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Compl�ments du livre |
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� Si nous admettons ces d�finitions de l’artiste et de l’œuvre en relation avec un public susceptible capable de vibrer en harmonie, en quoi l’utilisation de l’ordinateur dans les arts visuels pr�sente-t-elle un aspect original par rapport � l’utilisation de la peinture, de la sculpture, de la photo ou de toute autre technique susceptible de cr�er des significations symboliques�? C’est l� qu’une lecture attentive du recensement des proc�d�s, des �coles artistiques et des œuvres nous �clairera. Nous pourrons dire, comme le fait Bernard Caillaux dans son livre pr�cit�, que l’œuvre produite par le Computer Art r�sulte d’un processus de calcul informatique, processus incr�mentiel et constructiviste tel que ceux d�crits par Alain Cardon (Voir Chapitre 4. La conscience artificielle) � propos des syst�mes multi-agents auto-adaptatifs. Un peintre tel que Vasarely s’y �tait essay� mais comme il ne disposait pas des moyens informatiques modernes, ses cr�ations se sont vite essouffl�es. Le Computer Art confie � une machine informatique le soin de g�n�rer des œuvres, par un processus algorithmique ou de calcul auquel l’artiste n’impose pas n�cessairement de direction a priori. On peut �voquer plut�t les processus al�atoires, les constructions chaotiques et plus g�n�ralement tout ce qui d�coule de la mise en œuvre des syst�mes organisationellement complexes, non pr�visibles et non descriptibles exhaustivement. Dans ce cas, le r�le de l’artiste consiste d’abord � lancer l’algorithme dans un espace d’�tats dont il s’est born� � d�finir les contraintes initiales. L’algorithme se d�veloppe alors librement et pourrait "tourner" ind�finiment, en fonction des ressources de calcul disponible. Mais l’artiste l’arr�te au moment qu’il choisit. C’est l� son second r�le, d’ailleurs essentiel. Il le fait lorsque tel r�sultat de calcul, � tel moment, lui para�t au mieux correspondre � une �motion (une hallucination, pour reprendre le terme pr�c�demment employ�) qu’il portait en lui sur le mode inconscient et qui se trouve ainsi r�v�l�e par ce r�sultat. Le Computer Art met donc en interaction s�lective deux agents diff�rents, un automate auto-adaptatif qui g�n�re de la complexit� sur un mode constructiviste et un humain qui r�agit � cette complexit� en fonction de la sienne propre. L’utilisation d’un automate cellulaire pour g�n�rer des œuvres correspond exactement � ce processus. C’est l’automate qui produit des œuvres � partir des r�gles simples lui permettant de faire appara�tre une complexit� intrins�que, mais c’est l’artiste qui arr�te l’automate cellulaire quand il estime avoir obtenu un r�sultat suffisamment significatif au regard de sa sensibilit� profonde. Ajoutons une pr�cision importante. Le Computer Art ne g�n�rera pas uniquement des formes abstraites. Il pourra g�n�rer des images classiques plus ou moins transform�es par divers processus de morphing. En ce cas, l’artiste interviendra de plain pied dans le domaine de l’art figuratif, et m�me de l’art fortement suggestif, s’il s’int�resse au vaste domaine des fantasmes �rotiques visuels. La m�me activit� cr�atrice pourra se produire, mais sans doute moins facilement, dans la production de texte litt�raire. C’est alors la question beaucoup plus g�n�rale de l’art figuratif au regard de l’art abstrait qui est pos�e. Beaucoup de personnes, pas seulement par un conservatisme petit-bourgeois du regard, restent r�fractaires � l'art abstrait. Cela limite certainement la port�e du Computer Art, tant du moins qu’il ne produira que des abstractions, mais cela ne retire rien � son appartenance aux autres formes de production artistique. Le Computer Art utilisera donc � l’avenir bien d’autres types d’algorithmes et de proc�d�s de g�n�ration d’objets que les automates cellulaires. Mais sa logique restera la m�me. Dans la version � forte � du Computer Art, ce sera l’ordinateur lui-m�me qui produira l’œuvre, au terme d’un processus qui sera de plus en plus autonome au fur et � mesure que les ordinateurs se transformeront peu � peu en robots autonomes. Rappelons que les futures g�n�rations de robots autonomes ressentiront eux aussi des �motions li�es aux interactions de leur "corps" avec le monde au sein duquel ils �volueront. Cela, tout au moins dans les premi�res ann�es de ce que nous pourrions nommer � l’art robotique autonome �, laissera pourtant � l’artiste le r�le que nous avons pr�cis� plus haut : il posera un cadre de d�part et laissera agir les programmes, par exemple des algorithmes g�n�tiques dont il recueillera et s�lectionnera les produits. Sa sensibilit�, sa cr�ativit� s’exprimeront essentiellement � l’occasion de cette s�lection. Ce sera lui (tant que les robots autonomes ne se seront pas appropri� eux-m�mes la totalit� d’un processus de cr�ation artistique conforme � leur ��nature�� ou � leur ��culture� �) qui arr�tera l’algorithme et s�lectionnera parmi des milliers de produits interm�diaires ceux qui lui para�tront les plus significatifs de ce qu’il voulait exprimer. Il s’agira alors d’un processus darwinien de co-�volution homme/machine, le robot produisant des œuvres, l’artiste choisissant celles qui lui para�tront les mieux adapt�es pour mat�rialiser l’�tat de sa sensibilit� inconsciente du moment. Le processus de co-�volution pourra se poursuivre jusqu'� �mergence d’un produit final qui sera � la fois repr�sentatif de l’"inconscient" du robot et de celui de l’artiste. Ainsi pourront venir au monde de demain, selon le terme propos� pr�c�demment, des objets qui n’auront jamais �t� vus jusqu’alors. Ult�rieurement, ces objets pourront provoquer des �motions esth�tiques, voire des psychodrames chez les spectateurs au fond �motionnel desquels ils correspondront. Ainsi entendu, le Computer Art se distingue effectivement de la production par ordinateur d’images virtuelles appartenant au r�pertoire iconographique courant. Le contenu de ses images est connu d’avance, m�me si elles sont manipul�es par un processus de calcul informatique, d�s lors qu’une partie plus ou moins importante de leur sens initial est conserv�e. On voit que tout ce que nous venons de dire � propos du Computer Art, de l’artiste et du consommateur d’art qui en fait usage, peut �tre facilement transpos� � l’art traditionnel. Ceux qui ont pratiqu� la peinture ou la po�sie savent tr�s bien que la cr�ation ne se pr�cise que progressivement, au fur et � mesure de la construction de l’œuvre. L’artiste peut entreprendre l’ouvrage avec une intention donn�e, qui se transformera progressivement au fur et � mesure que la cr�ation �mergera sous ses yeux, selon un processus d’auto-g�n�ration auquel beaucoup d’artistes pr�tendent qu’il se produit en eux sans contr�le de leur volont� (On retrouve l� la question du r�le non-causal de la conscience sup�rieure. Voir chapitre 3). Mais � un certain moment, il se produira une sorte de miracle. Le cr�ateur (� moins d’�tre un perfectionniste inv�t�r�, ce qui est fr�quent) jugera subitement que son œuvre est d�sormais achev�e, et qu’il doit passer � autre chose. Il reconna�t ainsi sans erreur, autrement dit, la mat�rialisation de son hallucination. Mais alors, la distinction que nous avions initialement propos�e entre art et science tient-elle encore, au regard de la fa�on dont op�re le Computer Art�? Il n’y a plus, dans un univers peupl� de robots autonomes interagissant avec des humains (ou des animaux), de cr�ation scientifique objective s’opposant � une cr�ation artistique subjective. Les deux formes traduisent l’�mergence de nouvelles complexit�s r�sultant d’une �volution plus globale de l’univers, largement non dirig�e par l’homme. Ce point m�rite un d�veloppement. Celui qui observe les productions du Computer Art est souvent d��u par la relative monotonie des formes et des mouvements qui en �manent. Une fois la premi�re surprise admirative pass�e, le spectateur voit son int�r�t d�cro�tre. "C’est toujours un peu la m�me chose". On ne soup�onne pas encore que le ��langage�� qui se d�roule l� m�riterait d’�tre mieux �tudi�, mieux compris, afin que les significations sous-jacentes qu’il comporte �ventuellement puissent appara�tre. Mais son opacit� est telle que l’attention se lasse, comme lorsqu’on �coute un grand philosophe s’exprimant en une langue que l’on ne parle pas. Ce n’est �videmment pas le cas lorsque l’ordinateur produit des symboles, formes picturales, sons et mots entrant dans le r�pertoire commun de la communication inter-humaine. Dans ce cas, m�me si les univers ainsi construits peuvent para�tre d�routants, loin de l’exp�rience quotidienne, le spectateur finit toujours par y trouver des modules de signification susceptibles de parler � son inconscient. Le Computer Art m�riterait, semble-t-il, mieux qu’un int�r�t superficiel et vite lass�. On pourrait y voir au contraire l’expression des r�gles sous-jacentes (underlying rules, selon le terme de Wolfram) encore inconnues des hommes et qui r�gentent l’�volution des univers. Cela nous ram�ne � la science. Si cette hypoth�se �tait fond�e, le Computer Art serait un instrument exceptionnel pour donner acc�s aux r�gles de construction du monde fondamental. L’observateur le per�oit d’ailleurs parfois, sans se l’expliquer. Certaines des œuvres produites par le Computer Art �voquent de fa�on troublante des formes cosmiques � l’œuvre � d’autres niveaux de la mati�re/�nergie ou sur d’autres galaxies. - On pourrait donner � cette hypoth�se un d�but de confirmation scientifique, en s’appuyant sur les travaux de Stephen Wolfram pr�cit�. Les automates cellulaires qu’il utilise en support � ses recherches scientifiques sont, nous l’avons dit, un tr�s bon exemple de la construction algorithmique sp�cifique au Computer Art. Or Stephen Wolfram montre que le d�roulement d’un automate cellulaire m�me tr�s simple finit par engendrer des complexit�s intrins�ques totalement impr�visibles et dont la logique reste incompr�hensible. Cette g�n�ration de complexit� est pour lui l’exemple m�me de la fa�on dont l’univers s’est construit et continue � se construire. Des r�gles simples encore inconnues de la science s’appliquent � des quanta d’�nergie ou d’information et les organisent en constructions de plus en plus complexes. Selon Wolfram, toutes les disciplines, de la cosmologie aux sciences humaines, pourraient �tre �tudi�es sous cet angle. La communaut� scientifique reste encore largement r�fractaire � cette approche, mais l’id�e d’un ��univers calculable�� � partir d’algorithmes simples faisant �merger de la complexit� se r�pand de plus en plus. - Dans ce cas, le Computer Art pourrait �tre consid�r� comme produisant des mod�les (virtuels) de la cr�ation d’univers, dans tous les domaines et � toutes les �chelles que ce soit. Ce serait un v�ritable outil scientifique. De plus, le fait qu’il soit mis en œuvre par des artistes serait une garantie de son aptitude � se comporter efficacement en g�n�rateur de variabilit�-diversit�. Les scientifiques, quelle que soit leur ouverture d’esprit, risqueraient d’enfermer la production des automates �volutionnaires qui sont au cœur du Computer Art dans les limites de leur discipline : un biologiste verrait des formes biologiques l� o� un physicien verrait des champs de force. Un artiste n’�tant pas en principe pr�-orient� dans un sens d�termin� pourrait �tre au contraire un agent de g�n�ration de complexit� beaucoup plus ouvert. Il naviguerait dans l’espace des possibles, si on peut se permettre cette image, plus ais�ment que le scientifique. En fait, il faudra conjuguer les deux approches, car l’artiste
ne peut avoir la culture scientifique lui permettant d’observer
et d’interpr�ter seul les productions du Computer Art et
des m�thodes de g�n�ration de complexit� d�velopp�es
ult�rieurement sur ce mod�le. S’il s’agit de
construire de nouveaux langages qui soient des synth�ses entre
les lois d’�volution de l’univers profond et celles
de la soci�t� humaine, tous les humains devraient se sentir
potentiellement mobilis�s, scientifiques, artistes et � hommes
de la rue �. |
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