le pouvoir de l’esprit. Il ne s’agit pas de faire allusion � un spiritualisme d’inspiration religieuse, r�pandu dans le monde entier et dont les abus, lorsqu’il p�n�tre la sph�re politique, nous paraissent infiniment plus dangereux que les avantages pr�tendument apport�s � la paix sociale. Nous pensons par contre � la grande tradition philosophique et scientifique h�rit�e des penseurs grecs du 6e et 5e si�cle et dont le si�cle des Lumi�res europ�en s’est inspir� dans les ann�es ayant pr�c�d� la r�volution fran�aise. Pendant tout le XIXe si�cle puis le XXe, cette tradition s’est �panouie sous des formes un peu diff�rentes mais toujours coh�rentes, notamment mais pas exclusivement, en Allemagne, en France et en Grande Bretagne. Les penseurs et savants qui l’ont illustr�e font encore r�f�rence dans le monde entier. Leurs �l�ves s’y sont r�pandus partout, en f�condant la vie intellectuelle, philosophique et scientifique.

Certes, ses d�viances ont �t� nombreuses. En leur nom ont �t� commis bien des crimes. Certes aussi, l’Europe n’a plus le monopole de cette forme de pens�e.. Mais c’est encore en son sein que son inspiration demeure la plus pure. La tradition europ�enne de la philosophie critique est partout pr�sente dans les laboratoires, dans les enseignements, dans les m�dias, dans le monde associatif. Elle a pu se tenir relativement � l’�cart des enjeux de pouvoirs, des conflits nationalistes, des perversions par des retours de religiosit� agressives. Il ne lui manque que peu de choses, un peu plus d’attention des opinions publiques europ�ennes peut-�tre, pour redevenir le moteur de la cr�ativit� spirituelle la�que qu’elle a toujours �t�.

Qu’appelons-nous donc ici philosophie critique�? Le terme n’est pas consacr� par le langage courant. Disons qu’il s’agit d’une forme de pens�e inspir�e directement par le questionnement philosophique. Elle ne consid�re aucun concept, aucun raisonnement comme acquis d�finitivement, ne n�cessitant pas des remises en question, des renouvellements permanents. Elle est de ce fait � la base du refus des id�es re�ues ou impos�es. Elle retrouve sur ce plan les traditions de la pens�e anarchiste encore bien repr�sent�e par des �crivains comme Miguel Benasayag et Bernard Stiegler, pour ne citer qu’eux. La philosophie critique fonde la cr�ativit� intellectuelle sur la mise en �vidence de la faille dans les pens�es dites uniques (27) et les lieux communs. Elle recherche constamment de nouvelles solutions offrant des synth�ses ou des aper�us plus satisfaisants. Bien s�r, elle s’organise en �coles de pens�e qui peuvent s’opposer, les plus anciennes ayant tendances � se durcir en certitudes sous les assauts des plus r�centes. Mais dans l’ensemble le mouvement vers la critique, la recherche et la cr�ation est continu et, heureusement, incontr�lable par les pouvoirs.

Le champ o� s’exerce la philosophie critique est d’abord celui des convictions philosophiques sous toutes leurs formes. En art, elle a soutenu nombre de mouvements d�-constructifs f�conds. Mais c’est aussi et de plus en plus dans le champ des hypoth�ses et des th�ories scientifiques que s’exerce la philosophie critique. Le d�veloppement permanent de nouveaux instruments pour l’analyse du monde et pour l’exp�rimentation lui ouvre dor�navant des perspectives en constante effervescence. Le renouvellement des hypoth�ses scientifiques sur le cosmos, la vie, la conscience, les organisations sociales est constamment bloqu� par les int�r�ts �tablis, civils ou religieux, qui voudraient se r�server la description du monde, au profit de leurs profits mat�riels et de la conqu�te des esprits dont ils vivent. La philosophie critique, notamment lorsqu’elle est appliqu�e au domaine scientifique, met constamment leurs strat�gies en d�faut. On le voit notamment aujourd’hui en Europe. Le mat�rialisme scientifique -�philosophie mat�rialiste incluant la pens�e scientifique�-, que nous consid�rons comme la forme la plus haute de la philosophie critique inspir�e des Lumi�res, y trouve les meilleurs terrains pour r�sister � l’endoctrinement des fondamentalismes religieux et sectaires qui se multiplient, y compris malheureusement aux d�pends de la science et de la philosophie la�que am�ricaine, filles de la pens�e europ�enne (28).

De la philosophie et de la science d�coulent des propositions int�ressant l’organisation sociale et politique. Ces derni�res, comme les pr�c�dentes, ne doivent pas se traduire par des mod�les impos�s dont les citoyens devraient s’inspirer sans discussion. La discussion d�mocratique de toutes les pr�tendues certitudes, de tous les mots d’ordre, en d�coule. Elle constitue et devrait constituer de plus en plus le soubassement sur lequel se fondera la d�mocratie et la r�publique europ�enne. Cette discussion ne doit pas impliquer seulement les � �lites �. Id�alement, gr�ce aux m�dias modernes, elle doit prendre naissance ou se prolonger dans toutes les couches des populations et des cultures.

Encore une fois, lorsque nous consid�rons le monde tel qu’il est aujourd’hui, nous ne voyons nulle part ailleurs qu’en Europe, survivre un tel climat de lib�ralisme intellectuel et de cr�ativit�. Faisons en sorte qu’il ne s’agisse pas d’une simple survivance mais de nouveaux d�parts ouvrant � la pens�e moderne les territoires qui lui permettront de survivre dans la crise des fondamentaux qui s’annonce (29).

1/ Jean-Paul Baquiast. Pour un mat�rialisme fort, op. cit.

2/Pour reprendre le nom dont un artiste a jug� bon r�cemment de s’affubler.

3/En robotique, un exosquelette est une armature externe qui permet de remplacer les membres paralys�s chez certains handicap�s.

4/Guy Verhofstadt, “Les Etats-Unis d’Europe”, Luc Pire, 2006

5/Que l’Union europ�enne devra encourager, comme priorit� de sa politique culturelle.

6/Le � web s�mantique � et ses applications � l’image et au son visent � faciliter cette recherche de sens sous-jacents.

7/Est-il n�cessaire de noter que la lecture rapide de 3 ou 4 journaux en ligne, avec les centaines de r�actions de lecteurs accompagnant chaque article, fussent-elles globalement d’assez bas niveau, donne � toute personne voulant s’informer de l’�tat de l’opinion, en � peine un heure, un aper�u inenvisageable auparavant.

8/On tourne parfois en d�rision le citoyen du Middle West am�ricain, ne parlant qu’un mauvais anglais, ne connaissant du monde que quelques clich�s et ne se sentant � l’aide que dans un fast-food, m�me s’il voyage dans des pays � la riche culture. Malheureusement, c’est ce citoyen qui a h�rit� des armes de la puissance et peut imposer sa sous-culture au reste de l’univers.

9/ Nous faisons ici un pari optimiste, pr�f�rable au jugement pessimiste selon lequel l’Europe est plus riche que les autres parties du monde en imb�ciles vaniteux et enferm�s dans leur �go. Que penser par exemple des couples ��d’intelligence sup�rieure�� qui ach�tent des ��hummer�� engin militaire am�ricain maintenant disponible en version civile, au motif que s’ils ont l’argent pour le faire, pourquoi se priveraient-ils de cette jouissance rare�?

10/Jean-Paul. Baquiast, Pour un principe mat�rialiste fort, op.cit.

11/Alain Cardon, op. cit.

12/Nous n’aborderons pas ici la question de savoir si la Turquie a ou non vocation � entrer dans l’Union Europ�enne, quand et � quelles conditions. Tout � �t� dit sur cette question pour le moment. Le lecteur devrait pouvoir trouver dans les propos de notre essai assez d’�l�ments pour se forger � lui-m�me une opinion, s’il n’en avait pas encore.

13/Ou plus exactement irano-islamique. Les Turcs semblent plus attir�s par l’influence de l’islam perse que par le panarabisme.

14/C’est de ce point de vue que l’on peut appliquer � l’Union europ�enne le concept introduit par Gilbert Chauvet (op.cit) dans le domaine de la physiologie int�grative. C’est une association auto-stabilisatrice.

15/Jean-Pau lBaquiast, op.cit. Voir aussi Baquiast-Cardon, “Entre science et intuition, la conscience artificielle”. Editions Automates Intelligents 2003.

16/ Ce livre n’est pas un trait� de morale sociale. Nous ne discuterons donc pas ici des choix que nous proposons au lecteur. Chacun se fera � leur propos sa propre opinion.

17/D�claration Universelle des Droits de l’Homme : http://www.un.org/french/aboutun/dudh.htm

18/Dans quelques ann�es s’y ajoutera la d�fense des droits des robots, dans la mesure o� ceux-ci auront acquis des formes �volu�es de conscience.

19/L’�tude des religions, comme celle d’autres comportements pouvant donner mati�re � d�viances, suppose des pr�cautions exceptionnelles. Dans le primaire et m�me le secondaire, elle peut r�veiller des oppositions entre les enfants, attis�es - comme toujours en ce cas - par des adultes pour qui la neutralit� religieuse est un mal absolu.

20/Sur ce point, voir Baquiast, “Pour un principe mat�rialiste fort”, op.cit.

21/Loi du 9 d�cembre 1905 relative � la s�paration des �glises et de l'�tat http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/eglise-etat/sommaire.asp

22/ Nous ne disons pas que l’Am�rique n’est plus une d�mocratie, au moins en interne. Mais il faut de plus en plus chercher les d�mocrates et les libres-penseurs � la loupe. Ind�niablement c’est dans la presse non-conformiste, certains blogs, les universit�s que l’on trouve encore l’esprit lib�ral am�ricain qui avait tant attir� dans ce pays au tournant de la guerre au Viet-Nam.

23/ Les hommes ne sont jamais parfait. Les responsables de personnel, dans toutes les administrations, m�me celles r�put�es les plus exemplaires, savent qu’il existe un taux incompressible de 5% d’agents devant �tre sanctionn�s disciplinairement ou judiciairement pour � bavures �.

24/Le po�me de Victor Hugo, � Les soldats de l’An II �, dans � La l�gende des si�cles �, exprime bien ce mythe.

La tristesse et la peur leur �taient inconnues.
Ils eussent, sans nul doute, escalad� les nues
Si ces audacieux,
En retournant les yeux dans leur course olympique,
Avaient vu derri�re eux la grande R�publique
Montrant du doigt les cieux ! .

25/ Le Royaume Uni est-il une social-d�mocratie�? Certains de ceux qui connaissent la duret� de la comp�tition qui y r�gne affirmeront qu’elle ne l’est pas. Mais l’actuel gouvernement travailliste s’efforce actuellement de revenir sur les rudesses de l’�re � Thatcher �.

26/ Le secr�taire g�n�ral de la Conf�d�ration europ�enne des syndicats (CES) est scandalis� par les �checs r�p�t�s de l'Europe sociale, qu'il s'efforce de promouvoir. Il y a moins d'un mois novembre 2007) , il a remis au pr�sident de la Commission europ�enne une p�tition de 510 000 signatures en faveur d'une directive sur les services publics. M. Barroso de son propre chef a dit non. Une semaine plus tard, c'est la question de la flexis�curit� qui revenait � l'ordre du jour. La CES craint que la flexis�curit�, cens�e combiner flexibilit� et s�curit�, ne soit interpr�t�e ��comme un permis de licencier plus facilement et d'adopter des formes de travail plus pr�caires��. La Commission puis le conseil des ministres ont adopt� une s�rie de principes, que le Parlement europ�en aurait souhait�e “plus �quilibr�e”. La CES a aussit�t appel� les gouvernements � se ranger � l'avis des eurod�put�s. La flexis�curit�, dit-elle, doit prot�ger l'emploi, et non le d�truire. La Commission n’est pas revenu sur ses principes.

Mais il y a plus grave. Deux directives sociales, auxquelles les syndicats europ�ens accordent une importance particuli�re, ont �t� bloqu�es, une fois de plus, au conseil des ministres, en raison du refus obstin� de la Grande-Bretagne, soutenue par l'Allemagne. Ces deux textes visent � renforcer la protection des salari�s, l'un en limitant � 48 heures la dur�e hebdomadaire du travail, sauf d�rogations strictement encadr�es, l'autre en reconnaissant aux int�rimaires les m�mes droits qu'aux travailleurs permanents. Les Britanniques et leurs alli�s, au nom de la d�fense de l'emploi, s'opposent � ces contraintes.

Ces deux directives, explique la CES, expriment la volont� des syndicats de fixer une limite au pouvoir des march�s. Elles proc�dent du souci de rendre la mondialisation plus �quitable. Leur blocage donne raison � ceux qui jugent abusive toute tentative de r�glementation. Un coup s�rieux est ainsi port� aux ambitions sociales de l'Union europ�enne. Le progr�s social au sein de l'Union europ�enne n'a pas suivi le d�veloppement du march� int�rieur. Cette carence risque de d�tourner les peuples de la construction europ�enne. Source Thomas Ferenczy, Le Monde, 13/12/2007.

27/Ce terme tr�s � la mode devrait �tre �vit� car il est g�n�ralement utilis� pour stigmatiser la pens�e de l’adversaire politique, de quelque bord qu’il soit. Nous pouvons le retenir cependant car il est vrai que les id�es dominantes prennent souvent une forme dictatoriale, en s’affirmant comme les seules recevables. Le ph�nom�ne ne date pas d’hier.

28/Nous pr�cisons ces points dans notre conclusion.

29/Voir � nouveau, sur ces questions ; Jean-Paul Baquiast, “Pour un principe mat�rialiste fort”, op.cit.

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