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Gerald Edelman est sans doute un des sp�cialistes
du cerveau qui a le mieux r�ussi � pr�ciser le concept
omnipr�sent et pourtant bien mal compris encore de conscience.
Nous avons d�j� longuement pr�sent� ses principaux
ouvrages dans notre site Automates
Intelligents, en les inscrivant dans une r�flexion g�n�rale
sur la conscience laquelle s'impose en priorit� � la science
mat�rialiste(1). Renoncer en effet � comprendre la
conscience conduit inexorablement au dualisme selon lequel l'esprit et
la mati�re sont deux dimensions diff�rentes de l'univers.
Mais essayer de comprendre la conscience en termes monistes, c'est-�-dire
en faisant de cette facult� une propri�t� �mergente
de la mati�re, peut donner lieu � de nombreuses impasses.
Faut-il ne chercher la conscience que chez l'homme et exclure qu'elle
puisse exister �galement chez les animaux ? Comment la conscience
est-elle apparue au cours de l'�volution et � quoi a-t-elle
pu servir ? Le cerveau est-il le seul si�ge de la conscience et
si oui, o� se trouve ce si�ge ? Peut-on simuler la conscience
chez des artefacts, autrement dit des robots ? Il appara�t imm�diatement que de telles questions resteront sans r�ponses utiles si l'on ne dispose pas d'une th�orie (ou d'une hypoth�se globale) permettant de comprendre comment le fonctionnement quotidien des neurones c�r�braux int�gr�s � un corps (embodied) dot� notamment d'organes sensoriels et effecteurs, corps lui-m�me situ� (embedded) dans un milieu bien d�fini (ce que Gerald Edelman appelle une �coniche), peut aboutir � l'�laboration de connaissances sur le monde. La critique de ces connaissances permet � son tour de pr�ciser ce que peut signifier le concept de v�rit�. On en arrive ainsi � l'�pist�mologie, d�finie comme critique raisonn�e des connaissances et des m�thodes permettant de les acqu�rir... Le darwinisme neural Gerald Edelman a depuis bient�t 20 ans, dans le prolongement de ses recherches sur le syst�me immunitaire, qui lui avaient valu le Prix Nobel de m�decine, propos� une approche permettant d'expliciter ces divers sujets. C'est ce qu'il a nomm� le Darwinisme neural (neural Darwinism) d�s 1987. Celui-ci, dans la ligne du darwinisme g�n�tique, lui a permis de montrer comment, au sein des 100 milliards de neurones du cerveau humain, des neurones ou groupes de neurones entrent en comp�tition pour traiter les informations re�ues d�s le stade embryonnaire par le corps situ�. Cette comp�tition a favoris� (ou a r�sult� de) la mise en place de r�seaux de neurones associatifs, au sein du cortex ou d'aires particuli�res du cerveau, permettant ce que Edelman a nomm� la r�entrance. En simplifiant, on dira que les fibres r�entrantes informent telle partie du cerveau du fait que dans telle autre, des neurones r�agissent de fa�on synchrone � des stimulus externes ou internes. Ainsi se cr�ent des unit�s de travail analogues � ce que l'informatique nomme des r�seaux de neurones formels Elles permettent de construire des structures neuronales en fonction de la force, de la r�p�tition et de la nature des informations re�ues par le cerveau et le corps situ� dans son �coniche. Le cerveau adulte disposerait de centaines de millions sinon davantage de telles structures. La comp�tition entre neurones produit des r�sultats sp�cifiques � chaque individu, tout en s'inscrivant cependant dans les grandes fonctions c�r�brales acquises depuis longtemps par les animaux dot�s d'un syst�me nerveux central. Le darwinisme neural vient donc contredire directement les trois principales attitudes qui avaient cours jusque l� � propos de la conscience : 1 qu'il s'agit d'une fonction du cerveau, certes (ce qui exclut l'hypoth�se dualiste) mais d'une fonction trop complexe pour �tre �tudi�e � 2 que la conscience r�sulte de traitements algorithmiques analogues � ceux auxquels proc�de un ordinateur et 3. que la conscience a r�sult� d'une �volution darwinienne au sein des contenus mentaux, ind�pendamment des supports neuronaux. Cette derni�re hypoth�se, dite aussi du darwinisme culturel, a �t� r�cemment reprise par la m�m�tique, expliquant que c'est la comp�tition entre m�mes, passant d'un cerveau � l'autre, qui a fait appara�tre, notamment, la conscience de soi (que Suzan Blackmore a nomm� un memeplexe ou complexe de m�mes). Nous reviendrons sur ce dernier point plus bas. La comp�tition entre les connaissances Chez l'homme, � ces m�canismes propres � tous les animaux s'ajoutent les connaissances sur le monde faisant l'objet des contenus conscients. Nous reviendrons sur le concept de conscience ci-dessous, pour distinguer notamment la conscience primaire, existant sans doute chez tous les animaux sup�rieurs (esquiss�e aussi chez des robots �volutionnaire) et la conscience sup�rieure ou conscience d'�tre conscient. Mais pour le moment, tenons-en aux connaissances constituant des contenus de conscience. Ces connaissances ont une dimension collective importante, s'exprimant notamment au sein des langages. Mais elles sont modul�es au sein de chaque individu par le fonctionnement du cerveau conscient dont on a vu qu'il n'�tait jamais strictement identique d'un individu � l'autre. La grande diversit� et vari�t� des connaissances les mettent n�cessairement, elles-aussi, en comp�tition darwinienne. Cette comp�tition aboutit � s�lectionner celles qui sont les plus efficaces pour repr�senter le monde et qui sont donc les mieux capables de survivre et de se transmettre � conjointement avec les individus qui les h�bergent. Dans les soci�t�s modernes, la r�flexion sur la validit� des connaissances et plus g�n�ralement sur les processus permettant de les �laborer a donn� naissance � une forme de pens�e critique nomm�e l'�pist�mologie. Gerald Edelman veut d�sormais fonder une nouvelle sorte d'�pist�mologie, s'appuyant sur les sciences du cerveau. Il l'appelle � brain-based epistemology �, �pist�mologie bas�e sur les sciences du cerveau, que nous traduiront approximativement par neuro-�pist�mologie ou �pist�mologie neurale. Pour lui, l'�pist�mologie classique, d�finie comme une �tude critique des savoirs humains, a pris diff�rentes formes dont la plupart selon lui se heurtent � des impasses, analogues aux impasses que rencontre des d�finitions non �volutionnaires (ou non physiques) de la conscience. Nos lecteurs connaissent bien les d�bats relatifs aux fondements de la connaissance et subs�quemment, au concept de v�rit� cens� les exprimer. Doit-on consid�rer qu'il existe une v�rit� relative au monde en soi que les connaissances conscientes ont pour r�le de pr�ciser progressivement, de pr�f�rence au travers d'un formalisme exp�rimental et mieux encore logico-math�matique strict et universel ? Y a-t-il au contraire autant de v�rit�s qu'il existe de connaissances utiles aux individus qui s'y r�f�rent et de parties du monde auxquelles ces individus sont sp�cifiquement confront�s. Dans ce cas, les � v�rit�s � peuvent �tre approximatives, faire appel aux analogies et � l'intuition. On dira alors que seule doit compter l'aide qu'elles apportent aux individus dans leur lutte pour la survie. Qu'importe que le chat soit noir ou gris s'il attrape les souris. Pour Edelman, la neuro-�pist�mologie doit viser plus loin
que la simple r�flexion sur l'�mergence des savoirs. Elle
doit viser � rapprocher les savoirs relatifs aux sciences dures
et ceux relatifs aux sciences humaines, � la cr�ation artistique
et autres activit�s ou intervient la sensibilit� et la cr�ativit�
informelle. En effet, comme on le verra, il n'y a pas pour lui de diff�rences
de nature entre ces diff�rentes formes de cr�ation et de
connaissance. Elles rel�vent d'un processus commun qui, l�
encore, trouve ses sources dans le darwinisme neural. Il faut donc supprimer
les foss�s qui se sont �tablies entre elles, notamment dans
le monde acad�mique. Sans �tre � proprement parler
wilsoninien, c'est-�-dire partisan de la sociobiologie, Gerald
Edelman milite en faveur de la � consilience �, terme utilis�
par E.O.Wilson pour exprimer la convergence des savoirs. Ceci pos�,
il faut bien admettre que les diff�rentes connaissances �mergent
et se maintiennent, au cas par cas, selon leurs capacit�s �
s'imposer, c'est-�-dire finalement selon leurs capacit�s
� favoriser l'adaptation des individus et des groupes qui les produisent
et les utilisent. La querelle de la v�rit� On ne peut pas parler d'�pist�mologie sans parler de v�rit�. On sait qu'aujourd'hui la question de la v�rit� devient un v�ritable enjeu de soci�t�, enjeu de nature politique, avec la multiplication, hors de toute d�marche scientifique, des �glises, sectes et mouvements politiques qui pr�tendent d�tenir des V�rit�s absolues et les imposer � tous. Cet absolutisme n'est �videmment pas nouveau. Il avait marqu� l'histoire de la pens�e d�s ses origines. Mais on pouvait croire, avec les progr�s en Occident de ce que l'on avait appel� les Lumi�res ou le rationalisme, qu'il perdait du terrain. L'exp�rience montre qu'il n'en est rien. Comme au Moyen-�ge chr�tien, chacun est d�sormais somm� par les nouvelles intol�rances de s'incliner devant des v�rit�s auto-proclam�es, sauf � mettre sa libert�, voire sa vie, en danger. Le d�bat est particuli�rement actuel aux Etats-Unis, o� les fondamentalistes chr�tiens �liminent petit � petit les tenants de la rationalit� scientifique. Ils rejoignent d'ailleurs en intol�rance les fondamentalistes islamiques, eux-m�mes de plus en plus nombreux y compris dans le monde occidental. On peut penser que c'est pour contribuer � la r�flexion sur la v�rit� et � la critique des contenus de connaissances, en r�ponse aux proc�s faits � la science par les tenants de l'Intelligent Design, que G�rald Edelman a d�cid� de r�diger Second Nature, c'est-�-dire le livre que nous examinons ici. Sur la forme, disons seulement que cet ouvrage, non encore traduit en fran�ais, nous a paru difficile � lire, parfois trop elliptique, souvent mal r�dig�. Mais peu importe. Ce qui compte est le fond. Gerald Edelman a manifestement jug� que sa th�orie du darwinisme neuronal lui permettait d'apporter des �clairages importants au d�bat �pist�mologique sur la formation des connaissances et sur leur validit�. Il s'inscrit donc de nouveau en d�fenseur du mat�rialisme scientifique, non sans courage quand on conna�t l'influence croissante, en Am�rique, de ce que Richard Dawkins les � talibans chr�tiens �. Mais dans ce domaine comme dans celui de la conscience, il a voulu rester fid�le � sa m�thode, c'est-�-dire �viter les voies sans issues consistant � s'interroger sur les fondements logiques (et a fortiori sur les fondements philosophiques) pouvant justifier de parler de v�rit�s en termes absolus � ce qui renverrait � un improbable r�alisme scientifique selon lequel il existerait un monde en soi que l'observateur pourrait esp�rer d�crire par des pratiques exp�rimentales rigoureuses. Autrement dit, Gerald Edelman s'inscrit, sans le dire nettement, dans ce que l'on pourrait appeler le relativisme des connaissances. � ou plut�t dans un relativisme temp�r�, analogue � celui concernant la conscience elle-m�me. Pour le darwinisme neural, il n'existe pas de conscience en soi, mais des processus d'interaction avec le monde permettant au cerveau de faire �merger des contenus conscients qui sont � la fois propres � chaque individu et qui dans le m�me temps peuvent �tre partag�s ou r�partis au sein des groupes gr�ce aux �changes langagiers. Il en est de m�me des connaissances et des pr�tendues � v�rit�s � qu'elles exprimeraient. Chaque individu se forme ses propres connaissances, autrement dit ses propres v�rit�s. Celles-ci, lorsque l'individu consid�r� a la possibilit� de les confronter � des connaissances collectives, prennent une port�e plus g�n�rale sans pour autant pouvoir pr�tendre � une valeur absolue. C'est ce que d�signe le terme assez bizarre, pour un lecteur fran�ais, de Seconde Nature. Edelman nomme ainsi l'ensemble des connaissances, individuelles ou collectives, correspondant � des expressions approximatives, m�taphoriques, symboliques par lesquelles le cerveau se repr�sente spontan�ment le monde au travers des entr�es sensorielles. Le cerveau, comme il le rappelle d�s les premi�res pages, n'est pas un ordinateur travaillant sur des donn�es externes bien d�finies et utilisant pour ce faire des programmes pr�-constitu�s. Le cerveau travaille sur le mode tr�s g�n�ral de ce qu'il qualifie de � reconnaissance de forme �. On sait que ce terme est employ� en intelligence artificielle pour d�signer le travail de cat�gorisation empirique auquel un syst�me informatique non programm� � l'avance se livre pour identifier les constantes du milieu avec lequel il r�agit : constantes visuelles, sonores ou ph�nom�nales. Cette Seconde nature est donc faite des innombrables et infiniment diverses fa�ons dont les cerveaux se repr�sentent le monde � la suite des comp�titions darwiniennes entre informations r�sultant de leur interaction avec leur �coniche. Il y a autant de secondes natures, c'est-�-dire de � v�rit�s �, qu'il y a de cerveaux, tout au moins au niveau du d�tail. Au sein des groupes, les �changes entre cerveaux peuvent aboutir � de Secondes Natures ou V�rit�s collectives, qui restent cependant relatives (non absolues) et constamment en �volution. De ces Secondes Natures, selon G�rald Edelman, peut �merger
une � Nature � qui correspondrait � des repr�sentations
du monde prenant la forme de lois scientifiques voire de mod�les
math�matiques. Cette Nature est plus � vraie � que
l'ensemble des Secondes Natures, au moins pour les individus utilisant
la d�marche scientifique exp�rimentale et les math�matiques.
Mais, comme on le sait en ce qui concerne la formalisation des savoirs
au sein de lois scientifiques et de mod�les math�matiques,
le passage de l'approximatif � la rigueur se traduit par d'innombrables
pertes. Le champ se r�tr�cit consid�rablement et
souvent le mod�le se r�v�le trop rigide pour rester
longtemps ad�quat. Cela ne veut pas dire que la science doive renoncer
� proposer des lois, mais elle doit en permanence, pour la critique
de ces lois et pour la recherche de nouvelles lois, faire un large appel
� l'heuristique libre, � l'imagination et au r�ve.
En r�alit�, les lois se proposent spontan�ment, si
l'on puis dire, mais nous simplifions ici la formulation. La Nature formalis�e
par la science ne renvoie donc pas plus que la Seconde Nature �
une V�rit� absolue ou en soi, puisque, comme les contenus
de Seconde Nature, elle r�sulte de la comp�tition darwinienne
entre contenus de conscience et n'est donc jamais fig�e. Elle est
seulement plus g�n�rale et s'appuie sur des faits exp�rimentaux
qui, tout en n�cessitant d'�tre, eux-aussi, relativis�s,
pr�sentent des fondations plus solides pour la construction d'une
neuro-�pist�mologie critique que ne le sont les �
faits " observ�s empiriquement par des individus d�pourvus
d'appareils rigoureux de v�rification. La neuro-�pist�mologie � la lumi�re du darwinisme neural Ceci pos�, en quoi ce qui pr�c�de peut-il autoriser � parler de neuro-�pist�mologie comme le fait Gerald Edelman ? Il faut pour le comprendre revenir � la fa�on dont il se repr�sente la formation et le r�le de la conscience, c'est-�-dire � sa th�orie du darwinisme neural. Nous avons vu que pour lui le cerveau est organis� en un tr�s grand nombre de modules distincts mais n�anmoins interconnect�s (par la r�entrance). Certains ont �t� acquis par l'esp�ce et sont donc transmis d�s la naissance � partir de l'architecture du cerveau d�finie par la coop�ration de diff�rents g�nes. D'autres r�sultent du m�canisme g�n�ral de � reconnaissance de formes �, �voqu� ci-dessus, par lequel le cerveau d�s le stade embryonnaire �tablit des cat�gories au sein des informations endog�nes et exog�nes per�ues par les sens. Un point essentiel, sur lequel Edelman insiste, concerne la redondance (appel�e d�g�n�rescence dans le vocabulaire scientifique) entre ces modules. Le terme signifie que des modules diff�rents peuvent repr�senter plus ou moins approximativement la m�me forme. Ceci est particuli�rement �vident au sein des cortex visuels et auditifs. Ainsi est assur�e la variation ou variabilit� dans les repr�sentations, autrement dit un G�n�rateur de diversit� (GOD pour les �volutionnistes, soit Generator of Diversity !), permettant � la comp�tition darwinienne entre modules de s'exercer. Edelman, dans la description du cerveau qu'il donne en introduction � Second Nature, �voque aussi ce qu'il appelle des � centres de valeurs �. Ceux-ci n'ont rien � voir avec les valeurs morales. Le mot d�signe les aires c�r�brales capables de diffuser dans l'ensemble du cerveau puis de l'organisme des neurotransmetteurs g�n�riques, incitatifs ou inhibiteurs, qui renforcent les r�actions globales de l'organisme. Ainsi en est-il de l'adr�naline, qui dans la plupart des esp�ces, contribue � mobiliser les ressources physiques de l'individu face � un danger. On retrouve l� un m�canisme courant dans tous les r�seaux de neurones formels, caract�risant ce que l'on appelle les processus de r�compense. Le livre �voque enfin, pour compl�ter ce bref recensement, les neurones moteurs et plus g�n�ralement l'appareil sensorimoteur, qui permet � chaque organisme de s'inscrire dans son �coniche et de le modifier. Chez l'homme moderne, cet appareil sensorimoteur est compl�t� par les machines et instruments produits par la technologie. Ces divers �l�ments constitutifs de la complexit� du corps en situation contribuent ainsi, selon l'hypoth�se du neuro-darwinisme, � l'�laboration de faites de conscience plus ou moins �labor�s. Le neuro-darwinisme est �videmment l'antichambre m�thodologique de la neuro-�pist�mologie(2). Second Nature ne manque pas en effet, en pr�lude � la r�flexion sur la neuro-�pist�mologie, de rappeler la th�orie de la conscience qui est celle d'Edelman et de beaucoup de neuro-scientifiques mat�rialistes. Nous l'avons-nous m�me souvent �voqu�e et d�fendue dans des articles et ouvrages pr�c�dents. Rappelons la ici tr�s bri�vement. L'organisme dot� d'un syst�me nerveux central situ� dans le corps, le corps lui-m�me �tant situ� dans son �coniche, constitue un ensemble �volutionnaire aux millions de modules en interaction. In�vitablement, il en �merge des �tats de conscience primaire, c'est-�-dire conscience de soi dans son environnement mais non conscience d'�tre conscient. Edelman reconna�t � ce sujet que de tels �tats sont pr�sents chez la plupart des animaux sup�rieurs. Mais comme ceux-ci manquent du langage, ils ne sont pas capables de se repr�senter � eux-m�mes en tant que sujets conscients. Ils ne peuvent pas non plus construire de mod�les visant le pass� ni le futur dans lesquels ils se positionneraient comme acteurs. Ils ne peuvent donc pas �laborer des strat�gies de survie � long terme. Edelman rappelle � ce sujet que, pour lui, le pass� et le futur n'existent pas en soi. Ce sont des constructions utilisant des mots, autrement dit des mod�les informationnels, avec lesquels un mod�le du soi, lui-m�me exprim� par le langage, peut �tre mis en interaction. Edelman est donc conduit, ce qui est devenu classique depuis quelques ann�es chez les neuroscientifiques mat�rialistes, � distinguer la conscience primaire et la forme plus � �volu�e � de conscience, dite sup�rieure, qui en �merge au sein des cerveaux disposant d'une complexit� suppl�mentaire. C'est gr�ce � cette complexit� neurale suppl�mentaire que de nouveaux modules eux-m�mes redondants sont apparus pour d�signer le soi et bien d'autres concepts reprenant au second ou au troisi�me degr� des � formes � identifi�es par la conscience primaire. Quel est le r�le fonctionnel de cette conscience sup�rieure ? Celui de la conscience primaire n'est �videmment pas discutable. Elle permet � l'animal d'acqu�rir une repr�sentation globale du monde, au lieu d'�tre d�termin� par des �v�nements diff�rents survenant sans ordre apparent. Par contre, sur le r�le fonctionnel de la conscience sup�rieure, les opinions diff�rent encore. Comment la conscience sup�rieure peut devenir causale Edelman, on le sait, rejoint les neuroscientifiques pour qui la conscience sup�rieure n'est jamais causale. Autrement dit, il refuse le concept de libre-arbitre, gr�ce auquel les spiritualistes r�introduisent le dualisme. Cependant, il ne veut pas faire de la conscience sup�rieure un simple �piph�nom�ne dont la survivance au sein de l'�volution ne s'expliquerait pas. Dans un d�veloppement trop court et un peu confus, il en fait un indicateur "nous" (us) permettant de nous rendre compte de certains de nos �tats et de les signaler par le langage. Mais dans ce cas quel est ce "nous"? Nous pensons qu'ici, Edelman s'enferme dans une impasse. Il ne peut se d�barrasser d'une image du Moi constituant une esp�ce de chef d'orchestre au sommet du cerveau. Il n'insiste pas assez sur la construction du Moi r�sultant de l'interaction de l'individu avec les autres individus gr�ce au langage et aux artefacts d�velopp�s � l'int�rieur des soci�t�s. On pourrait expliquer d'une fa�on tr�s simple pourquoi les individus humains ont h�rit� de l'�volution la capacit� d'exprimer les �tats dominants de leur conscience primaire � travers le langage et en les attribuant � un Moi suppos� causal, c'est-�-dire suppos� dot� de libre-arbitre. C'est parce que le Moi inconscient, le seul qui soit causal, peut ainsi faire part de ses �tats internes aux autres membres du groupe afin d'y recruter des alli�s. Les animaux font d'ailleurs cela avec moins de sophistication quand ils expriment des �motions par des cris ou gestes. Ceux-ci sont destin�s au groupe, pour provoquer des r�actions collectives venant � l'aide de l'individu signaleur. Prenons un exemple. Circulant en for�t, je per�ois inconsciemment la pr�sence d'un pr�dateur et, toujours inconsciemment, je m'en �carte. Mon Moi inconscient a dans ce cas pris seul la bonne d�cision. Cependant, si quelques instants plus tard, ma conscience sup�rieure est avertie (par r�entrance) de ce qu'a d�cid� ma conscience primaire et en avertis le groupe par un discours ad�quat ( "j'ai d�cid�" de m'�loigner de ce fourr� o� "je pense" que se trouve un pr�dateur), les autres individus du groupe peuvent comprendre imm�diatement le signal de danger et y r�agir ad�quatement. R�agir signifie en ce cas que la conscience primaire de chacun d'eux comprend inconsciemment le message et prend imm�diatement les mesures ad�quates. Mais r�agir signifie aussi que le Moi collectif ainsi form� par le langage partag� des consciences sup�rieures renforce dans chacun des organismes individuels les actions destin�es � prot�ger non seulement les individus consid�r�s isol�ment, mais l'ensemble du groupe se comportant alors en super-organisme dot� d'une conscience primaire (voire sup�rieure). Pour �tre complet, on ajoutera que l'existence d'une conscience sup�rieure individuelle s'exprimant par le verbe n'est pas inutile � la survie de l'individu. M�me si je suis seul face au danger, le fait que je me dise (par la voix int�rieure de la conscience sup�rieure) "il y a l� un danger" peut aider le Moi inconscient � mieux mobiliser ses ressources, notamment en d�clenchant l'action de ce que Edelman appelle les centres de valeur du cerveau - s�cr�tion d'adr�naline par exemple. On peut alors consid�rer que le Moi conscient individuel serait la fa�on dont une repr�sentation d'un Moi g�n�rique construite au sein des collectivit�s dot�es de langage s'incarnerait et se sp�cifierait au sein de l'individu particulier, gr�ce aux �changes sociaux et notamment gr�ce � l'�ducation � le tout �videmment � l'occasion de comp�titions darwiniennes permanentes, tant dans le cerveau individuel que dans ce que l'on pourrait appeler le cerveau collectif. A ce moment, le Moi individuel s'exprimant au sein de la soci�t� et repr�sentant une variante d'un Moi collectif plus g�n�ral, pourrait sinon redevenir � lui seul causal, du moins contribuer � l'�mergence d'une action causale. Ses �volutions commanderaient les organes effecteurs de la soci�t� ou plus pr�cis�ment celles des individus qui manipulent les organes effecteurs. Or ceux-ci, contrairement aux �tats de conscience sup�rieure individuels, sont directement en prise sur le monde. Il devient donc productif de s'interroger par l'�pist�mologie sur la valeur quant � la survie des connaissances du monde que g�n�rent de tels Moi collectifs et sur les rapports que ces connaissances peuvent avoir avec une suppos�e v�rit�. Si elles s'auto-proclament vraies, relativement ou absolument, elles n'en auront que plus de force persuasive dans la comp�tition entre les connaissances et entre ceux qui les h�bergent. Les neuro-m�mes Nous venons de le voir, l'hypoth�se du Moi collectif d�coulant d'une v�ritable conscience collective produite par l'interaction des individus dans un groupe n'est pas prise v�ritablement en consid�ration par Edelman, qui reste fondamentalement un � neurologue de l'individu � . Elle permettrait pourtant de redonner de la consistance aux m�mes, trait�s d�daigneusement par notre auteur. Certes, si l'on consid�re les m�mes comme des informations d�sincarn�es voltigeant et se reproduisant tels des virus informatiques au sein des r�seaux de communication modernes, on ne voit pas comment ils peuvent contribuer � l'enrichissement du cerveau au travers des processus du darwinisme neural. Mais les m�mes ne sont pas seulement des syst�mes d'informations ou programmes d'instructions externes. Ils se traduisent n�cessairement, d�s qu'ils ont p�n�tr� dans un cerveau dot� de capacit�s langagi�res, par de nouveaux modules neuraux entrant en comp�tition avec les millions d'autres modules constituant le cerveau global. On retrouve l� l'approche dite de la neuro-m�m�tique d�fendue notamment par le britannique Robert Aunger(3). En ce cas, rien n'interdit de dire que le Moi puisse lui-m�me �tre le produit d'un conflit arbitr� en permanence, selon la force des informations en entr�e dans les r�seaux formels neuronaux, entre m�mes de provenance ext�rieure et modules h�rit�s ou acquis lors d'exp�riences comportementales ant�rieures. Ajoutons que cette hypoth�se permet de mieux comprendre la question � laquelle se heurte souvent les m�m�ticiens � non neuronaux � : pourquoi certains m�mes r�ussissent-ils � s'implanter chez certains individus et sont ils radicalement rejet�s par d'autres ? Pour y r�pondre, on parlera par image d'une question de r�sistance de terrain. Nous avons �voqu� � ce sujet (1) un ph�nom�ne tr�s voisin, celui de la fa�on dont le syst�me immunitaire repousse certains antig�nes et succombe au contraire devant d'autres. Gerald Edelman n'approfondit pas non plus, tout au moins dans Second Nature, la question d�licate r�sum�e par le concept de noyau dynamique et d'activit� int�grative (Dynamic Core). Il se borne � constater que, dans les cerveaux sains, la conscience n'est pas dissoci�e, tout au moins dans l'instant pr�sent. Elle est unitaire. Ceci est vrai qu'il s'agisse de la conscience primaire ou de la conscience sup�rieure. Le cerveau parait capable de r�aliser � tous moments une seule et unique synth�se r�sumant les r�sultats de la comp�tition darwinienne incessante entre lesquels s'affrontent les modules neuronaux conscients et inconscients. Ainsi le rapporteur d'un congr�s anim� peut r�sumer en un compte-rendu clair les r�sultats des d�bats. Mais quel est le m�canisme qui permet � tout moment l'expression d'un �tat unique de conscience ? (On parle aussi du probl�me du � binding �). O� et comment se produit ce ph�nom�ne essentiel � la compr�hension de l'unit� du moi conscient individuel ? On sait que la question n'est pas r�solue actuellement. Gerald Edelman fait cependant � ce sujet une observation � laquelle nous avons �t� attentifs. Il explique que pour comprendre le fonctionnant du noyau dynamique et la g�n�ration d'�tats de conscience unitaires, il est pratiquement impossible aujourd'hui d'exp�rimenter chez l'animal vivant et moins encore chez l'homme. Il faudrait de toutes fa�ons sans doute descendre bien au-del� de l'observation des neurones individuels, afin d'observer le fonctionnement corr�l� de milliards de cellules � et de mol�cules chimiques - appartenant au corps dans lequel le cerveau est situ�. Par contre, selon Edelman, on peut esp�rer que l'�tude, bien plus facile � mener, de la fa�on dont des �tats de conscience primaire �mergent chez les robots pourrait nous donner quelques pistes � ceci m�me si l'on d�couvrait que les robots acqui�rent des consciences bien diff�rentes des n�tres, comparables � ce que pourraient �tre des consciences d'extraterrestres(4). Pour conclure sur la neuro-�pist�mologie... Finalement, si nous voulions terminer cette br�ve recension par un retour � la question de la neuro-�pist�mologie, que retiendrons nous du livre ? Nous pouvons le r�sumer en quelques mots. Les connaissances, qu'elles soient embodied dans le corps ou embedded dans l'�coniche, sont toujours relatives, partielles et en comp�tition darwinienne permanente. Il en est de m�me des V�rit�s auxquelles on pr�tend obstin�ment les rattacher. Ce relativisme est �videmment lui-m�me relatif, selon notamment que les connaissances font appel � de vastes syst�mes de repr�sentations collectives aussi diff�rents que les mythologies d'un cot�, les th�ories scientifiques d'un autre. Les V�rit�s scientifiques elles-m�mes sont d�pendantes des cerveaux et de l'�tat de maturation qu'ils atteignent au fur et � mesure de l'�volution. Il n'est pas exclu, nous l'avons vu, que de super-robots intelligents puissent un jour se repr�senter le cosmos, la vie et la conscience, en termes scientifiques, certes, mais de fa�on bien diff�rente de la fa�on dont nous le faisons nous-m�mes. Quoi qu'il en soit, les connaissances, la fa�on de les produire (et la r�flexion �pist�mologique ou mythologique en d�coulant) sont nombreuses et diff�remment convaincantes ou conqu�rantes. Gerald Edelman, pour ce qui le concerne, a choisi depuis toujours son camp. C'est celui de la science et de la philosophie des sciences. Ainsi faisons nous aussi pour notre part. D'autres, pour des raisons qui leur sont propres, restent r�fractaires
au discours scientifique et pr�f�rent celui des religions.
C'est leur droit, �videmment. Qu'ils croient � Dieu ou �
Diable ne nous int�resse qu'� titre documentaire. Mais qu'ils
ne se m�lent pas de nous imposer leur point de vue. Gerald Edelman,
dans son livre, ne s'exprime pas avec cette franchise. Nous savons cependant
que c'est l� sa conviction philosophique profonde. Salut donc �
lui. Notes :� |
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