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Mathieu Fran�ois du Bertrand : L'or des saisons

La D�p�che du Midi

Mercredi 30 juillet 2008

Publi� sur My Space

10 juil. 2008, 07:00

L’or des saisons, Mathieu Fran�ois du Bertrand

Soleil
Tout est nu � sentir, chaude odeur emport�e
Cela d'ombres ti�des et de Soleil, l'Et� !
Charme roux - et les fruits gonfl�s d'eau qui se cr�vent -
J'y bois ! et l'on rit rassasi� en un r�ve -
C'est comme au vent laisser l'abri d'une maison.
Hors ce regret
riant qui m'est l'or des saisons
Amas de chaud, de rouge brun o� je me plonge,
En ce soleil qui avec l'ombre au soir s'allonge
Je veux y rire ! Il faut le tirer � bras nus
Ce reflet gonfl� d'or, d'ombre, de jours connus
Nouvel Et� - ou que, chaleur, il naisse � peine,
� s�r abri du nul hiver qu'en moi je tra�ne.

Et bien parlons-en, de L'or des saisons, du bonheur de lire le dernier roman de Mathieu Fran�ois du Bertrand publi� aux �ditions Jean-Paul Bayol.
L'�criture surprend par son �l�gance, il s'agit d'une prose au charme d�suet, d'une sobri�t� intacte attel�e au char des cinq sens. Le mot d�suet n'est pas p�joratif sous ma plume, je fais rends simplement hommage � la distinction de la langue, � son souffle qui l'inscrit dans une g�n�alogie inactuelle et qui nous porte, entre autres, vers Pierre Frayssinet, po�te gascon de la Lomagne, un des plus beaux troph�es fauch�s par la mort en l'ann�e de ses vingt-cinq ans, dont la vie et l'œuvre illuminent la biographie romanesque de Mathieu Fran�ois du Bertrand. J'ai lu ce livre comme une ode � la joie d'accueillir, et d'�tre habit� par la lumi�re, par un corps, un terroir, une œuvre, un corps � corps avec la mort, le silence, l'in�narrable chute et l'appel du grand saut. C'est pourquoi j'ai pens� � Mishima, celui du Pavillon d'or et du Marin rejet� par la mer, o� la qu�te du n�ant se confond avec l'orgie des sens et le culte du sublime. Mishima aussi, pour l'admiration qu'il portait � Radiguet, � qui l'on pense immanquablement en d�couvrant le destin de Pierre Freyssinet. Si la grande question est celle de l'�tre, de la maison de l'�tre et dans son articulation par l'art, alors L'or des saisons est bien plus qu'un hommage au po�te oubli�, c'est aussi une m�ditation sur la vie h�mophile, l'existence comme spectacle de sa propre d�rive et ode � la vague salvatrice qui pourtant fendra le radeau. Mathieu Fran�ois du Bertrand est donc habit� par Pierre Freyssinet, son roman tient lieu de d�claration d'amour, d�claration que nous reprenons � notre compte, �pris d'un d�sir de contagion et d'incantation. Preuve, s'il en est, que l'�treinte est s�minale.

Maxime Foerster

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Publi� sur 'Stalker' :

http://stalker.hautetfort.com/archive/2008/08/25/quelques-fleurs-sur-la-tombe-de-pierre-frayssinet.html

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Quelques fleurs sur la tombe de Pierre Frayssinet

par Juan Asencio


�Peut-�tre le vent n’est-il pas du vent. Ni la mort, de la mort. Un monde inconnu nous entoure et puisqu’il n’est pas donn� � l’homme de bondir hors de ses pens�es, nous ne l’approcherons jamais - quitte � en soup�onner les signes et comme la trace dans une fum�e, qui monte d’o� ? dans une fente du mur, dans quelque influence errante, dans tout ce qui nous frappe par une allure d’absence et d’�tranget�.�
Jean Paulhan, Les Fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les Lettres (Gallimard, coll. Folio essais, 1990), p. 281.

Je ne suis pas certain de beaucoup aimer les po�mes de Pierre Frayssinet, l'un de ces auteurs impeccables et insignifiants, aussi impeccables qu'insignifiants d'ailleurs, dont on retrouve les obscurs �gaux dans cette magnifique collection h�las �puis�e qu'�dita La Diff�rence, Orph�e. La mort seule, sans que nous sachions exactement quelle maladie a emport� Pierre Frayssinet, semble avoir aur�ol� d'une lueur tragique ses po�mes tendus au cordeau et �pousset�s avec le soin maniaque d'une grand-m�re, alors que le Journal d'un autre �crivain mort lui aussi jeune (� vingt-six ans), Jean-Ren� Huguenin, gronde d'une force int�rieure et d'une col�re annonciatrice, on le dirait, de toutes les catastrophes insignifiantes qui se sont produites (et continuent de se produire) depuis la seconde moiti� du XXe si�cle. Huguenin chante contre la g�n�ration lyrique diss�qu�e par Fran�ois Ricard, imposant ses belles notes aux innombrables couacs de ces castrats sans pens�e et sans coffre. Frayssinet, lui, semble berc� par la douce m�lodie de ses propres po�mes chantant l'or tragique des heures enfuies, m�lodie cr�ant comme un doux cocon � l'abri duquel il r�va, sans se souvenir des �clats tragiques des voix de la guerre toute proche, la Grande et celle qui allait venir, qu'il ne vit pas et ne soup�onna, selon toute apparence, pas davantage.
Nous sommes � l'�poque o�, comme l'�crivait Paul Gadenne, l'�crivain doit se dresser, tout du moins ne pas avoir peur de se dresser et �crire dans cette unique attente, face au bourreau. Comme je pr�f�re, d�s lors, la force � l'aff�terie, la mani�re barbare aux interminables pr�s�ances d'une politesse sombrant dans la pr�ciosit� la plus ridicule, Jean-Ren� Huguenin, dont nul n'a fleuri la tombe, surtout pas ce Judas de petite corde qu'est Philippe Sollers, plut�t que Pierre Frayssinet !
Ce sont donc bien �videmment les qualit�s �videntes du livre de Mathieu Fran�ois du Bertrand (pseudonyme de Jimmy Rodriguez, qui a tout de m�me plus d'allure) qui m'ont fait go�ter les derni�res ann�es de la vie de ce jeune po�te mort en 1929.


Ces qualit�s sont de pure sympathie t�moign�e au jeune mort, comme si notre auteur, tout autant que des po�mes de Pierre Frayssinet, s'�tait p�n�tr� des textes de Charles Du Bos. Mais il n'y a pas seulement, dans L'or des saisons, que la seule manifestation d'une sympathie litt�raire, aussi forte qu'on le souhaitera. Il y a encore de magnifiques notations, aussi subtiles qu'�ph�m�res, �voquant les paysages travers�s par le jeune po�te et, bien s�r, notre auteur, notations qui me paraissent constituer la lente d�cantation d'heures enti�res, peut-�tre de jours de marche : la lumi�re, ainsi, est l'un des sujets �vidents de ce roman, mais aussi le lent passage des heures, le temps qui sculpte une terre et ses habitants tout autant que ses coutumes ancestrales, le temps qui module les voix des hommes et gonfle les chants des po�tes. Peut-�tre ces derniers ont-il cess� de chanter au moment o� Pierre Frayssinet d�cide � son tour de joindre sa voix claire et fragile aux leurs...
Pierre Frayssinet n'est finalement qu'un pr�texte, comme si l'auteur s'�tait pench� sur un minuscule insecte, aussi splendide que rare, qu'il savait devoir mourir dans quelques heures � peine, une fois accomplis son bourdonnement fr�n�tique et sa spasmodique cueillette de quelques grains de pollen. Notre po�te n'est ici qu'une caisse de r�sonance, parfois une simple coquille vide qu'investit la pr�sence attentive de l'auteur. Mathieu Fran�ois du Bertrand, s'il montre le magnifique paysage qui est celui dans lequel Pierre Frayssinet a grandi puis aim� vivre, nous le d�crit creus� par une lumi�re de l'aube du monde, caress� par un vent qui charrie les plus anciennes paroles, les mots d'autrefois, durs et clairs, que seul le po�te sait faire de nouveau entendre : �Voir, dans ces paysages, n’a d’int�r�t que dans la mesure o� l’on est convaincu de lire un livre de contes perdus� (L’or des saisons, Jean-Paul Bayol, 2008, p. 62). Et puis encore, ce passage, magnifique, extrait du journal priv� imaginaire (puisque celui de Pierre Frayssinet n'existe plus) du jeune po�te, o� se m�lent les ombres des grands romantiques allemands et de Rilke avec tout de m�me un tranchant, un sens du tragique, une profondeur hant�e par les voix des morts que je n'ai pas trouv�s dans les textes appr�t�s de l'auteur des �l�gies de Duino : �Ces lieux que le langage a travers�s, on n’y passe pas sans sentir le sol vibrer � la m�moire des visages qui les ont chant�s. La po�sie rendrait donc plus digne ? Peu importe. J’aime n�anmoins l’id�e de lointain qui se cr�e dans ce que nous avons de plus proche et de plus personnel, et cette possibilit� d’une dur�e immobilis�e, immortelle, dans ce qui, h�las, nous �chappe le plus. La lecture ne permet pas seulement de rendre visite aux morts, car elle rend ce qu’ils ont racont� pour nous. Elle vient taire la parole en buvant au plus pr�s d’une communaut� absente, qui ne cesse jamais de chanter, et vient bouleverser le silence pour mieux le traduire en signes. Et ce sont ses appels qui �l�vent en nous le projet d’un destin. Il n’y a pas de r�cits accomplis ou achev�s, encore moins de r�cits � venir : il n’y a que des histoires pr�sentes� (p. 240).
L'id�e de lointain �crit l'auteur. C'est sans nul doute cette d�licate qualit� d'�criture que je rapproche de la d�finition que Walter Benjamin donnait de l'aura (1) qui conf�re � ce beau livre son poids de langueur : les dieux se sont enfuis mais la parole demeure qui peut, en les chantant, rappeler leur beaut� �vanouie, leurs hautes gestes pleines de bruit et de fureur, l'or d'un �ge o� la parole ne se r�duisait pas au babil des journalistes, au putanat g�n�ralis� des m�dias, autant de bouches pourries ouvertes sur les d�combres. Qu'importe alors d'�voquer Pierre Frayssinet et sa vie languide si le narrateur (le conteur ? : �Pour moi la po�sie a un lien avec la parole, avec cette id�e (qui est sans doute tr�s inf�rieure � une conception) que la parole nous devance pour la seule raison qu’elle est plus vaste que nous�, p. 8), si le narrateur investit ses mots pour prononcer, � son tour, apr�s tant d'autres, avant tant d'autres encore, quelques mots de la phrase imm�moriale qui compose le monde : �Il me semble que ce sont perdus les abymes (sic), �crit Mathieu Fran�ois du Bertrand et les lieux vides o� le regard n’avait pas de lois pour se guider, les cavernes o� la voix, tant elle �tait continue, semblait la mati�re m�me du Temps� (pp. 205-6).
Ainsi humblement consid�r�, l'art, qui effectivement gagne une partie de sa beaut� terrible de rester anonyme, comme au temps o� l'humble artisan ne tentait pas, par tous les moyens dont il dispose de nos jours, de prostituer son maigre nom, n'a plus peur de la mort : �C’est le feu qui accomplit � ma place la voie de mon esp�rance. Et j’aime voir, toutes les nuits, que c’est dans l’ombre qui nous ravale que nous gagne ce sentiment sublime de perdre tout, un instant, ou plut�t de n’avoir jamais rien eu. � ce moment-l� je me sens heureux, vraiment heureux, car moi aussi je n’appartiens pas; je m’en vais; mais je pars en chantant. L’œuvre est la conqu�te d’un deuil qui nous devance : on avale ce qui va nous d�vorer, on aime ce qui va nous vaincre. Mais pour combien de temps ?� (p. 229).

Note
(1) �On pourrait la d�finir [l’aura] comme l’unique apparition d’un lointain, si proche soit-il. Suivre du regard, un apr�s-midi d’�t�, la ligne d’une cha�ne de montagne � l’horizon ou une branche qui jette son ombre sur lui, c’est, pour l’homme qui repose, respirer l’aura de ces montagnes ou de cette branche�, in Walter Benjamin, L’œuvre d’art � l’�poque de sa reproductibilit� technique (Allia, 2003), pp. 19-20.

Vouloir la v�rit� d'un monde achev�

Rencontre avec

Mathieu Fran�ois du Bertrand

� propos de L'or des saisons

Editions Jean-Paul Bayol, 2008.

Rapha�l Dargent. - Votre deuxi�me roman, L’or des saisons, est enti�rement consacr� � la destin�e tragique du po�te et �crivain fran�ais, Pierre Frayssinet, mort tr�s jeune en 1929 et aujourd’hui oubli�. Qu’est-ce qui vous a mis sur les pas de cet auteur ? Le hasard de la proximit� g�ographique, vous-m�me �tant comme lui install� en Gascogne ? Une communaut� d’�ge ? Une m�me affinit� po�tique ?

Mathieu Fran�ois du Bertrand. - Le hasard a eu une grande part, au commencement, parce que c’est en ouvrant un dictionnaire de la Lomagne que je suis tomb� sur un article consacr� � Pierre Frayssinet. Bien s�r, il y a eu de nombreux po�tes morts jeunes, dans toutes les r�gions de France, mais peu ont eu un talent aussi remarquable. Avant de m’installer � Paris j’ai longtemps habit� dans le Sud-Ouest de la France, et vous avez raison de rappeler cette expression ch�re de � proximit� g�ographique �, car c’est ce qui m’a conduit � Pierre Frayssinet. Sans ce facteur-l�, il est bien clair que jamais je ne l’aurais d�couvert. Cela dit, il faut savoir que cela n’aurait pas suffit � conduire ce dialogue d’outre-tombe. Mon �motion devant son destin �tait r�elle, mais elle aurait �t� incapable � elle seule de faire �merger cette volont� qui m’a amen� � �crire un livre sur une personne ayant vraiment exist�. Il fallait qu’il y ait quelque chose de plus fort, et ce bouleversement a eu lieu quand j’ai lu les œuvres de Pierre Frayssinet : j’en suis tomb� amoureux tout de suite. Oui, lui et moi �tions li�s par beaucoup de choses, nous avons � peu pr�s le m�me �ge, en grandissant nous avons connu les m�mes lieux, nous avons en commun l’amour de Baudelaire et de Mallarm�. La seule chose qui nous a s�par�s, et c’est le plus triste � reconna�tre, c’est l’�poque : il est mort un demi-si�cle avant que je naisse. Cela �cartait d’embl�e toute affection personnelle ou amicale, car je ne l’ai jamais rencontr�. J’ai certes rencontr� des personnes qui l’avaient rencontr�, ou des personnes qui avaient rencontr� des personnes qui le connaissaient, mais cette intimit� entre nous s’est arr�t�e l�.

Rapha�l Dargent. - La Lomagne, ses paysages, ses ch�teaux, sont omnipr�sents dans votre roman. C’est beaucoup plus qu’une toile de fond. La nature �tait-elle une source importante de l’inspiration de Pierre Frayssinet ?

Mathieu Fran�ois du Bertrand. - Ah oui, tout � fait, et l� nous revenons au probl�me �voqu� plus haut, � savoir celui de la v�racit�. Pierre Frayssinet avait un rapport passionn� avec les lieux, et surtout la campagne du Gers et du Tarn-et-Garonne, o� il revenait tous les �t�s. Paris ne lui a jamais plu, bien qu’il y passait la plupart de l’ann�e afin de suivre des �tudes de sciences �conomiques. Un de ses grands plaisirs �tait de revenir en Lomagne, avec sa famille, � la fin de son ann�e universitaire, afin de s�journer chez lui, � Beaumont-de-Lomagne ou � Mauroux, g�n�ralement de juillet � septembre. Dans l’œuvre de Pierre Frayssinet, la nature est une forme sacr�e d’embrasser la pr�sence, et d’�tre plus � m�me de p�n�trer le cœur de cette avidit� qui rend les jours si fragiles. Quelques po�mes ont m�me �t� sign�s dans des endroits tr�s divers : une fois dans un jardin, une autre fois au bord d’une fontaine… Il tenait vraiment � �tre le plus pr�s possible de son objet, et c’est sans doute ce c�t� virgilien qui m’a le plus s�duit dans son œuvre : sa fa�on de parler des ruisseaux ou des diff�rents degr�s de lumi�re, par exemple.

Rapha�l Dargent. - Je rel�ve une tr�s belle notion dans L’or des saisons : celle de ma�tre et de disciple. Pierre Frayssinet admirait Mallarm� mais suivit les conseils de classicisme de Raymond de La Tailh�de, longtemps proche de Maurras. Quel fut exactement l’apport de Raymond de La Tailh�de dans l’oeuvre de Frayssinet ?

Mathieu Fran�ois du Bertrand. - La Tailh�de �tait un ap�tre d’un romantisme sempiternel, parfois lourd, c�l�brant toujours le solennel du solennel du solennel. C’est l� une de mes grandes diff�rences avec Pierre Frayssinet, car je suis peu sensible � la po�sie de Raymond de La Tailh�de, et malgr� mes efforts je peine � croire qu’il ait eu de l’admiration pour lui. Je sais que Verlaine v�n�rait La Tailh�de et qu’il avait m�me dit que � le jour o� la nature fit de beaux r�ves, elle vit na�tre Raymond de La Tailh�de �, soit, mais c’est un int�r�t que je ne partage pas. Ce qu’on peut voir, nonobstant, dans l’œuvre de Pierre Frayssinet, c’est cet acad�misme ind�niable qui l’a tenu � l’�cart de l’avant-garde, notamment des surr�alistes. Et cette rigueur, il la devait sans doute � Raymond de La Tailh�de. C’est � ma connaissance le seul auteur que Pierre Frayssinet ait fr�quent�.

Rapha�l Dargent. - Vous-m�me vous d�finissez comme un disciple de l’�crivain Renaud Camus. Vous pratiquez d’ailleurs comme lui, et comme lui avec talent, l’�criture du journal et la photographie. Si Renaud Camus fait pour vous figure de ma�tre, quel est son enseignement ?

Mathieu Fran�ois du Bertrand. - Oulala… Je ne me suis jamais d�fini comme un disciple de Renaud Camus. C’est une place qu’on m’assigne souvent, mais elle est contestable sur de nombreux points. Il y a d’abord que Renaud Camus est sans doute le plus grand �crivain fran�ais d’aujourd’hui, et vous imaginez sans mal l’envergure qu’impliquerait le statut de disciple. Malgr� ses divergences avec l’�poque, Renaud Camus est quand m�me beaucoup lu par de jeunes auteurs qui le citent et le d�fendent, et je ne suis pas s�r, loin de l�, d’�tre le repr�sentant le plus dou� pour incarner cette suite. Il est vrai que je connais Renaud Camus depuis de nombreuses ann�es, mais de sa part je n’ai jamais re�u d’enseignement � proprement parler.

Rapha�l Dargent. - Que pensez-vous de la litt�rature fran�aise actuelle ? Et outre Renaud Camus, quels sont les auteurs, pr�sents ou pass�s, que vous affectionnez ?

Mathieu Fran�ois du Bertrand. - Ce que je pense de la litt�rature fran�aise d’aujourd’hui ? Figurez-vous que je viens d’habiter un an en Espagne, et je dois vous dire que l�-bas, pire qu’ailleurs, on rappelle aux grincheux � l’�ge d’or � du livre que notre si�cle traverse, et je trouve cela honteux, car je crois exactement l’inverse, � savoir qu’aucune �poque n’a jamais �t� aussi peu litt�raire que la n�tre. En France, la situation n’est gu�re mieux, parce que la litt�rature officielle, celle dont parlent les journaux � grand tirage et les �missions pseudo-litt�raires, est une litt�rature d�testable. Mais la haute litt�rature existe encore, m�me si elle a perdu ce r�le majeur autour duquel la soci�t� g�n�rait une �me. Aujourd’hui la litt�rature a rejoint l’empire du divertissement, mais dans ses souterrains on entend encore parler des Pascal Quignard, Jacques Roubaud, Yves Bonnefoy, et malgr� tout c’est un bonheur, dans un pays comme le n�tre, de voir que tous les ans des livres sont �crits par ce genre de personnes.

Rapha�l Dargent. - Vous placez en exergue de votre roman la formule de Jean Giraudoux : � Le lyrisme n’est pas la seule po�sie du monde ; il en est la seule dignit�. � Et on sent poindre chez vous comme chez Frayssinet, derri�re l’exag�ration des sentiments et l’exacerbation des sens, l’attrait jamais vraiment formul� pour le grand homme, le souci de la grandeur, peut-�tre m�me une certaine soif de h�ros. Mais y a-t-il encore place aujourd’hui pour le lyrisme et pour la grandeur ? Ne sommes-nous pas, en litt�rature comme en politique, parvenus au royaume de Lilliput ?

Mathieu Fran�ois du Bertrand. - J’ai parl� de valeur, dans L’or des saisons, parce que je crois que dans le temps un non-lieu est possible, un �cart o� toutes les �poques viennent choir, qui fait qu’on les adore toutes. Cet essai pour aimer l’alentour sera toujours possible dans une soci�t� historique, c’est-�-dire dans un lieu qui n’�chappe pas � sa long�vit�. Il faut sentir vibrer la mati�re du temps pour avoir envie de la conqu�rir. Oui, je suis convaincu qu’il y a de la place, encore, pour ce que Giraudoux a appel� le lyrisme, il y a de la place et il faut qu’il y en ait.

Rapha�l Dargent. - Votre prose est souvent tr�s po�tique et on per�oit chez vous un sens aigu de l’esth�tique. Pensez-vous, comme dit La Tailh�de, qu’il faut �tablir autour de soi � un imp�rialisme de la beaut� � laquelle beaut� est d’abord � une histoire de la mani�re � ?

Mathieu Fran�ois du Bertrand. - Forc�ment, quand on parle d’esth�tique, aujourd’hui, ou quand La Tailh�de parle d’imp�rialisme, on pense tout de suite � une discipline maniaque et obsessionnelle, scrupuleuse des d�tails. La v�rit� est beaucoup plus simple, car la libert� qu’elle procure est immense. N�anmoins, l’�poque a offens� la beaut� d’une mani�re effroyable, car aujourd’hui celle-ci ne peut m�me plus �tre d�finie sous pr�texte de go�ts divers ou de cultures innombrables qui jaillissent autour d’un fascisme de la langue, qu’�voquait Barthes. C’est pour cela que j’ai tenu � pr�f�rer, parmi de nombreux termes, celui d’ � histoire de la mani�re �, car il me semblait impliquer cette id�e, terrible et impronon�able pour beaucoup, de hi�rarchie de genres. Cette tentative esth�tique, s�culaire et myst�rieuse, cela pourrait �tre le style.

Rapha�l Dargent. - L’amour des vieilles pierres, le souci de pr�server un patrimoine architectural - souci qui se traduit par une fr�n�sie de photographies qui fixent une fois pour toutes ce patrimoine, cet esth�tique -, mais aussi l’envie du voyage, la d�couverte de vastes horizons et de hauts lieux, n’est-ce pas une fa�on de se placer d�lib�r�ment en marge du monde actuel, en opposition peut-�tre, et ceci, aussi paradoxal que cela puisse para�tre, d’abandonner la virtualit� et la fausset� du monde pr�sent pour retrouver la v�rit� d’un monde r�volu mais authentique, qui peuple encore nos songes et fait courir l’imaginaire ?

Mathieu Fran�ois du Bertrand. - Je ne citerai jamais assez ce vers de Francisco de Quevedo, Escucho a los muertos con los ojos (� J’�coute les morts avec les yeux �), qui me semble illustrer, peu ou proue, une certaine ampleur d’esprit, que de nombreuses personnes devraient parfois observer. C’est la croyance que les ann�es et ceux qui les ont travers�es ont laiss� dans les lieux qu’ils ont quitt�s et que nous habitons � pr�sent la trace de leur foi. C’est ce d�chirement qui dicte la pr�sence, c’est cette rage qui fait exister la litt�rature. J’aime ces lieux, en effet, qui viennent co�ncider avec le d�sir et la r�verie, mais m�me autour de ce p�lerinage le monde actuel, comme vous dites, a jet� ses tentacules, et malgr� les apparences je crois malheureusement qu’il ne reste plus grand-chose de ce patrimoine et de ses hauts lieux. Vouloir la v�rit� d’un monde achev�, c’est revenir in�vitablement � la blessure du monde contemporain. Je ne suis pas s�r qu’une telle �chapp�e soit possible, mais si elle a lieu d’�tre, cela pourrait �tre la voie de la litt�rature.

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