Beste Online Casinos Zonder Cruks In Nederland 2025Siti Non AamsKasyno Wypłata Bez Weryfikacji
Les Editions Jean Paul Bayol
Publications
Contact
D�coh�rences
L'Esprit de l'escalier
Avec un H
PMF-annexes
L'Europe-annexes
Diffusion-Distribution

�

Luc Charcellay : Ce roman, qui est votre premier, a �t� commenc� il y a 8 ans. Comment est venue l’�criture�?

Noam Rift : J’�cris r�guli�rement depuis tr�s longtemps. Mais comme ce que j'�crivais bifurquait du jour au lendemain, je ne finissais rien. Je pense que c'est la structure tr�s d�finie, la pr�d�termination de l'organisation temporelle, qui m'ont permis de terminer CORPS, d'aller jusqu'au bout. Cette inscription du temps dans le roman concerne naturellement l’�criture mais aussi les lignes th�matiques qui trouvent un ach�vement, peut-�tre une finitude, dans la succession des chapitres de plus en plus courts et dans la ponctuation de plus en plus rare jusqu'� sa suppression presque totale.

L.C : Le presque a son importance : le personnage principal, m�me s’il s’essouffle, ne perd pas totalement mais presque, sa respiration. Il n’est pas, ou pas encore, en apn�e profonde.

N.R : Oui, c'est vrai, j'insiste beaucoup sur ces rythmes organiques. J'ai cherch� une histoire qui pr�sente des similitudes avec l'�criture du temps que je voulais exp�rimenter. Oui, le personnage principal entretient une relation tr�s particuli�re avec l'air et avec les syst�mes respiratoires en g�n�ral. Il se comporte comme si la circulation de l'air n'allait pas de soi. Evidemment �a le rend fou. Essayez de penser en permanence que vous respirez, ou que vous pensez, je vous souhaite bonne chance ! Non, ce qui m'a motiv� c'est qu'un lecteur puisse ressentir physiquement le temps, dans le d�coupage des chapitres sous forme de s�quen�ages en diff�rents r�gimes de vitesses, perturb�s par l'intervention de reliefs diff�rents. Mais je ne voulais pas tenir un discours philosophique ou scientifique sur le temps, seulement � faire percevoir un temps de la vie courante si vous voulez. J’ai donc recherch� une �criture qui perd sa respiration, qui termine litt�ralement ‘� bout de souffle’ .

L.C : C’est une �criture romanesque, affirm�e comme telle. CORPS est le premier roman achev� mais est-il le premier ?

N.R : J’ai �crit quelques sc�narios pour le cin�ma, des pi�ces de th��tre ou assimilables � des pi�ces de th��tre. Il s’agissait d’explorations mais l'exp�dition s'est perdue dans la jungle. Dans le tas il y avait effectivement un roman d’une centaine de pages mais qui s’est perdu lui aussi.

L.C : CORPS accumule les pertes, et l’on pourrait dire les pertes des pertes, la perte de l’identit�, la perte physique dans la ville puisque Berlin est ‘� part enti�re’, la perte du sens bien �videmment. Lors que d’aucuns pensent que le sens est ce qui nous quitte, CORPS semble dire que le sens est l’int�r�t au monde, la pr�sence que nous perdons ou qui nous est refus�e.

N.R : En 1990, l'ann�e o� se situe le roman, j'ai pris conscience de l'irr�versibilit� de certains ph�nom�nes : la disparition des id�ologies bien s�r, mais aussi celle de certains �tres chers, d�cim�s par l'�pid�mie du sida. En 1998, quand je commence la r�daction de CORPS, on est d�j� habitu�. C'est horrible � dire mais c'�tait devenu presque banal. On assistait � une sorte de tr�ve, comme un suspend de la mort, les m�dias s'�taient lass�s. Pour moi �a restait tr�s obs�dant, d'autant plus obs�dant que l'on semblait avoir tourn� la page. Je voyais le monde se niveler - nous l’�prouvons aujourd’hui avec encore plus d'acuit� - les choses perdant leur relief, tout valant tout : les go�ts aplanis, la politique nivel�e, le lib�ralisme devenant la norme indiscutable et la mort toujours plus aseptis�e.
Si l’�criture est une fa�on - la seule fa�on peut-�tre - de sculpter la r�alit� ou tout du moins ‘d’y �tre pr�sent’, de participer, CORPS refl�te aussi ma peur qu'elle disparaisse avec l'eau du bain, qu’on se contente progressivement de traits monotones � la place du dynamisme de l'�criture, d'un �lectroenc�phalogramme plat plut�t qu'un enc�phalogramme alerte.

L.C : Revenons � Berlin, la ville est une m�taphore - mais bien s�r pas seulement cela - : la ville qui se maquille, qui se cache, qui devient, au sens premier du terme, urbaine, qui ne montre rien de ses rides et de sa face sombre, c’est aussi l’acteur qui se maquille…

N.R : Oui, �a revient souvent, mais c'est surtout la lecture parano�aque qu'en fait le personnage principal. Pour lui le r�el est maquill�. Il consid�re le monde comme le lieu d'un vaste complot. En cela il est assez proche de l'id�ologie nazi, anim�e par la recherche compulsive d'une origine sans fard, ce "comble" dont parle Louise Lambrichs. Sauf que lui reste maquill� et se consid�re probablement comme un complice trivial du complot, mais un complot qui le d�passe, dont il ne conna�t pas les r�gles et dont il doit redouter les renversements.

L.C : Oui, il est toujours sous maquillage -comme on dit �tre sous drogue- ! CORPS balance et montre l’oscillation entre la dialectique de l’indiff�rence et l’indiff�rence dialectique, cette indiff�rence est aussi celle que permet l’hypostase, le maquillage.

N.R : C’est du m�me ordre que le relief fertile que je viens d'�voquer. Le maquillage permet de changer sa personnalit�, de changer de personnage. Dans le fond, c'est une fa�on de r�sister � la st�rilit� du d�sert, si l'on reprend la m�taphore du paysage. Derri�re Trente-Neuf, l’acteur de cin�ma qui tient le r�le principal dans CORPS (on pourrait m�me dire le r�le-titre du livre) on peut y voir David Bowie qui a �t� si d�terminant pour faire de Berlin un concept album ou un lieu culte, si j'ose me permettre le mot. Par ailleurs, la p�riode Berlinoise de Bowie correspond justement au moment o� il cesse de se d�ployer dans des personnalit�s juv�niles, extra terrestres, hermaphrodites, ang�liques ou d�moniaques. C'est � Berlin qu'il endosse celle du Thin White Duke, une personnalit� suffisamment adulte pour ne plus devoir la quitter, laissant � Berlin la charge d'incarner cette plasticit� d'apparences.
Il faut se replonger dans une �poque qui vient d'�tre marqu�e par le retour d'id�ologies sanglantes, par le culte de personnalit�s aussi discutables que celle de Mao, par exemple. La pop-music sort elle aussi d'un climat de violence. ‘Symphathy for the devil’, rapidement �voqu�e dans le roman, en est symptomatique. J'esp�re que cela reste tr�s perceptible dans le roman, quoique je n'insiste pas trop sur le ph�nom�ne. Les diff�rents visages de Bowie sont en rupture avec la radicalisation des ann�es 60. Quand Bowie entreprend sa trilogie avec Brian Eno, c'est Berlin qui prend la rel�ve. Elle garde cette dimension polymorphe qui favorise les �changes interlopes par-del� le rideau de fer jusqu'� la chute du mur. � ce moment-l�, les choses changent. Berlin boulevers�e par les grands travaux de la r�unification laisse appara�tre au grand jour, strate apr�s strate, les stigmates du si�cle qui s’ach�ve, la violence, la haine et une fois encore la perte ; s’y ajoute un Doppelg�nger v�ritablement d�routant qui est Berlin-Est.
Les personnages sont, � des degr�s divers, des hypostases de la ville et eux aussi poss�dent - et sont poss�d�s par - un redoutable Doppelg�nger. C’est certain pour les personnages secondaires, Standart qui essaye de filmer des accidents, les clochards, tous ces gens qui sont expuls�s de la ville et qui se retrouvent sur le tournage du film. Quand Trente-Neuf se blesse, on assiste � un passage brutal du corps sain au handicap, une catastrophe du corps valide au corps bloqu�, un corps incapable de bouger. Le livre se termine d’ailleurs � Chypre o� finalement Trente-Neuf reste bloqu� sur une �le coup�e en deux. Son destin s’apparente � un ‘Berlin � rebours’. Il va, in�luctablement, retrouver ce que Berlin n’est plus ; Berlin est devenue une ville ouverte, une h�morragie interne. � Chypre, il va d�couvrir la v�rit� de son corps : c’est quand son corps n’est plus valide qu'il le retrouve. Il ne peut le re-sentir que dans cette exp�rience de l'exc�s, autrement il ne sent rien.

L.C : Il me semble que la ‘mutation de Berlin’ - parler de mue serait sans doute plus juste - est d�crite bien plus comme une lobotomie que comme un lifting ! Et les personnages semblent entra�n�s par ce mouvement qui les conduit � la lobotomie et presque � la r�clamer.

N.R : Absolument. J’ai cette image : casser le mur ouvre les vannes d'un gigantesque courant d'air. Dans la br�che du mur s'engouffre un vent qui rend fou. Pour rester en prise avec le monde, un sujet doit rester divis�. S'il retourne � l'unit�, il perd toute notion de l'ext�rieur. En s'ouvrant, Berlin perd ses visages multiples et s'expose � la schizophr�nie, consid�r� non pas comme un d�doublement de la personnalit� mais comme l'enfermement d'un sujet dans une pure individualit� justement, une entit� sans lien avec ce qui lui est �tranger.

L.C : C’est exactement ce qui arrive � la vid�aste, � Juliette, elle s’ouvre � la schizophr�nie.

N.R : Et contrairement � ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas une personnalit� coup�e en deux : c’est une personnalit� qui a perdu ses d�fenses ; tout s'engouffre en elle.

L.C : Christo est �voqu� au travers d’analogies chirurgicales extr�mement inqui�tantes, les draps chirurgicaux, ce qu’on appelle le champ chirurgical : Christo enveloppe le Reichstag parce qu’on va trancher les centres nerveux, les centres de la m�moire et bien s�r il pr�pare l’ali�n� ! Et ce n’est pas pour rien d’ailleurs que la ville est d�crite comme centrip�te autour du Reichstag.

N.R : J’emploie le mot Reichstag alors que les Allemands d'aujourd’hui ont tendance � le remplacer par Bundestag, le parlement qui s'y r�unit. Le Reichstag c’est le b�timent. Le Palais du Reichstag. Ce n’est pas le Bundestag que l’on va lobotomiser mais le Reichstag. D'ailleurs, Christo n’a jamais parl� d’emballer le Bundestag, le Reichstag oui. Je pense que cela ne l’int�ressait pas d’emballer le Bundestag. Les parlementaires s'en chargent bien tout seuls !

L.C : Un autre point m’a beaucoup frapp�, comme une m�taphore, m�me si historiquement c’est absolument juste, comme une m�taphore de la schizophr�nie ; ce sont ces longs passages, analogiques � l’histoire des personnages, sur la solution finale et le rapport de haine qui existait entre les nazis, notamment la S.S., et l’Arm�e, la Wehrmarcht. L� aussi, c’est un rapport compl�tement schizophr�ne de la part d’Himmler et de Goebbels, Himmler qui a d�fendu un temps la Wehrmarcht et qui, d’un autre cot�, s’en m�fiait profond�ment. Il ne voulait pas que des militaires soient affect�s aux camps de concentration et surtout pas aux camps d’extermination. Cela pose de fa�on abrupte la question du crime de guerre et du crime contre l’Humanit�, la notion est complexe � la hauteur du crime en un sens.

N.R : Non, pas forc�ment. Le crime est un manquement tr�s grave � la morale et � la loi. C'est la notion d'Humanit� qui est complexe. Avec l'�volution de l'article 7 du statut de la Convention Internationale �a devient tr�s compliqu� de s'y reconna�tre parce que la d�finition du crime contre l'Humanit� n'est plus assez sp�cifique. Il faut une intention discriminatoire pour qu'il y ait crime contre l'Humanit�. Cette intention est le premier signe d'inhumanit� parce qu'elle ne tient pas compte de la diversit� qui compose l'Humanit� et qu'elle impose une hi�rarchie, des sup�rieurs et des inf�rieurs fictifs. Or cette discrimination est souvent inscrite implicitement dans la culture de l'assaillant, et de fa�on souterraine dans sa langue. L'inhumain est donc d'abord et avant tout cet aveuglement de l'assaillant qui prend sa culture et sa langue pour seule norme. Or qui peut se vanter de ne pas avoir v�cu cet aveuglement ? Nous avons tous notre part d'inhumanit� parce qu'elle est fondamentalement li�e � cette volont� d'enfermement qui ne laisse pas de place � l'autre. Elle est tr�s pratique parce qu'elle nous dispense de faire l'effort de se d�placer vers l'autre. Il s'agit seulement d'une certaine paresse. Cela devient un crime quand on cherche � �liminer l'autre qui nous fait de l'ombre. Et l'�limination devient un crime contre l'Humanit� quand c'est � l'�chelle d'un �tat que les choses se passent. L'�tat inhumain est d'abord celui qui impose une politique d'unit�, de r�tention, ferm�e au reste du monde, et centrip�te. Mais il devient bassement inhumain quand il traite l'�tranger, l'unheimlichkeit, l'�tranget�, comme un objet et cherche � l'�liminer comme un objet encombrant dont il veut explicitement se d�barrasser. Il le traite souvent comme une d�jection (et c'est l'aspect corporel qui m'int�resse ici) ce qui montre assez combien la chose est issue d'un corps qui est le sien mais qu'il ne veut pas admettre.
La qualification de crime contre l’Humanit� devrait �tre conserv�e selon moi, uniquement dans le cas d'�tats qui se donnent des moyens industriels pour assouvir leur perversion ; la destruction volontaire, revendiqu�e, d’une ethnie � l'�chelle industrielle, l� on comprend bien l'inhumanit� de tuer des civils avec des moyens m�caniques, comme des ferrailleurs qui compressent des v�hicules apparemment hors d'usage. L� c'est bassement inhumain. Le reste est h�las humain, trop humain m�me, m�me si c’est r�voltant. L'attaque, la d�cision d'employer la violence est condamnable mais elle n'est pas inhumaine. J'ai peur que cette �volution de l'article 7 ne participe de la perte de sens dont j'ai parl�. Le sens des mots se barre et tout vaut tout, la guerre et l'inhumanit�.

L.C : CORPS est construit comme un camp de concentration…

N.R : De fa�on assez logique, car il d�crit le mouvement concentrationnaire qui conduit une soci�t� ou des individus � construire leur prison int�rieure. Comme je le disais, le concentrationnaire permet de couper les liens avec l'ext�rieur. Il implique automatiquement la perte du sens. On ne peut pas le dire mieux qu'avec la devise "Hier ist kein warum", utilis�e pour les camps de la mort. Dire qu'ici il n’y a pas de pourquoi, c'est dire qu'il n'y plus de pour, il n'y a plus de quoi, plus de qui, qu'il n'y a aucune raison ou pire, qu'il y a une raison autosuffisante. S'il n'y a plus de raison, il n'y a plus de tort. Et d'une certaine fa�on, on a toujours raison, on a raison � tous les coups, � tous les coups qu'on donne et tous les coups qu'on re�oit. C'est un d�douanement complet de la responsabilit�. D'autant plus que, pour quelqu'un dont le fran�ais est la langue maternelle et qui n'est pas sp�cialement sensible � la longueur des voyelles, dans warum je ne peux m'emp�cher d'entendre um Wahr, c'est-�-dire ce qui tourne autour (um) de la v�rit� (Wahr). On ne peut pas aller plus loin dans la perte du sens que d’interdire le warum.

L.C : Les personnages sont d’ailleurs incapables de poser des questions. Ils ne demandent pas. L’alt�rit� ne se questionne pas.

N.R : C’est �a, dans le dernier chapitre le sens n’existe plus ou sous la forme d'une esp�ce de bousculade difficile � suivre. Tr�s concr�tement, ce sont des rejets de textes que j’avais supprim�s du chapitre pr�c�dent. J’ai conserv� les rejets, des trucs que je jetais d’habitude. Je les ai conserv�s. Le dernier chapitre est l’accumulation de ces rejets mis bout � bout. �a donne un court texte final assez illisible, mais dont j'esp�re, l'intention est tout � fait perceptible.

L.C : Oui mais comme le personnage se livre � ses sens, et non plus au sens, c'est-�-dire � la chaleur, au frais, etc. c’est tout � fait logique que ce soit illisible. Pourquoi Corps ?

N.R : Mis � part que je ne trouve pas g�nant qu’un titre soit en d�calage avec le contenu, l'essentiel du livre cherche � d�crire comment un corps se construit et se disloque � la lumi�re de la ville, des images cin�matographiques, de l'�change physique et mental avec les autres. Dans le roman, les corps sont toujours en repr�sentation d'autre chose et c'est ce qui les fait vivre. M�me s'ils sont intoxiqu�s par la drogue, par le cin�ma, par les images d'eux-m�mes ou des autres, cette jouissance dit tout de m�me un certain plaisir douloureux, mais un certain plaisir � vivre. La d�pression est tr�s pr�sente aussi, mais elle est toujours pr�sent�e comme une dynamique corporelle vitale. Il est vital que l'Histoire, les villes, l'Art et le corps vivent leurs moments de d�pression. Je peux dire autrement ce que j'ai d�j� dit : il n'y a pas que les arbres qui soient une colonie, les corps aussi. Le corps est une ville disons. En revanche ce qui disloque un corps, comme le corps de l'Allemagne � un moment les plus noirs de son histoire, c'est l'aberration de croire qu'il ne sera jamais divis�, jamais d�pressif, toujours droit dans ses bottes, sans les courbes, les inclinaisons, les climats et les arborescences qui donnent naissance � toutes les formes de la vie et constituent les corps. Un corps est tout le contraire de cette volont� d'unit� sans contradiction. Si le corps d�cide d'�liminer tous ses tourments, alors il est conduit � une folie qui peut �tre dangereuse, d�vastatrice et qui peut � terme disloquer tous les corps. Oui, alors le sens de la vie dispara�t, il n’y a plus rien � dire, il n'y a plus rien � �crire.

�


















�