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Le calculateur virtuel plan�taire qu’est le web est aujourd’hui plus complexe que le cerveau humain et a d�pass� le seuil des 20 petahertz de puissance que Ray Kurzweil consid�re comme n�cessaire � l’apparition de l’intelligence. Dans 10 ans, il sera partout. La super-intelligence plan�taire �mergera-t-elle, non d’un super-calculateur, mais du web ? Plusieurs syst�mes techno-scientifiques prennent
dans le monde actuel une importance industrielle et �conomique
telle qu’ils apparaissent dot�s d’une vie autonome,
pouvant l�gitimement les faire qualifier de super-organismes d’un
genre nouveau, quasi-monstrueux au regard de ce qu’�tudient
habituellement les sciences sociales. L’opinion g�n�rale
et plus particuli�rement celle de leurs dirigeants est que ces
syst�mes sont parfaitement sous contr�le. Les responsables,
aux d�tails d’ex�cution pr�s, se disent en
�tat de planifier leur d�veloppement, pr�voir leurs
effets pervers et rem�dier, en cas de besoin, aux accidents de
parcours. Les gouvernants, qui ne demandent qu’� �tre
rassur�s, ont longtemps cru ces affirmations - sauf, ces
derni�res ann�es et dans certains cas seulement, �
prendre, au nom du principe de pr�caution, des r�glementations
non suivies de mesures d’applications qui donnent une fausse impression
de s�curit�, alors que les situations dangereuses continuent
� s’aggraver. On le voit clairement aujourd’hui en
mati�re de contr�le des �missions de gaz �
effets de serre (GES) , globalement un �chec. Les courbes de production
de GES pour les prochaines d�cennies sont toutes ascendantes. Les sp�cialistes des catastrophes �voquent quelques unes des raisons faisant que, malgr� toutes les mesures pr�ventives, les grands syst�mes technologiques sont incontr�lables, aussi bien en th�orie qu’en pratique. Ils sont opaques et rendus encore plus opaques par la volont� de leurs dirigeants qui veulent �chapper aux regards indiscrets. Mais ce faisant, les dirigeants eux-m�mes se privent des moyens de conna�tre leurs propres ressources et d’�valuer l’efficacit� de leurs actions. Ils mettent en jeu tellement d’int�r�ts �conomiques, chez les sous-traitants, les fournisseurs, les clients, les salari�s, les collectivit�s territoriales, que nul ne veut envisager de r�formes en profondeur. Le capitalisme financier, la recherche du profit � court terme s’accompagnant du refus de toute r�glementation publique protectrice de l’int�r�t g�n�ral, ont ces derni�res ann�es consid�rablement accentu� ces d�fauts (1). Dans les pays �conomiquement et politiquement domin�s, la situation est pire car le droit des citoyens � s’informer, comprendre et r�agir est d�ni� par l’Am�rique, puissance dominante, ayant tr�s bien pris le relais de l’Europe � cet �gard (Voir ci-dessous section 3 : la Th�ocratie am�ricaine.). A supposer m�me que des politiques visant � r�former certains de ces grands syst�mes en vue de pallier leurs effets mortels soient d�cid�es, le temps de l’action politique et administrative est toujours en d�calage avec le temps des r�alit�s �conomiques et sociales. On le voit clairement quand on consid�re le complexe technique, industriel et �conomique constituant le transport routier, associ� � celui des carburants p�troliers. On peut sans dramatiser consid�rer qu’il s’agit d’un v�ritable L�viathan, mettant les �conomies en coupe r�gl�e, pr�levant chaque ann�es des dizaines de milliers de victimes, martyrisant les villes et les paysages. Aujourd’hui, des solutions alternatives existent et pourraient �tre d�velopp�es dans les ann�es prochaines. Mais il faudrait accepter de faire payer au transport routier des tarifs correspondants aux d�penses qu’il impose aux soci�t�s, r�affecter ces sommes au d�veloppement des solutions de remplacement et faire accepter aux citoyens, pendant un temps de transition, des inconv�nients de jouissance que les avocats du transport routier ne manqueront pas de monter en �pingle. Cependant, comment modifier en quelques ann�es les innombrables �quipements lourds et durables existant, en mati�re de voies de communication, de plateformes logistiques, de r�seaux de distribution des carburants, de sites industriels de fabrication et de maintenance ? Comment esp�rer que des gouvernements vont s’engager dans des politiques aussi difficiles et impopulaires, talonn�s qu’ils seront par les repr�sentants des lobbies du transport routier, toujours pr�ts via les relais m�diatiques dont ils disposent � dresser les �lecteurs contre d’�ventuels r�formateurs. On mesure la difficult� en voyant comment des mesures aussi �videntes que celles consistant � limiter la vitesse ont eu de mal � �tre prises et appliqu�es. (2) Nous pouvons en d�duire que, m�me si en th�orie on pouvait s’imaginer que les super-organismes techno-scientifiques du type de ceux implant�s dans les secteurs de l’�nergie, du transport, de la distribution, de l’armement sont contr�lables par la raison humaine, on devrait en pratique reconna�tre que, dans l’�tat actuel des capacit�s de gouvernance sociale, ils ne le sont pas. Ils se d�veloppent selon leurs logiques propres en exploitant, souvent sur le mode de la pr�dation, les ressources naturelles qu’ils pr�l�vent � leur profit dans le milieu terrestre et humain. Ils ne pourraient �tre arr�t�s que par des m�ga-catastrophes, que personne raisonnablement ne peut souhaiter. Pour changer cela, il faudrait d�velopper des outils scientifiques d’observation et de management participatif (�tendu au monde entier) encore inconnus. Ce devrait �tre un programme prioritaire pour les sciences de demain, notamment en Europe dont certains repr�sentants se voudraient un peu exemplaires dans ce domaine. On en est loin et nous ne pouvons que proposer de reporter le d�bat dans un autre cadre (Voir Jean-Paul Baquiast, Pour une Europe super-puissance, Editions Jean-Paul Bayol, � para�tre.). La question se pose diff�remment lorsque certains super-organismes technologiques atteignent ce que l’on pourrait appeler une complexit� intrins�que. Cela semble �tre le cas du r�seau Internet dit aussi ici Web. On pourrait le comparer � un syst�me dynamique tels que l’atmosph�re terrestre. Les propri�t�s chaotiques de celle-ci la rendent indescriptibles et impr�dictibles, sauf � grande �chelle par des m�thodes statistiques. Mais la comparaison ne serait pas suffisante. Les th�oriciens des communications estiment en effet que la complexit� de l’Internet atteint celle du cerveau humain. Ne serait-il pas alors capable de faits de conscience, analogues � ceux que nous avons �tudi�s pr�c�demment, dans les organismes humains ou chez les robots. S’il n’en est pas capable aujourd’hui, ne le deviendra-t-il pas dans un avenir proche. L’hypoth�se surprendra car ce sont partout des humains qui sont utilisateurs du web ou responsables de son fonctionnement. Comment pourraient-ils �tre d�poss�d�s ? La question m�rite cependant d’�tre pos�e, quand on consid�re que l’Internet et tous les r�seaux et services associ�s h�bergent d�j� pratiquement toutes les connaissances humaines. S’ils se r�v�laient capables de les utiliser pour leur propre compte, aucun savant humain ne pourrait rivaliser avec eux. Ils prendraient donc le pouvoir.
Le Web, nous rappelle Kevin Kelly, est devenu un super-organisme d'une nature et d'une taille encore jamais vues sur Terre � ce jour, du moins dans le domaine des syst�mes cr��s par l'homme. D'ores et d�j� il comprend plus de 1 milliard de correspondants potentiels, c'est-�-dire de machines capables d'�mettre et de recevoir des messages : PC, t�l�phones portables, objets (3). Ceux-ci ont g�n�r� pr�s de 50 milliards de pages. Dans 10 ans il connectera des milliards voire des dizaines de milliards de terminaux de toutes sortes et aura cr�� un nombre de pages et messages pouvant atteindre le milliard de milliard. Derri�re ces machines il y aura des utilisateurs, humains et automates. Dans une vision encore courante du Web, la grande majorit� de ces utilisateurs s'informent, c'est-�-dire consomment passivement des informations cr��es par une petite minorit� d'entre eux. Nous sommes en face d'un syst�me � flux descendant, qui n'est pas tr�s diff�rent, hors sa taille, du syst�me de cr�ation et de diffusion des contenus d'information caract�risant les m�dias traditionnels, y compris la presse et la litt�rature depuis des si�cles. Mais dans la vision qui tend aujourd'hui � pr�valoir, les utilisateurs produisent et diffusent des contenus en m�me temps qu'ils en consomment. Ils les produisent soit en retraitant directement des informations qu'ils ont pr�lev�es sur le web (je lis un texte en ligne et cela me sugg�re des r�actions, c'est-�-dire des id�es originales que j'�dite) soit m�me en cr�ant des contenus de leur propre chef (je cr�e un site o� je publie par exemple l'histoire de ma vie…). Autrement dit, les utilisateurs, sans cesser d'�tre consommateurs, deviennent aussi auteurs, en cr�ant de l'information que d'autres consommeront. De ce fait, ils constituent un nouveau pouvoir, face aux anciens d�tenteurs de l'information et des savoirs, qui tentent mais en vain d'en conserver le monopole (4). On retrouve toutes ces questions dans les d�bats actuels sur les droits d'acc�s � la culture num�rique. Outre ces constatations qui tendent � devenir banales, Kevin Kelly rappelle ce que nous devrions savoir. D'une part, toute d�marche, de lecture ou d'�criture sur le Web, est m�moris�e quelque part, sans limite de temps, sauf quand des serveurs disparaissent (et encore. Leurs donn�es sont g�n�ralement reprises ailleurs). Ceci signifie que se cr�ent � chaque fois des liens nouveaux entre donn�es jusqu'ici non reli�es. Si je vais lire le contenu d'un site, je cr�e un lien entre mon adresse IP et celle de ce contenu. Si je fais davantage, en publiant un lien hypertexte sur ce site, je �durcis� le lien et le fait conna�tre, potentiellement, au monde entier. Le Web devient donc une gigantesque m�moire, qui, 24h sur 24, n'arr�te jamais de travailler et de s'�tendre. Nous avons vu que parmi ce que nous avons appel� des utilisateurs, se trouvent de plus en plus d'automates et d'objets. Je suis �trac� par diff�rents objets qui m�morisent les liens, physiques ou virtuels, que j'�tablis sans cesse dans ma vie sociale : ainsi je passe tel p�age, je vais chez tel commer�ant, etc. Ceci inqui�te beaucoup de gens mais n'est qu'un aspect particulier de l'immense r�seau de contenus m�moris�s dans lesquels chacun s'inscrit d�s qu’il proc�de � la moindre activit� d�bordant le cadre de son for int�rieur. On consid�re g�n�ralement, non sans
raison et comme nous l'avons rappel�, que le Web est un immense
r�seau interconnectant physiquement (m�me si toutes les connections
ne sont pas � tous moments activ�es) des centaines de millions
de machines. Mais si l'on prend en consid�rations tous les liens
qu'il a m�moris�s entre pages et contenus de pages, on atteint
les milliards de milliards d'objets virtuels. Nous employons le terme
d'objets virtuels car ceux-ci sont tr�s proches de ce que Jean-Pierre
Changeux avait appel� des � objets mentaux � dans son
livre fondateur, l'Homme neuronal. Les objets mentaux de J.P. Changeux
sont contenus dans notre cerveau et mat�rialis�s par les
liaisons synaptiques plus ou moins persistantes s'�tant �tablies
entre neurones -notamment dans le cortex associatif - au long de
notre vie. Comment qualifier l'assembl�e ou collection des objets virtuels (ou synapses num�riques) que nous venons d'�voquer, faits de liens m�moris�s sur le Web ? On peut dire qu'ils repr�sentent un mod�le dynamique d'un monde plus g�n�ral, celui o� s'exerce l'activit� des humains et de leurs machines. Ce mod�le dynamique est un monde physique � lui seul, fait de ces r�alit�s (physiques) que sont les informations et liens entre informations figurant dans les serveurs et dans les r�seaux de connexions entre serveurs. Nous pouvons le nommer monde num�rique, afin de le distinguer d'autres types de mondes cr��s par des interconnexions entre objets naturels (par exemple le monde des bact�ries, souvent lui-m�me qualifi� de "web bact�rien"). Le monde num�rique se construit sans cesse, du fait de l'interaction permanente des humains et de leurs machines avec un monde biologique et physique plus g�n�ral. Nous nommerons ce dernier l'Univers, afin de ne pas le confondre avec le monde num�rique qui le repr�sente. - Rappelons que pour le physicien Seth Lloyd, ceci n’est qu’un aspect tr�s ponctuel du fait que l’univers est un immense syst�me computationnel - et qui plus est, ce que n’est pas encore le web - computationnel sur le mode de l’ordinateur quantique (chapitre 1) - Le monde num�rique est-il un reflet passif de l'Univers, comme peut l'�tre l'image d'un animal dans un miroir ? Non pas et pour plusieurs raisons. La premi�re est que, d�s qu'un utilisateur du Web, homme ou machine, introduit un nouveau lien, ce lien sera per�u et pris en compte par un autre utilisateur, qui modifiera en cons�quence, d'une fa�on non pr�visible mais ind�niable, son propre comportement, c'est-�-dire son action sur l'Univers. Si je lis sur un site web que je dois r�duire mes �missions de CO2, je m'efforcerai de le faire (A moins que, hypoth�se qu‘il faut toujours envisager, je d�cide sciemment de faire le contraire, par esprit de contradiction.) et j'agirai ainsi effectivement sur l'univers physique et biologique. Ceci tient au fait que les utilisateurs ne sont pas inactifs mais constituent des � agents pro-actifs �, selon l'expression de l'Intelligence Artificielle. Ile le sont d'autant plus qu'ils sont dot�s en propre, gr�ce � la possession d'un cerveau biologique et de contenus culturels accessibles � ces derniers, d'une aptitude � la cr�ation autonome (pour ne pas parler de conscience) que n'ont pas forc�ment les machines - du moins en leur �tat actuel. Mais la pro-activit� des agents humains n'est pas seule cr�atrice de nouveaux liens ou objets virtuels. Lorsque les liens g�n�rent eux-m�mes, par leurs interactions, de nouveaux contenus et que ces contenus arrivent � influencer des utilisateurs, hommes ou machines, ces nouveaux objets modifieront de leur propre chef, par �mergence, selon le terme consacr�, le comportement des agents. Ils modifieront par cons�quent les effets qu'exercent ces comportements sur la marche de l'Univers. Mais est-ce possible, sans interventions humaines ? Oui, du fait de l'activit� de tous les automates qui dor�navant op�rent sur les donn�es du Web afin de les recenser, les analyser, les r�sumer et les transformer. Si un moteur de recherche du type de celui propos� un temps par Microsoft rassemblait de lui-m�me toutes les traces que j'ai laiss�es ma vie durant sur le Web, dressait le portrait ou plut�t le profil de moi qui en d�coule, et communiquait ce profil - soit � moi soit � d'autres - il modifierait in�vitablement les comportements de ceux ayant connaissance de ce profil et donc la fa�on dont ceux-ci interagiraient ult�rieurement avec l'univers ext�rieur. Pour prendre un exemple caricatural, si un tel profil �tabli automatiquement montrait que je suis un esprit tr�s cr�atif, je pourrais postuler un poste dans une entreprise de cr�ation o� j'inventerais peut-�tre une machine capable de modifier durablement l'univers. Plus g�n�ralement, le r�seau des serveurs et pages interconnect�s g�n�rera in�vitablement des m�mes (Voir chapitre 5, section 2) . Les m�mes, nous l’avons vu, sont des id�es ou images qui se d�veloppent et se reproduisent spontan�ment, comme des virus, sur le mode de la s�lection darwinienne, au sein des r�seaux de communications animaux et humains. Dans une soci�t� classique, leur importance est fonction de la densit� des �changes entre individus et groupes. Dans un syst�me profond�ment c�bl� et interactif, elle a toutes les chances d'augmenter consid�rablement. C'est ainsi que les effets de mode, concernant des informations vraies ou fausses, sont particuli�rement rapides � na�tre sur le Web et parfois � y prendre des dimensions mondiales. Nous voyons donc se mettre en place une M�ga-machine, incluant et transcendant l'activit� des humains et de leurs petites machines. Cette Machine comptera d�sormais de plus en plus parmi les agents physiques et biologiques influant sur l'�volution de l'Univers, au moins � l'�chelle de la Terre et de son environnement imm�diat. Il faut ajouter un point tr�s important : la M�ga-machine n'est ni descriptible en totalit� ni, �videmment pr�dictible, par aucun homme ou syst�me que ce soit. Il s'agit donc pour reprendre le terme de Victor Hugo, d'une � force qui va � mais nul ne sait o� elle va. Le seul argument qui rassurera les esprits craintifs est qu'elle d�pend totalement de la technologie. Qu'une guerre nucl�aire ou un cataclysme d�truise les r�seaux et les serveurs, la Machine s'effondrera…mais probablement avec elle toute soci�t� humaine un tant soit peu �volu�e. Resteront les proph�tes et fanatiques religieux
des premiers �ges, pr�chant dans les foires et march�s.
Ceci admis, le Web constitue-t-il v�ritablement
un super-cerveau, cr�ateur d'une super-intelligence ? Pour r�pondre
� cette question capitale, il faut s'entendre sur ce que l'on entend
par cerveau et intelligence, en prenant pour r�f�rence ce
que nous connaissons de l'un et de l'autre dans l'�tat actuel des
connaissances scientifiques. Le cerveau, comme le web, ne peut fonctionner sans un � corps �. le cerveau, biologique ou robotique, n'a pas de capacit�s cognitives s'il n'est pas reli� � un corps qui le distingue de l'univers ext�rieur et avec lequel il interf�re en permanence gr�ce � des organes sensoriels (ou senseurs) et des organes moteurs (ou effecteurs). Il s’agit d’une premi�re ressemblance. Ce sont les donn�es re�ues par ces organes qui constituent les objets mentaux synaptiques contenus dans le cerveau. Ce sont �galement celles �mises par eux qui modifient en retour l'univers dans lequel se meut et survit, non seulement le cerveau mais le corps tout entier. Or la Machine du web a-t-elle un corps et est-elle dot�e de senseurs et d'effecteurs ? A priori, sans entrer dans les d�tails, nous pouvons r�pondre par l'affirmative. Son corps et ses organes sont faits des innombrables utilisateurs du web, humains ou machines. C'est un corps tr�s r�parti, mais il se distingue de l'univers ext�rieur, y compris des humains non connect�s, par divers traits physiques. De plus et surtout, il dispose des organes sensoriels et effecteurs des humains connect�s et de leurs propres machines. La structure ainsi form�e n'est pas tout � fait comparable � l'ensemble des neurones constituant le cerveau. Elle ressemble plut�t � ce que l'on appelle un essaim ou une meute (swarm). Autrement dit, il s'agit plut�t d'un super-organisme que d'un organisme mais les diff�rences, � notre niveau d'approche, ne sont pas significatives. Le fait que les humains connect�s au Web disposent de capacit�s propres de repr�sentation, gr�ce � leurs cerveaux et leurs cultures individuelles, ne change pas grand-chose dans le sch�ma d'ensemble o� ils sont assimil�s � des neurones c�r�braux plus ou moins passifs participant au fonctionnement du Web. On peut en effet consid�rer que si ces cerveaux et intelligences individuelles enrichissent les capacit�s de recueil et de production d'information des terminaux du Web, leur influence sur celui-ci est n�gligeable � grande �chelle ; Elle reste soumise aux lois statistiques gouvernant la dynamique d'ensemble du syst�me. Ainsi la production des intelligences individuelles � haut coefficient compense la sous-production des intelligences plus modestes. Dans le cerveau d'ailleurs, comme sur le Web, tous les neurones ne sont pas �galement passifs. Quelques neurologues consid�rent qu'un certain nombre d'entre eux ne sont pas de simples machines � transmettre ou � traiter de fa�on lin�aire l'information qui transite par eux. Disposant de millions de connexions synaptiques, ils se comportent probablement, dans certaines zones c�r�brales tout au moins, comme des agents pro-actifs plus ou moins capables de cr�ativit� intelligente. Un neurone, ses dendrites et ses synapses doivent pouvoir, � lui seul et dans certain cas, computer c'est-�-dire cr�er de l'information, par exemple sur le mode des r�seaux de neurones formels. Ils sont donc au moins aussi "intelligents" que certains hommes. Une seconde ressemblance entre le cerveau et le Web tient
� ce que celui-ci joue pour le corps le r�le d'une immense
base de donn�es m�morisant les exp�riences v�cues
par ce dernier. Il s'agit des associations ou objets mentaux pr�c�demment
�voqu�es. Celles-ci sont r�parties � l'int�rieur
des zones c�r�brales h�rit�es g�n�tiquement
o� elles servent de support aux activit�s r�flexes
ou aux m�moires de long terme. D'autres sont stock�es dans
des m�moires temporaires et permettent la m�moire imm�diate.
Certains neurologues consid�rent que le cerveau avec son immense
potentiel synaptique, est tout � fait capable de conserver, sinon
d'utiliser efficacement, l'ensemble des informations re�ues ou
produites par un individu tout au long de sa vie. Nous pouvons donc admettre
que le cerveau sur ce plan, n'est pas tr�s diff�rent du
Web global qui conserve et conservera, sauf destructions occasionnelles,
l'ensemble des donn�es accumul�es depuis sa cr�ation.
En revanche, et c'est la diff�rence essentielle, le cerveau est un syst�me fortement interconnect� et fortement hi�rarchique. Cette hi�rarchisation d�passe de beaucoup celle que nous avons �voqu�e pr�c�demment concernant la s�lection des donn�es qui apparaissent en t�te de liste dans les moteurs de recherche. Elle est absolument syst�mique. Ceci appara�t particuli�rement bien dans l'architecture anatomique et fonctionnelle du cerveau r�v�l�e par l'imagerie c�r�brale moderne. On y voit l'organisation des six couches composant le cortex associatif. C'est la partie du cerveau dite aussi mati�re grise o� l'on situe g�n�ralement le si�ge de l'intelligence et des �tats de conscience. Selon l’opinion tr�s recevable de Jeff Hawkins
(Voir chapitre 3), les exp�riences accumul�es par le cerveau
refl�tent la structure du monde tel qu'il est apparu au sujet tout
au long de sa vie, sous la forme de s�quences d'�v�nements
et de relations entre ces s�quences. A partir de ces contenus de
m�moire, le cerveau fait � tout instant des pr�dictions
qui sont confront�es aux nouvelles exp�riences et m�moris�es
� leur tour apr�s modifications �ventuelles. C'est
ce syst�me de m�moire-pr�diction qui constituerait
l'essentiel de l'intelligence humaine, en organisant les perceptions,
la cr�ativit� et m�me la conscience. Il est �vident
que la M�ga-machine du web, aujourd'hui encore -sauf peut-�tre
sous forme de traces ou d'amorces locales sans cons�quences pratiques
globales- est incapable d'une telle fonction qui permettrait de la pr�tendre
vraiment intelligente. Un autre caract�re propre au cerveau ne se retrouve pas dans le Web, au moins dans son �tat actuel. Dans le cerveau, avec une densit� de plus en plus grande lorsqu'on s'�l�ve dans la hi�rarchie des couches du n�o-cortex, il existe des fibres de liaison qui, gr�ce aux synapses, permettent d'associer les m�moires et donc les pr�dictions formul�es � chaque niveau hi�rarchique. Ce sont ces fibres horizontales qui ont donn� d'ailleurs au cortex son qualificatif d'associatif. L'existence de liaisons horizontales �tait connue depuis longtemps, mais on montre aujourd'hui qu'elles jouent un r�le permanent dans la modulation tant des informations �mises en sortie que des informations re�ues en entr�e, ceci quelle que soit la complexit� des patterns et des s�quences transitant au sein des couches et � travers elles. Un autre point important, qui permet au cerveau, malgr� la lenteur de ses composants primaires, de r�agir vite et de fa�on r�guli�re, est l'invariance des patterns stock�s � chaque niveau du cortex. Il s'agit d'une invariance relative, puisque les s�quences m�moris�es peuvent �tre modifi�es si elles sont contredites par de nouvelles exp�riences. Mais lorsque ce n'est pas le cas, elles peuvent �tre imm�diatement mobilis�es pour produire des pr�dictions et entra�ner des actions s'appuyant sur elles. Ceci ne constitue pas une observation nouvelle. On sait depuis longtemps que le cerveau commande de nombreux comportements sur le mode automatique, par exemple dans le cas de la conduite automobile, l'appel � des solutions plus complexes ne survenant qu'en cas de difficult� inattendue. Cette invariance des patterns ne doit pas �tre confondue, �videmment, avec les boucles sensori-motrices automatiques caract�risant l'ensemble de la vie organique et ne faisant pas intervenir le cortex. Ceci �tant, ce ph�nom�ne de l'invariance des patterns au niveau du n�ocortex est absolument g�n�ral. C'est pourquoi il caract�rise le cortex comme un ensemble de m�moires pr�dictives. Dans chacune des couches et des colonnes, le n�ocortex stocke des s�quences de patterns. Il s'agit d'un stockage auto-associatif, tel �l�ment de s�quence pouvant suffire � faire appara�tre la s�quence enti�re ou des s�quences diff�rentes dans lesquelles il figure. L� encore, c'est l'extr�me connectivit� synaptique du cerveau qui rend possible ces associations. Sur le Web, il existe une certaine invariance des donn�es. Mais elle est tr�s fragile et n'est pas indispensable au fonctionnement d'ensemble. Au contraire. Plus les donn�es "mutent", plus la cr�ativit� globale du syst�me semble en profiter. L'invariance appara�t a posteriori de fa�on statistique, certaines donn�es se r�v�lant plus consult�es que d'autres et orientant la production de nouvelles donn�es. Mais ceci de fa�on g�n�ralement peu permanente. Les donn�es les plus invariantes � long terme sont les donn�es qui ne sont plus consult�es. Elles n'ont donc pas beaucoup d'influence fonctionnelle. Enfin, dans le cerveau, les patterns sont stock�s selon des architectures locales elles-m�mes invariantes et hi�rarchiques. C'est ce caract�re qui assure la permanence bien connue de la m�moire et le fait que les repr�sentations primaires que nous nous donnons du monde s'articulent dans notre esprit en repr�sentations de plus en plus complexes, d�bouchant dans certains cas sur des faits de conscience. Plus on s'�l�ve dans la hi�rarchie, plus les d�tails, importants dans les niveaux inf�rieurs, s'att�nuent au profit des lignes g�n�rales. On voit ainsi appara�tre, au sommet des couches n�ocorticales, des repr�sentations correspondant � ce que l'on appellera en linguistique des concepts ou des noms. Les concepts sont seulement des abstractions �pur�es des d�tails. Ils n'ont pas besoin d'�tre nomm�s par le langage social pour exister et servir � orienter le comportement intelligent sup�rieur. Au plus haut de la pyramide, c'est le concept de � moi � qui synth�tisera l'ensemble des exp�riences pass�es et actuelles enregistr�es par le sujet. Mais de nouveau, on rappellera que la permanence et la hi�rarchie ne sont que relatives. Elles peuvent laisser place � des variantes de repr�sentations ou de hi�rarchies si de nouvelles exp�riences imposent ces changements et si la plasticit� d'ensemble du syst�me permet d'en tenir compte pour assurer la r�adaptation du syst�me � un milieu profond�ment chang�. Inutile de dire que jamais � ce jour on n'a surpris l'existence sur le Web d'une conscience de soi. Ou bien elle n'existe pas (et on ne voit pas comment elle pourrait se former, dans l'�tat actuel de l'interactivit� des r�seaux) ou bien il s'agit d'une forme d'intelligence ou de conscience pr�-humaine, sinon extra-terrestre, que l'on pourrait retrouver dans les webs biologiques �voqu�s au d�but de cet article Que conclure ? Il est inutile de faire de longs d�veloppements pour montrer que l'intelligence globale n'existe pas encore dans le Web, pour la raison principale que celui-ci n'est pas organis� comme un cerveau biologique. Le Web se borne, et c'est d�j� consid�rable, � enrichir (augmenter) les intelligences individuelles et collectives de ceux qui l'utilisent. Cela leur conf�re un avantage comp�titif consid�rable par rapport au reste de l'humanit�. Ce sera sans doute l'objectif des futurs moteurs de recherche et d'�dition que permettre l'�mergence de patterns de repr�sentation de plus en plus globaux, pouvant correspondre � l'apparition sur le Web d'une conscience voire d'une conscience volontaire globale. Sera-ce possible ? Sans doute. Qui en b�n�ficiera ? Les utilisateurs de la p�riph�rie ? Des pouvoirs politiques centraux visant � r�guler ou mobiliser les donn�es du Web � des fins imp�riales ou imp�rialistes ? Bien pire ou bien mieux : ne s'agira-t-il pas d'�mergences informationnelles et computationnelles qui s'imposeront d'elles-m�mes aux hommes connect�s au Web et qui prendront le pouvoir sur eux, comme le pr�disent certains auteurs de science-fiction ? Il semble que nul ne puisse r�pondre � ces questions pour le moment. D'o� la n�cessit� de continuer � observer l’�volution du Web, aux mains de ceux qui s’en servent ou se produisant spontan�ment. Nous sommes sans aucun doute en pr�sence l� d’un prototype des futurs syst�mes intelligents susceptibles de se pr�senter en alternative � l’intelligence terrestre. Deux facteurs acc�l�reront cette �volution. Le premier tiendra au fait que le Web fera �merger des utilisateurs humains de plus en plus comp�tents et ambitieux, qui s’auto-complexieront avec lui jusqu’� atteindre des limites de comp�tences jusqu’ici inimaginables. Il s’agira sans doute de transhumains tels que ceux pr�sent�s � la fin de ce chapitre. Un deuxi�me facteur, plus hypoth�tique mais cependant probable, viendra du fait que tr�s certainement dans l’avenir, des robots autonomes se connecteront au Web de leur propre chef et lui imposeront des modes de d�veloppement correspondant � leurs besoins propres de d�veloppement. Ce sera pour les humains � la fois une chance et un risque.
Depuis 1998, les sp�cialistes de l'Internet d�veloppent, au sein du World Wide Web Consortium, qui est en quelque sorte l'Acad�mie des Sciences et le bureau d'�tude du Web, un nouveau concept intitul� le Web S�mantique. L'inventeur du Web, anobli par la Reine d'Angleterre, Sir Tim Berners-Lee qui est actuellement directeur du W3C, a rappel� plusieurs fois ces temps-ci, dans la presse et lors de la derni�re conf�rence WWW2006 � Edimbourg (http://www2006.org/), l'int�r�t du Web S�mantique en vue de conserver le caract�re ouvert et d�mocratique du r�seau mondial. Peu d'utilisateurs de l'Internet per�oivent encore clairement ce qu'est le Web S�mantique. Pour tout savoir sur le sujet, le mieux est de se reporter aux pages que lui consacre le W3C (http://www.w3.org/2001/sw/). R�sumons cependant de quoi il s'agit. Le Web ordinaire, ouvert � tous les internautes, fait coexister et rend accessibles des milliards de documents. Cet encadr�, s’il �tait publi� sur le Web, serait un document. Les moteurs de recherche savent retrouver un tel document, � partir soit de m�ta-donn�es le d�crivant (nom de l'auteur, date, sujet abord�) soit par des recherches en texte int�gral, pour lesquelles tous les mots de l'article, c'est-�-dire ses donn�es, pourront �tre consid�r�s comme des mots-clefs. Mais m�ta-donn�es ou donn�es d'indexation sont encore difficiles � rassembler. Les recherches en texte int�gral pour leur part, restent co�teuses et ne peuvent actuellement �tre g�n�ralis�es. Aussi, les moteurs de recherche, pour le moment encore, ne savent pas comment traiter les donn�es internes � un grand nombre d'articles, sans acc�der directement aux documents qui les contiennent. Si je recherche le terme Semantic Web sur un moteur, j'aurai une liste tr�s grande (trop grande) de documents abordant le th�me du Semantic Web. Mais je ne pourrai pas savoir pr�cis�ment comment le sujet est trait� dans la litt�rature qui lui est consacr�e. Je ne pourrai pas, par exemple, savoir si le Semantic Web est consid�r� par les auteurs comme un progr�s important, une complication inutile ou bien encore une menace pour les libert�s publiques. La raison de cette impossibilit� tient au fait que les auteurs des articles ne se sont pas mis d'accord sur un sens commun � donner aux termes, c'est-�-dire aux donn�es, qu'ils utilisent. On retrouve l� l'ambigu�t� propre � tous les langages humains et � tous les documents faisant appel � ces langages. Cependant, dans le domaine de la gestion administrative, bien avant l'apparition du concept de Semantic Web, il avait �t� d�cid� de chasser cette ambigu�t� en convenant de significations communes � donner � un certain nombre de documents et d'informations �chang�es. On a commenc� � d�finir des m�ta-donn�es administratives et commerciales en grand nombre (voir http://www.w3.org/Metadata/). Des m�ta-donn�es ont �galement �t� d�velopp�es pour faciliter la documentation automatique. Par exemple, aujourd'hui, une codification commune d�crit l'auteur d'un document, sa date, sa nature et, tr�s sommairement, son objet. Les �diteurs html que nous utilisons tous pour pr�parer un article destin� � une mise en ligne permettent aux auteurs, notamment � travers la rubrique Propri�t�s de la page, de pr�ciser ces donn�es. Si les auteurs ne le font pas spontan�ment, l'�diteur extrait du texte un certain nombre de ces m�ta-donn�es qui seront �dit�s dans l'en-t�te du code source du document. Ces conventions ont permis le traitement automatique � grande �chelle des documents respectant ces standards, en acc�dant directement aux donn�es qu'ils contiennent. Ainsi, en rapprochant par une simple application informatique des milliers de d�clarations en douane utilisant la nomenclature douani�re internationale, il est possible de faire une �tude sur les grands courants d'�change int�ressant, par exemple, les produits p�troliers et d�riv�s.
L'ambition du Web S�mantique est de rendre ce processus applicable au plus grand nombre possible de documents administratifs ou commerciaux, voire � des documents de type �litt�raire� tel que le pr�sent encadr�. Mais pour cela, il faudra que les architectes du Web proposent un cadre commun permettant aux informations contenues dans ces documents d'�tre trait�es comme des donn�es (data) normalis�es. Ainsi ces donn�es pourront �tre partag�es et r�utilis�es ind�pendamment des applications, des entreprises et des communaut�s d'auteurs qui les auront g�n�r�es. Il faudra ensuite que les auteurs acceptent de n'utiliser que des donn�es ainsi normalis�es. Ceci r�duira leur libert� de cr�ation mais facilitera la circulation de leurs productions. Le travail � faire sera consid�rable. Il faudra notamment d�finir, th�mes par th�mes et de fa�on coop�rative, un cadre commun de description des ressources (Resource Description Framework ou RDF) qui utilisera �videmment les acquis syntaxiques (langage XML) ou d'adressage (URL) d�j� offerts par le web. Les informations elles-m�mes seront progressivement normalis�es � travers le Web Ontology Language (OWL). Par ontologie, on d�signe le sens � donner � tel ou tel concept. Il conviendra �videmment de s'accorder sur des sens communs devant �tre attribu�s aux concepts que l'on utilisera. Le W3C pr�cise cela tr�s bien (introduction de http://www.w3.org/2001/sw/). Nous traduisons: " Le Web s�mantique est un web de donn�es. De nombreuses donn�es que nous utilisons tous les jours sont pr�sentes sur l'Internet mais ne sont pas accessibles aux �changes (le Web proprement dit). C'est le cas de mon compte en banque, de mes photographies, de mes dates de rendez-vous. Mais je ne peux pas les rapprocher pour conna�tre par exemple ce que je faisais le jour o� j'ai �t� photographi�, ni l'�tat de mon compte en banque ce jour-l�. Pourquoi ne peut-on pas le faire ? Parce que les donn�es sont encapsul�es dans des applications et que les applications ne sont pas con�ues pour les �changer. Le Web S�mantique porte sur deux choses. Il d�finit des formats communs pour l'�change des donn�es, alors que le Web traditionnel ne d�finit que les modalit�s d'�change des documents. Par ailleurs, il offre un langage commun permettant aux donn�es de renvoyer � des objets du monde r�el d'une fa�on identique. Ceci permet � une personne ou � une machine de construire des bases de donn�es puis des r�seaux de bases de donn�es qui ne seront pas connect�e par des liens physiques mais par le fait qu'elles d�signent des objets identiques". Ainsi, si je veux construire une base de donn�es sur les automobiles, je ne serai pas oblig� de me connecter physiquement � des documents concernant des automobiles que j'aurai du identifier et trouver auparavant. Il me suffira de rechercher les donn�es par lesquels les auteurs auront convenu de d�signer de fa�on normalis�e le concept d'automobile, ceci quel que soit le document ou l'application support de l'information. Tout ceci, on le voit, est plus facile � dire qu'� faire. Quand on conna�t la lourdeur et le co�t des travaux de normalisation des donn�es, tels que ceux entrepris au plan international par l'Edifact Board concernant les donn�es administratives et commerciales, on peut se demander si �tendre l'ambition au traitement de donn�es plus g�n�rales sera utile. Ceci d'autant plus que ce ne seront pas seulement les normalisateurs qui devront travailler, afin notamment d'affiner ou de faire �voluer constamment les normes, mais les auteurs. Ceux-ci devront conna�tre les normes � utiliser et s'efforcer de les respecter du mieux possible, si du moins ils veulent �tre compris par les machines qui interpr�teront leurs cr�ations.
Pour Tim Berners-Lee, qui est un id�aliste, l'enjeu m�rite l'investissement. Dans les articles et interventions que nous avons �voqu�s, il explique que le Web S�mantique constitue aujourd'hui la seule fa�on de sauvegarder l'universalisme et la gratuit� d'acc�s aux informations qui a fait et continue � faire la grandeur du Web. En effet, aujourd'hui, de nombreuses entreprises cherchent � rendre propri�taire et payant l'acc�s � leurs contenus. Or, la philosophie de l'Internet repose sur le concept de neutralit� du r�seau. Chacun a le m�me niveau d'acc�s aux contenus et toutes les donn�es figurant sur le web doivent �tre trait�es de fa�on �gale. Microsoft et Google, c'est � noter, se sont prononc�s publiquement pour la d�fense de cette philosophie. Mais des compagnies de t�l�phone am�ricaines en ont pris r�cemment le contre-pied. Elles veulent d�finir un Internet partag� (two-tier system) o� les �missions des entreprises capables de s'offrir des voies de communication large bande auront priorit� sur les autres. Ceci est recherch�, actuellement, dans la perspective de la diffusion des shows t�l�visuels, tr�s gourmands en bande passante. Mais l'id�e devrait �tre �tendue et g�n�ralis�e � tous usages. Avec le Web S�mantique, cette facturation du temps d'acc�s en fonction du d�bit deviendrait impossible ou tr�s difficile, puisque ce seraient les donn�es elles-m�mes qui feraient l'objet des �changes, sans r�f�rences � leurs auteurs ni � ceux qui les utilisent. Pour Sir Tim, le seul mod�le acceptable reste donc celui o� tous les fournisseurs de contenus payent tous le m�me tarif pour acc�der au r�seau et pour y diffuser leurs donn�es. Ainsi les universit�s et les associations ne sont pas d�favoris�es par rapport aux grosses entreprises, ni en ce qui concerne les facturations ni en ce qui concerne les conditions de connexion. D'o� le r�le �minent vertueux que jouera le Web S�mantique. Les utilisateurs peuvent cependant s'interroger sur l'int�r�t qu'ils trouveront � se couler dans les lourdes proc�dures du Web S�mantique, ind�pendamment du fait que celui-ci permettra de d�courager la segmentation des r�seaux et des tarifications en fonction des capacit�s financi�res des clients. Les textes en acc�s gratuit publi�s sur le mode de l'open source sont accessibles � tous. Les internautes ayant accept� de louer des connections � large bande les re�oivent plus vite que les autres, mais l'�galit� entre eux, � ce d�tail pr�s reste enti�re. Pourquoi alors s’engager dans la d�finition coop�rative de normes d�crivant les donn�es �dit�es, si l’udage permet de s’en passer ? La r�ponse est que cette contrainte permettrait aux auteurs d'assurer une meilleure diffusion de leurs �crits et, au-del� de ceux-ci, de leurs id�es. On retrouvera l�, consid�rablement augment�, l'avantage qu'offrent depuis quelques ann�es les moteurs de recherche. Ceux-ci, en associant sur une base d�sormais tr�s large les r�ponses aux questions, permettent � de tr�s nombreuses personnes qui ne connaissaient pas tel auteur de le d�couvrir, � propos de la r�f�rence aux oeuvres portant sur tel ou tel concept pr�cis qu’il aura utilis�, par exemple, un article portant sur les centrales nucl�aires � eau pressuris�e (PWR). Dans la perspective �largie du Web S�mantique, ce ne serait plus seulement l’article qui serait r�f�renc�, mais le sens que l’auteur aurait donn� au concept de PWR, par comparaison avec de nombreux autres articles traitant du sujet. Ainsi, un internaute cherchant � se documenter sur le concept pourrait trouver, gr�ce au travail de rapprochement fait par l'ordinateur, une vision contrast� du probl�me des centrales PWR, r�sultant du rapprochement des sens diff�rents donn�s par des auteurs diff�rents. La perspective reste encore lointaine, s'agissant de journaux ou ouvrages traitant un grand nombre de sujets diff�rents. En revanche, dans l'imm�diat, il semble que le Web s�mantique pourrait �tre utilis� au sein de l'Education Nationale, par exemple pour mieux informer les �l�ves de l'existence des nombreux documents p�dagogiques en ligne et des modes d'acc�s � ces documents d�sormais mis � leur disposition par les acad�mies ou les �tablissements. Le Web s�mantique pourrait ainsi devenir le compl�ment des �portails �l�ves� ou des �portails �tudiants� qui, au cœur de r�seaux de type Intranet, s'efforcent de faciliter l'acc�s des �l�ves aux ressources p�dagogiques. La charge suppl�mentaire impos�e aux auteurs qui se verraient oblig�s de participer aux travaux d'indexation et de normalisation ne serait pas excessive. Elle ferait en tous cas partie de leur m�tier d'enseignant. D'ores et d�j�, le Web s�mantique est tr�s appr�ci� par les chercheurs scientifiques qui peuvent acc�der gr�ce � lui � de nombreuses donn�es exp�rimentales, afin de les analyser automatiquement.
Mais, contrairement � ce que pense Tim Berners-Lee, le Web S�mantique ne risque-t-il pas de se r�v�ler un nouvel instrument permettant aux pouvoirs de police de p�n�trer dans l'intimit� des comportements et des pens�es des citoyens ? Dans un article intitul� � Keep out of MySpace � (N� 30 du 10 juin 2006, p. 30) le NewScientist britannique d�nonce le fait que la National Security Agency des Etats-Unis finance des recherches visant � recueillir les donn�es personnelles que les individus publient sur eux-m�mes ou rassemblent, au sein d'espace de documentation qui leur sont offerts � cette fin par des soci�t�s de service. C'est le cas de MySpace (http://www.myspace.com/), espace de rencontre et de convivialit� qui avait �t� patronn� par Microsoft, o� lesabonn�s sont invit�s � donner beaucoup d'informations les concernant afin de favoriser l'�tablissement de liens sociaux entre eux et d'autres personnes. Il existe de tr�s nombreux autres sites ludiques o� chacun est oblig� pour participer de se raconter et de rapporter les comportements et pr�f�rences de ses amis. Par ailleurs, les blogs personnels se multiplient, dont les auteurs n'h�sitent pas � se d�voiler ou � d�voiler la vie priv�e de leurs relations. Les images et photographies personnelles y abondent �galement. La NSA esp�re que le d�veloppement du Web S�mantique au sein de ces espaces permettra de rapprocher facilement ces informations personnelles avec d'autres, bancaires, de sant�, administratives ou d'achat. Ainsi pourraient �tre mis en �vidence, sans que les int�ress�s s'en aper�oivent, les profils et donc les personnes qu'� tort ou � raison, les autorit�s de police jugeraient suspectes. On serait loin alors du scandale provoqu� par le fait que la NSA se soit procur� ces derniers mois, via les op�rateurs de t�l�communication, les contenus desconversations t�l�phoniques d'un certain nombre d'individus a priori honorables suspect�s de pouvoir �ventuellement monter des r�seaux terroristes. La NSA et autres agences d''intelligence", c'est-�-dire d'espionnage, pourraient p�n�trer partout � l'insu des citoyens. Les interconnections sont actuellement difficiles, mais avec le Web S�mantique, les liens appara�tront d'eux-m�mes, � travers des applications visant � rapprocher les donn�es (data) sans difficult�. En effet, le Resource Description Network pr�cit� visera � conf�rer � chaque type de donn�e une identification (tag) unique, pr�d�finie et non ambigu�. Les services d'intelligence �conomique, d'espionnage et de contre-espionnage seront les premiers � en profiter, car ils se seront les premiers dot�s des outils permettant de le faire. Il est significatif de constater, comme l'indique le NewScientist, qu'un article intitul� Semantic Analytics on Social Networks, pr�sent� au WWW2006 d'Edimbourg par des universitaires am�ricains, avait �t� en partie financ� par une organisation jusque l� inconnue intitul�e ARDA. ARDA, qui ressemble �trangement � DARPA, signifie Advanced Research Development Activity. Elle est budg�t�e par la NSA pour r�soudre certains des probl�mes que rencontre la communaut� du Renseignement aux Etats-Unis. On ne saurait �tre plus explicite. Ces jours-ci, l'ARDA a �t� rebaptis�e Disruptive Technology Office (voir Wikipedia : http://en.wikipedia.org/wiki/Disruptive_Technologies_Office). Mais sa mission reste la m�me: faire du �profiling� � partir de syst�mes d'espionnage (intelligence) automatis�s. Les 80 millions d'abonn�s des actuels sites du genre de MySpace auront tout int�r�t � se m�fier de ce qu'ils publieront sur eux-m�mes, en s'imaginant que ces d�tails intimes n'int�resseront jamais personne que leurs proches. Voici de quoi en �loigner beaucoup des perspectives culturelles offertes par le Web S�mantique. 1 : Ce n’est pas
le lieu ici de faire la liste de tous les secteurs industriels et �conomiques
(hors du militaire, des transports et de l’�nergie, du tabac
et de l’alcool souvent cit�s), dont on peut se demander s’ils
ne sont pas devenus plus dangereux qu’apporteurs de bienfaits pour
les humains. Mais cette liste serait longue : industries de la Big Food,
d�j� cit�e, industries chimiques (qui s’opposent
de toutes leurs forces au programme europ�en REACH visant �
identifier et �valuer l’impact de 50.000 produits sur 300.000
jug�s suspects), industries pharmaceutiques, industries du tourisme,
industries culturelles pour une grande part de leurs activit�s…A
quoi servirait une telle liste ? Au moins, si elle �tait convenablement
argument�e, par des experts aussi ind�pendants que possible
des grands int�r�ts, � ouvrir les yeux des citoyens
et des scientifiques eux-m�mes. 2 : On est encore loin du compte, tant en Europe qu’aux Etats-Unis. Dans ce pays, un certain Francis Slakey, professeur de physique et de biologie et co-directeur du Program on Science in the Public Interest de l’Universit� Georgetown, Washington DC, a fait un calcul assez simple (NewScientist, 13 mai 2006, p. 21). Le p�trole �tant plus cher que jamais, m�me pour les automobilistes am�ricains, une solution certes � court terme mais significative consisterait � imposer au niveau de la nation toute enti�re la vitesse limite de 55 miles/heure � l’ensemble des v�hicules. Diff�rentes raisons physiques font en effet que r�duire la vitesse de 75 mph � 55 mph augmente l’efficacit� du carburant (distance parcourue/consommation) de 25%. En moyenne l’automobiliste �conomiserait 0,5 dollar par gallon (bien davantage en Europe o� l’essence est fortement tax�e). Globalement, calcule-t-il, la mesure permettrait d’�conomiser 50 millions de gallons d’essence par jour, soit 1 milliard de barils par an, l’�quivalent de ce que les Etats-Unis importent du Golfe Persique chaque ann�e. De plus, il pense que les industriels, incit�s par une telle mesure � rendre les moteurs et v�hicules plus �conomes, feraient en sorte que les rendements s’am�liorent, d’o� un second milliard de barils �conomis�s suppl�mentaire. Convertissons ces donn�es car les Am�ricains en sont encore au Moyen-�ge quand il s’agit de mesures. L’US Gallon vaut 3,7 litres. Le mile vaut 1,6 km. Le baril vaut 160 litres et p�se donc, en p�trole, environ 0,150 tonne. Une vitesse limite de 90 km/h permettrait d’�conomiser 0,5 euro pour 4 litres d’essence, soit 2 euros pour un plein de 40 litres (ceci, encore une fois, aux Etats-Unis). L’�conomie globale pour les Etats-Unis serait de 1 milliard de barils soit, approximativement, 150 millions de tonnes de p�trole par an, ou 300 super-p�troliers de 500.000 tonnes par an - auxquels s’ajouterait 1 autre milliard r�sultant de l’optimisation des moteurs. Transpos� � la France, on se bornera � retenir que la limitation de vitesse � 90 km/h permettrait d’�conomiser 25% de carburant par rapport au plafond actuel de 130 km/h. Inutile d’y penser, n’est-ce pas ? 3 : L'Internet des objets.
On donne d�sormais ce nom aux objets capables d'�mettre
des messages recueillis et m�moris�s par le web, par exemple
la puce antivol incorpor�e � une automobile qui signale
en permanence la position du v�hicule, ind�pendamment de
la volont� du conducteur. 4 : De quel type est ce pouvoir ? N’est-il pas une illusion ? C’est ce dont veulent convaincre les repr�sentants des m�dias traditionnels. Du bruit et du d�sordre des prises de parole sur Internet, rien ne peut sortir. On r�pondra qu’au contraire, sur Internet comme plus g�n�ralement dans l’univers, on retrouve le principe bien connu des scientifiques de la complexit� : order from noise, l’ordre na�t du d�sordre. La question n’est plus aujourd’hui purement acad�mique. Elle touche les activit�s politiques les plus imm�diates. Un des paris faits par S�gol�ne Royal est qu’� partir des dialogues encourag�s sur son site Internet pourrait �merger une � intelligence collective � jusqu’ici emp�ch�e de se former.
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