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Lo�c Lorent : Vous aurez la guerresse

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Le Figaro Magazine, 26 avril 2008

Lo�c Lorent : L'impr�cateur inquiet

Le jour o� nos quatre �crivains avaient rendez-vous pour la photo, Paris �tait bloqu� par les lyc�ens. Cela a d� rappeler quelque chose � Lo�c Lorent, venu expr�s du Sud-Ouest. Lui qui termine ses �tudes (d'histoire) a publi� l'an dernier un livre ravageur (Votre jeunesse), o� il d�crivait les gr�ves �tudiantes de 2oo6 contre le CPE, � l'universit� de Toulouse-Le Mirail : � Il faut les entendre couiner contre le fascisme, contre le lib�ralisme, contre P�tain, contre la mort, contre l'argent.. � Ce qu'il nomme l'� id�ologie en kit� de la jeunesse le navre.

Il n'est pourtant pas vieux, Lo�c Lorent : il est n� en 1984. Parmi cette id�ologie figure le pacifisme. C'est contre cette � authentique maladie � qu'il s'insurge aujourd'hui, dans un essai aussi d�capant que le pr�c�dent. Partant des �v�nements de 1938 - la crise de Munich, la s�rie de reculades devant Hitler -, l'auteur analyse la psychologie du d�faitisme, et pousse le raisonnement jusqu'� nos jours. � Le pacifisme, souligne-t-il, a ceci de particulier qu'il est un point de fixation autour duquel les valeurs contemporaines se f�d�rent (village-monde, �galitarisme, antiracisme, h�donisme, etc.). � Ce n'est pas par plaisir que Lo�c Lorent vitup�re son �poque, mais parce qu'il est inquiet. A ceux qui jouent les � rebelles �, il rappelle que Rimbaud avait lu Racine et savait le latin. Si les jeunes n'ont m�me pas la force d'�tre des h�ritiers, comment auraient-ils le courage d'affronter les p�rils de demain ?

Jean S�villa
Vous aurez la guerre, de Lo�c Lorent, Editions Jean Paul Bayol, 202 p., 19,50 €.

Aurores : Le site personnel de Lo�c Lorent
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Entretien entre Rapha�l DARGENT et Lo�c Lorent publi� sur le site "Cercle Jeune France"

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Munich, tous les jours!

Le renoncement d'avant la catastrophe

A propos de Vous aurez la guerre,

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Rencontre avec Lo�c Lorent

Rapha�l DARGENT. - Apr�s Votre jeunesse, vous publiez avec Vous aurez la guerre, votre deuxi�me essai ; le style en est vif et vos r�flexions toujours empreintes d’un bon sens patriotique qui nous pla�t beaucoup. Vous �pinglez dans cet opus un mal europ�en et fran�ais contemporain - au moins depuis 1938 et la tristement c�l�bre conf�rence de Munich - et que vous appelez le munichisme. Vous annoncez le pire car nous sommes d�faits dans nos t�tes. Il est vrai que l’abaissement moral pr�c�de toujours la d�faite physique, le renoncement � soi pr�pare toujours la d�b�cle. Le munichisme, n’est-ce pas cela d’abord : le renoncement � soi, le refus du patriotisme ?

Lo�c LORENT. - Je d�finis le munichisme comme un ensemble de valeurs invers�es. L’important est bien s�r de comprendre de quoi elles sont l’inverse. Aussi, ce que vous appelez fort justement � le renoncement � soi � est en marche d�s la fin de la Grande Guerre. Le plus �tonnant est que la faillite de ces contre-valeurs en mai-juin 1940 n’a pas �t� comprise ou plut�t que leur dramatique triomphe contemporain emp�che qu’on les remette en cause. Le faire, assurent certains, serait criminel � l’heure o� l’amour pour tous, le m�tissage et le village-monde vont nous conduire vers des lendemains pleins de tendresse et d’�galit�. C’est l� le propre des soci�t�s occidentales d’aujourd’hui, � la fois vaniteuses et trouillardes, que de d�cr�ter que le simple fait de critiquer le pacifisme, par exemple, est monstrueux. Puisque le common sens nous ass�ne que le pacifisme est une chose merveilleuse, qui oserait s’avancer pour dire le contraire, pour mettre en cause ce verdict ? Au choix : un n�o-nazi, un r�actionnaire, un impuissant, un ancien parachutiste nostalgique des barricades d’Alger.

J’entends par munichisme quatre ph�nom�nes essentiels : le rejet pavlovien de tout patriotisme, la naissance puis la victoire d’un pacifisme messianique, la foi int�grale en l’arbitrage international et, par cons�quent, le rejet de toute solution militaire. Ces quatre �l�ments sont les vrais vainqueurs de la Grande Guerre. Certes, le pacifisme et l’internationalisme ne sont pas n�s � Verdun, mais c’est le souvenir de Verdun qui leur a permis, dans les ann�es 1920-1930, d’amener � eux d’abord les intellectuels puis l’immense majorit� des populations europ�ennes. En 1938, concernant la France, l’affaire est r�gl�e : le patriotisme, c’est la guerre, guerre qui ne sert � rien, et il ne saurait y avoir d’autres solutions politiques que celles passant par l’organisation de congr�s ou de r�unions entre dirigeants. C’est la raison pour laquelle Munich n’est en rien un �v�nement ou un accident mais une conclusion logique apr�s vingt ann�es de propagande genevoise et antimilitariste. Mais ce munichisme-l� est encore modeste compar� � celui qui r�gne aujourd’hui et traverse toutes les d�mocraties � des degr�s divers dans la mesure o� l’on peut encore, dans les ann�es 1930, le combattre, o� une partie - malgr� tout - non n�gligeable des �lites et de la population n’y souscrit pas.

C’est, � mon sens, une authentique maladie, celle d’une addition de renoncements qui commence par le renoncement � influer v�ritablement sur le cours de l’histoire. En effet, il �tait et sera toujours plus facile de se dandiner sous la banni�re du lib�ralisme sans fronti�res en psalmodiant � give peace a chance � que d’aller imposer l’ordre dans les Balkans en 1992.

Rapha�l DARGENT. - Vous �crivez � juste titre que la manie comm�morative dont notre pays s’est fait une sp�cialit� �vacue l’Histoire et toute v�ritable r�flexion historique ; que c’est l’�motionnel, le compassionnel, mais encore le politiquement correct, qui l’emportent sur le scientifique et le m�ditatif. Par exemple, on vient d’enterrer en grandes pompes le dernier poilu. La disparition du dernier soldat de 14-18, ce n’est pas rien ; chaque Fran�ais, je crois, en est conscient. Il �tait important qu’� cette occasion la Nation rende un hommage aux combattants ; mais qu’avons-nous fait ? Au-del� de la c�r�monie classique, derri�re la mise en sc�ne empreinte de dignit� et d’�motion, nul enseignement v�ritable sur les raisons du conflit, son d�roulement, ses cons�quences. Pire, on trouva � l’occasion des motifs de satisfaire encore aux cultes bien-pensants actuels. Il se trouve que Lazare Ponticelli �tait d’origine italienne, et �tranger lors du conflit ; l’aubaine �tait trop belle de glorifier alors l’engagement pour la France des �trangers et autres Fran�ais d’adoption. Il ne s’agit pas de nier que ces soldats �trangers furent nombreux ; il ne s’agit pas de ne pas leur rendre la justice et l’hommage qu’ils m�ritent. Mais l’occasion �tait trop belle de mettre en avant cette particularit�. Pour compl�ter le tableau, les m�dias ressortirent des images de Lazare Ponticelli expliquant quelques ann�es plus t�t tout le mal qu’il pensait de la guerre, et d’autres t�moignages encore d’autres poilus exprimant, eux, leur solidarit� d’infortune avec les soldats allemands. Finalement, derri�re le verni patriotique - les drapeaux, la Marseillaise, les uniformes, la cour des Invalides - la nature du message d�livr� �tait consensuel et conforme � l’id�ologie ambiante. Le soir m�me, lors d’une �mission t�l�vis�e, j’entendis des sp�cialistes du premier conflit mondial expliquer que cette guerre �tait en effet une boucherie inutile, un non-sens pour les combattants eux-m�mes. Personne, comme de bien entendu, ne rappela qu’il s’agissait aussi de reprendre l’Alsace et la Lorraine; personne ne rappela qu’il s’agissait d’honorer notre parole en portant assistance � nos alli�s. Il est un fait que l’int�grit� du territoire tout comme le sens de l’honneur et le sentiment national sont devenues des notions archa�ques, comme vous dites � r�actionnaires �…D’autres, dans cette m�me �mission, s’�tonnaient qu’on n’ait pas associ� l’Allemagne � cet hommage ou encore qu’on ne d�cide pas de transformer le 11 Novembre en f�te de l’Amiti� europ�enne… Vous verrez que le dernier poilu parti, maintenant qu’on a fait l’adieu oblig� et en bonnes et dues formes, le temps n’est pas loin o� l’on remettra en cause, de cette fa�on s�rement, le 11 Novembre. Pourquoi donc en sommes-nous l� ? Quelles sont les raisons historiques et id�ologiques de cette d�b�cle morale ?

Lo�c LORENT. - C’est l� un bel hommage que vous rendez aux journalistes ! Vous imaginez bien que je n’ai pas manqu� la retransmission t�l�vis�e des fun�railles de Lazare Ponticelli. Je m’attendais au pire et n’ai pas �t� d��u. Lazare Ponticelli �tait originaire d’Italie. J’imagine sans peine la ferveur qui a du parcourir les salles de r�daction parisiennes. Un Italien ! Pour Lib� et la gauche en g�n�ral, c’�tait providentiel, l’occasion de torcher une ribambelle d’articles sur � ce fils du soleil et de la mis�re �, sur � sa haine de la guerre � et, en poussant un peu - certains ont os� pousser - , critiquer la politique migratoire du gouvernement avec cet argument massue : Lazare Ponticelli �tait un sans-papiers ! Vive l’anachronisme ! En ce qui me concerne, j’ai cru voir et entendre un spot de publicit� pour Benetton durant les deux heures qu’ont dur� les obs�ques d’un dernier poilu qui m�ritait mieux que �a. Il y a quand m�me eu un suspense insoutenable dont vous ne parlez pas : Lazare Ponticelli avait �t� chef d’entreprise. Mais on nous a vite rassur�s : Lazare aimait les ouvriers.

Avant d’aborder le pourquoi de ce traitement m�diatique et, plus profond�ment, la fa�on dont est enseign�e ou simplement transmise la premi�re guerre mondiale, je tiens � pr�ciser que je ne me permettrai jamais de juger les v�t�rans de ce conflit, m�me ceux qui ont visit� des centaines d’�coles en racontant que la guerre �tait inutile. Ceux qui ont sacrifi� leur jeunesse pour la patrie, qui ont vu leurs camarades, leurs amis tomber, ceux-l� ne m�ritent que le respect de la nation. Il en va autrement des politiciens, des historiens et des m�dias qui, plus ou moins syst�matiquement, confondent m�moire et histoire. J’ai longtemps cru que les journalistes, en tant que corporation et ‘classe sociale’ (l’un des m�tiers o� l’endogamie est la plus forte), d�crivaient le monde, choisissaient les sujets et les informations en fonction de leurs convictions politiques. Pour parler clairement : une information de gauche faite par des journalistes de gauche. Mais j’ai d� revoir mon analyse quand, ces derniers mois, tous les journalistes ont sorti leurs plumes pour � raconter Nicolas Sarkozy �. Les portraits n’�taient pas toujours flatteurs, mais ils avaient tous une chose en commun : ils ne s’attachaient qu’� la forme, jamais au fond. Alors l’�vidence m’a frapp� : les journalistes fran�ais ne sont pas trop politis�s, ils ne sont tout simplement plus journalistes. Ils font de la communication. Et comme, en sus, la plupart d’entre eux est inculte, ne sait rien de l’histoire de France et des enjeux g�opolitiques internationaux, elle ne peut et, de toute fa�on, ne sait que verser dans l’�motionnel. Pourquoi donc les journalistes qui sont, � quelques nobles exceptions pr�s, des arch�types de petits bourgeois repentants feraient autre chose, tiendraient un autre discours que celui tenu par leurs compatriotes ? Ils sont autant des faiseurs de l’opinion que l’opinion elle-m�me. Les fun�railles de Lazare Ponticelli �taient � ce titre d’une insondable tristesse. Des r�flexions niaises sur la guerre qui fait des morts, sur les combattants qui, � forc�ment �, ne voulaient pas se battre parce qu’ils �taient… des hommes (j’y reviendrai, c’est fondamental), le quota antiraciste (Le MRAP vous parle tous les soirs � 20h00) avec l’�vocation des troupes coloniales dont on dira bient�t qu’elles furent seules � faire cette guerre - comme on a dit lors de la sortie du stupide Indig�nes qu’il n’y avait que des Maghr�bins dans l’arm�e d’Afrique, etc., etc. Surtout, par-del� les erreurs, les contresens, les b�tes simplifications, on nous a encore servi le m�me pathos et les m�mes larmes, avec violons � l’appui. En somme, on nous invitait � partager la douleur d’une famille bien plus qu’� rendre hommage � un ancien combattant. On enterrait l’ultime incarnation d’un pass� d�testable parce que guerrier et la seule fa�on de ne pas montrer qu’on �tait soulag�s consistait � ne parler que de l’homme, de ses souffrances, du chagrin de ses proches. D’une fa�on subliminale, on nous disait : la guerre est une horreur dont les hommes ne sont que les jouets, jamais les acteurs. Lazare Ponticelli n’�tait plus un ancien combattant mais une victime. Il y a l� un paradoxe dans la mesure o�, jusqu’� preuve du contraire, ce sont des hommes qui tiennent entre leurs mains des fusils et tirent sur d’autres hommes. Nous voil� arriv�s au pourquoi ! J’ai �t� agr�ablement �tonn� de voir que St�phane Audouin-Rouzeau avait �t� invit� pour commenter la c�r�monie. Le travail de ce grand historien permet de mieux comprendre la lecture fallacieuse qui est faite de la Grande Guerre et, par extension, de la guerre en g�n�ral. Aussi vais-je devoir faire un d�tour par l’histoire, la vraie, celle d’Audouin-Rouzeau et de Jean-Jacques Becker, pas celle de Claude Ribbe (souvenons-nous du fabuleux � Hitler est le fils spirituel de Napol�on �) ou M. Le Cour Grandmaison (qui porte d’ailleurs le m�me nom que l’infatigable promoteur de l’offensive � l’Ecole de guerre juste avant le d�clenchement des hostilit�s en 1914. Co�ncidence ou b�tise atavique ?). Donc, vous n’�tes pas sans savoir que deux courants s’affrontent qui entendent expliquer comment les soldats de 14-18 ont ‘tenu’ durant quatre ans. D’un c�t�, les tenants de la ‘contrainte’ (port�e notamment par R�my Cazals et Nicolas Offenstadt). De l’autre, ceux du ‘consentement’ (port�e notamment par St�phane Audoin-Rouzeau et J.-J. Becker). Les premiers, s’appuyant sur les t�moignages soigneusement s�lectionn�s de v�t�rans, pr�tendent que la peur d’�tre fusill�, la censure, le bourrage de cr�ne sont les seuls raisons qui pouss�rent les soldats � r�sister et � ne pas se mutiner en masse. Les seconds avancent que bien que r�elles, les raisons susmentionn�es ne suffisent pas et que l’on ne peut balayer d’un revers de main l’id�e de devoir, l’attachement au sol national, la camaraderie qui oblige � ne pas se d�biner pour ne pas abandonner les ‘copains’ et, pas si d�risoire que cela, ‘le sens du travail bien fait’. Les soldats de Cazals avaient la trouille du peloton d’ex�cution et subissaient une guerre dont ils se foutaient royalement. Les soldats d’Audouin-Rouzeau n’�taient certainement pas tr�s ‘heureux’ au front, ne comprenaient pas toujours, et � juste titre, les causes de cette gigantesque bataille, mais ils luttaient parce qu’il fallait le faire, parce qu’ils luttaient sur le sol national. Ils avaient fini par accepter cette guerre � d�faut de la supporter. Revenir sur ce d�bat, qui agite encore aujourd’hui la communaut� universitaire, me semble important parce que l’id�e de ‘contrainte’, m�me si elle n’est quasiment jamais cit�e par ceux qui la croient, l’a emport�. Dans l’enseignement : les m�moires de soldats toujours pacifistes et antimilitaristes illustrent les cours de la plupart des professeurs d’histoire. Dans les m�dias : les soldats �taient des � pions �, � de la chair � canon � entre les mains des g�n�raux. Je ne dis pas que Remy Cazals et Nicolas Offenstadt sont de mauvais historiens mais il faut faire preuve d’honn�tet� intellectuelle : la th�se qu’ils d�fendent est id�ologiquement marqu�e - ce n’est pas leur faire injure que de dire cela, mais un simple constat quand on voit, par exemple, qu’ils ont sign� l’appel des universitaires en faveur de S�gol�ne Royal lors de la derni�re �lection pr�sidentielle. Il ne faut pas se cacher derri�re son petit doigt ! Ils d�fendent une vision de gauche de la guerre bas�e sur un m�pris du patriotisme et du militarisme avec, en parall�le, une mythification des mutins. J’abr�ge : cette grille de lecture qui entend dissocier les combattants de la guerre a gagn� et explique � mon sens pourquoi nous avons eu droit � cette grand-messe de l’anti-France lors des fun�railles de Lazare Ponticelli. Mais il y a pire et encore plus passionnant. � La guerre est le contraire de la civilisation �, entend-on tous les jours. Le discours de la ‘contrainte’ est, en quelque sorte, un prolongement de la th�se de Norbert Elias dans laquelle le ph�nom�ne guerre se voit oppos� � la civilisation. Aussi, l’homme qui fait la guerre sans y �tre contraint ne peut pas �tre… civilis�. Alors, on comprend mieux pourquoi l’homme europ�en version 2008, un Pujadas par exemple, d�j� c�l�bre pour son � g�nial � lanc� lorsqu’il visionnait en direct les images des tours de New-York en flammes le 11 septembre 2001 (ivresse de l’audimat et des duplex en direct de Ground Zero !), on comprend mieux comment il peut dire � des millions de t�l�spectateurs quelque chose comme : � Il faut bien se dire que… euh… on vit plus � la m�me �poque… euh… que les hommes d’alors �taient un peu frustres… euh… et puis oblig�s, hein, n’est-ce pas… �. Voil� : les hommes de 1914 �taient soit oblig�s, soit un peu barbares. En somme, disons-le clairement, ils �taient cons. C’est la seule explication logique aux yeux d’un Pujadas. Rendez-vous compte : le patriotisme existait encore ! Barbarie ! Refus caract�ris� du vivrensemble ! Mais l’homme de 2008, lui, sait le chemin du bonheur et de l’amour (d’ailleurs, vous aurez remarqu� avec moi que tous les commentateurs pr�cisaient bien que les soldats fran�ais de 1914 �taient des ‘ruraux’, donc des gros cons incultes, tout le contraire de l’homme urbain de 2008). On commence par opposer la guerre et l’Homme et l’on finit par opposer la violence et l’Homme. Ainsi, la guerre et la violence d�tach�es de l’Homme finissent par �tre pr�sent�es comme des ‘complots’ men�s contre celui-ci alors m�me qu’elles sont, � mon sens, inh�rentes � la nature humaine.

La monomanie de la caricature (une information calibr�e pour un spectateur calibr�), du r�sum� se m�le donc au refus on ne peut plus vaniteux de voir et d’accepter philosophiquement qu’un homme puisse tuer un autre homme. Alors imaginez, tuer pour sa terre, pour sa famille, pour ses camarades ? Impensable ! Le processus de curialisation est donc appel� � continuer, d’autant plus que, maintenant, nous sommes tous potes, nous sommes pacifistes, nous savons que le drapeau fran�ais est le paravent du fascisme. Il est impossible de faire plus civilis�s que nous. Voil� donc leur id�e de la civilisation : des champs de marguerites pleins de jeunes gens m�tiss�s arborant fi�rement des plumes dans leurs culs avant de se convertir en joyeux consommateurs qu’il ont toujours �t�, au fond, m�me quand ils d�ambulaient autour du champ de marguerites ! Y’a pas � dire, la civilisation moderne, c’est quand m�me l’extase permanente.

Mais je digresse, pardon. Encore plus g�n�ralement : les raisons profondes. Je vais tenter d’�tre concis : la d�mocratie d’opinion (ou compassionnelle) qui, infoutue de parler aux cerveaux des citoyens entend parler � leurs cœurs ; l’inflation r�conciliatrice li�e directement � la repentance (pas de monde Benetton sans d�nigrement pr�alable du pass� - or, un peuple qui se juge continuellement est un peuple qui ne veut pas agir, et c’est l� le but recherch�, d’ailleurs : jouer � la p�tanque sous le soleil de Saint-Tropez) ; l’inculture crasse des deux derni�res g�n�rations d’Europ�ens (n’importe quel ouvrier fran�ais des ann�es 1930 en savait plus sur l’histoire de son pays que la plupart des bacheliers d’aujourd’hui) coupl�e au mensonge ; l’illusion progressiste, encore et toujours elle, qui anime aussi bien les masses populaires que les �lites.

Vous aurez remarqu� que, dans mon livre, j’accorde une importance particuli�re � la question du langage. � Lazare c’�tait un sans-pap � ou � nous b�tissons aujourd’hui une France tol�rante, ouverte sur le monde, accueillante, etc. � ne sont possibles qu’au prix d’une d�g�n�rescence de la langue fran�aise. Wittgenstein �crivait : � Les limites de ma langue sont les limites de mon monde �. Quand on parle un sous-fran�ais, on pense en sous-pens�e. Et quelle est la principale g�n�ratrice et promotrice de cette pens�e-slogan ? La publicit�. Toute id�ologie enfante une langue. Les nazis raffolaient du pr�fixe ‘volk-’, la social-sociocratie adorent le mot ‘citoyen’ qu’elle a transform� en une sorte de suffixe (voiture-citoyenne, parrainage-citoyen, maison-citoyenne, etc.). La publicit� est la Grande Simplificatrice au service du Grand Capital. C’est elle qui diffuse et l�gitime le conformisme, lui donne une caution ‘rigolote’, nous vend un faux d�sir (montrer une fille nue pour �couler du fromage ou des cotons-tiges, il fallait y penser), elle qui cr�e les modes et enfin n’h�site pas � se parodier, confessant ainsi son cynisme absolu. Le Grand Capital d�cide, les BHL traduisent, les Toscani illustrent et s’occupent du service apr�s vente. Je ne sais � quel niveau de la cha�ne il serait utile de couper. Peut-�tre au trois, de pr�f�rence avec du C4 plut�t qu’avec des pinces-monseigneurs.

Rapha�l DARGENT. - Si vis pacem, para bellum, � si tu veux la paix, pr�pare la guerre �, dit l’adage. Pourtant, une fois de plus, une fois de plus apr�s Sedan et l’impr�paration de l’arm�e imp�riale, une fois de plus apr�s le choc de 1914, une fois de plus apr�s la d�b�cle de 40, nos gouvernants refusent les dignes cr�dits aux arm�es, chacun se persuadant, n’est-ce pas, qu’il n’y aura plus jamais de guerre, que jamais nous n’en f�mes autant �loign�s, que l’heure de toute fa�on est � la pr�servation � tout prix de la paix, et qu’il faut donc ne pas trop s’armer, ne pas se donner les moyens d’une politique qu’on n’a d’ailleurs plus. Refusant toute d�fense nationale, et m�me toute d�fense europ�enne, notre pays d�sarme � plus d’un titre. Psychologiquement mais aussi - cela va de pair - militairement. Aujourd’hui donc, M. Herv� Morin, pi�tre et discret chef d’un minist�re si mal nomm� - celui de la D�fense - r�duit un peu plus encore, apr�s des ann�es de recul, nos capacit�s op�rationnelles terrestres comme peau de chagrin, sacrifie le deuxi�me porte-avion nucl�aire dont on nous expliquait il y a quelques ann�es qu’il �tait indispensable � notre marine, sans quoi le premier, le Charles-de-Gaulle, ne servait � rien, l’un devant suppl�er l’autre lorsqu’il est en rade pour maintenance. A c�t� de cela, nous projetons nos soldats toujours plus loin � l’�tranger, pour faire du maintien de l’ordre, de l’interposition, de l’humanitaire. Bref, nos soldats font tout, sauf la guerre. Certains, dans la Grande Muette s’�meuvent de la situation, mais en v�rit� ils sont peu nombreux, car, c’est triste, beaucoup de hauts grad�s d�sormais ont des discours de fleurs bleues. Apr�s tout, il fallait s’y attendre : un centriste au minist�re de la D�fense, c’est en soi tout un programme. Mais le drame de ce qu’est devenue feue la grande arm�e fran�aise, n’est-ce pas au fond le symbole cruel de ce qu’est devenue la France toute enti�re, c’est-�-dire une puissance moyenne, verbeuse mais largement impuissante ? Dans ces conditions, une politique ind�pendante est-elle seulement possible ?

Lo�c LORENT. - Ah ! l’arm�e fran�aise ! Il y aurait beaucoup de choses � dire sur cette arm�e, celle qui d�file si joliment tous les 14 juillet mais est oblig�e de louer des avions gros porteurs russes pour acheminer ses troupes jusqu’en Afghanistan.

Pour commencer, plusieurs observations qui rejoignent votre analyse. Tout d’abord, une touche d’optimisme : il y a deux arm�es fran�aises. La premi�re est celle des unit�s dites d’�lite, L�gion �trang�re en t�te, qui sont, du point de vue des qualit�s combattantes, parmi les meilleures au monde. Mais il y en a une autre, et l� tout optimisme doit �tre abandonn� derechef. Depuis sa professionnalisation vot�e par notre ancien pr�sident fain�ant corr�zien, l’arm�e fran�aise s’est transform�e en Mairie de Paris (celle des emplois fictifs) et en assistante sociale. Quiconque conna�t quelques militaires de carri�re sait quel ‘�tat d’esprit’, dirons-nous pudiquement, r�gne au sein de la Grande Muette, comme vous l’appelez. Certaines armes sont plus touch�es que d’autres, une en particulier, celle-l� m�me qui puise dans ses ‘r�serves strat�giques’ pour assurer un minimum de pr�sence en mer de ses navires. En un mot : on y recrute actuellement beaucoup de ‘cas sociaux’, qui signent des engagements sans en comprendre le sens, qui voient dans l’arm�e la planque id�ale. L’arm�e est donc elle aussi mise � contribution dans le but d’acheter la paix sociale. Tenues non r�glementaires, salut que l’on fait quand on y pense, clopes que l’on grille pendant les heures de travail, etc. Beau tableau, n’est-ce pas ? Et quand on recrute n’importe qui, on forge n’importe quoi. On obtient par exemple des r�sultats … �tonnants lorsque l’on interroge les soldats de l’arm�e fran�aise, ‘jeunes’ et officiers confondus. Cette r�cente information est pass�e totalement inaper�ue, sans doute plus par d�sint�r�t des m�dias que par volont� de masquer une r�alit� somme toute peu g�nante aux yeux de l’id�ologie dominante. On a questionn� les soldats sur les raisons de leur engagement, on leur a demand� ce qu’ils feraient s’ils se trouvaient dans une situation p�rilleuse, mettant en jeu leur int�grit� physique. A tomber � la renverse ! Figurez-vous que le soldat fran�ais ordinaire s’engage pour � sauver des pauvres gens � bien plus que pour combattre, pour distribuer de la nourriture et des m�dicaments bien plus que pour repousser d’�ventuels ennemis et, cerise sur le g�teau, il d�clare sans honte qu’il refuserait de se battre, qu’il se carapaterait si un conflit ouvert avec un adversaire clairement identifi� se pr�sentait � lui. C’est Boris Vian � la guerre ! Une arm�e d’assistantes sociales et de cantini�res.

Concernant plus pr�cis�ment les officiers, c’est comme les journalistes ! Pourquoi seraient-ils diff�rents de leurs compatriotes ? Il suffit d’entendre parler la plupart d’entre eux (on pourrait fabriquer un belle compilation avec les interviews faites en marge du 14 juillet) : un fran�ais qui n’a rien � envier � celui p�niblement articul� par les ‘cas sociaux’. Il suffit de consulter les vid�os que certains livrent sur Internet : ils y apparaissent dignes des danseurs de Tecktonic, les uniformes en plus. Tout de m�me, ‘officier fran�ais’, �a veut dire quelque chose ! C’est une histoire, des traditions. Et les officiers sup�rieurs, les hauts grad�s ! M�me eux. Des centristes, � l’image du ministre qu’on leur a refourgu�, des carri�ristes qui passent plus de temps dans les minist�res qu’au milieu de leurs troupes. Toutefois, ce n’est pas propre � l’arm�e fran�aise. La fonction militaire est devenue bureaucratique par excellence. Enfin, je sais que des jeunes gens un peu plus vertueux que d’autres et fiers des drapeaux qui ornent leurs navires ou leur casernes commencent � s’agacer de ce laisser-aller. Esp�rons qu’ils seront entendus.

Un autre probl�me - chronique - est celui du budget. Il y a deux solutions : l’ind�pendance (mais elle co�te tr�s ch�re) ou l’achat d’armes aux Etats-Unis (ce qu’a choisi le Royaume-Uni, par exemple). La France a eu et a encore le g�nie, un de plus !, de choisir la premi�re sans s’en donner les moyens. C’est un tour de force qu’il convient de saluer comme on le ferait d’un grand �cart axial ex�cut� par un t�trapl�gique ob�se. De toute fa�on, il n’y a aucune raison pour que le budget allou� � la d�fense soit revu � la hausse. Vous ne voudriez tout de m�me pas construire de nouveaux sous-marins � propulsion nucl�aire, des blind�s alors que l’on pourrait �difier des centre a�r�s, payer tous les intermittents du spectacle � vie, livrer un v�lib’ � tous les enfants africains avec tous ces milliards d’euros ! Je vous rappelle que l’arm�e, ce n’est pas bien. Ce n’est pas bien parce que les militaires ont des armes. Et les armes, ce n’est pas bien parce que l’on peut tuer avec. Le jeune fran�ais de 18 ans, celui qui r�ve de devenir chanteur, acteur ou int�rimaire � Leroy Merlin, qu’est-ce qu’il peut bien en avoir � foutre de l’arm�e fran�aise ? Et l’�crivaillon du VIe arrondissement de Paris, celui qui ne sait �crire que sur � la beaut� animale des enfants du d�sert �, que pense-t-il de l’arm�e fran�aise ? Rien. Au deux bouts de la cha�ne sociale, on retrouve la m�me indiff�rence ou le m�me rejet. J’ai beau chercher, je me demande s’il y a d�j� eu dans l’histoire contemporaine de notre pays une p�riode o� l’arm�e �tait aussi clairement un objet de d�dain ou de haine alors m�me, c’est cela qui est le plus stupide, que notre arm�e, comme vous le d�tes, ne fait que de l’humanitaire ou des ‘op�rations de maintien de la paix’ (qui sont souvent des comp�titions de � Qui voit le plus loin avec des jumelles ? �). La mauvaise conscience chevauche l’id�e que l’arm�e est une entit� dispensable dans la mesure o� les peuples du monde entier, s’il n’y avait pas ce foutu complot occidental, se donneraient la main et s’arrangeraient apr�s avoir entonn� l’hymne � la joie. Srebrenica ? Une guitare et �a se serait termin� paisiblement, pardi ! Qu’on ouvre toutes les fronti�res et plus aucun bain de sang ne se produira !

� Puissance verbeuse mais largement impuissante � ? Exactement. Voyez-vous, j’aime la coh�rence intellectuelle. Si les �lites fran�aises radicalement pacifistes �taient coh�rentes, elles qui affirment que la guerre n’est jamais une solution, il faudrait liquider notre arm�e, conserver � la rigueur une cinquantaine de Saint-cyriens afin que les touristes puissent les prendre en photo devant l’Elys�e. Alors je dirais : � Bravo, ils assument �. On a la diplomatie de ses armes ! On peut le regretter mais c’est encore ainsi et je crois bien que ce n’est pas pr�s de changer. Une grande puissance peut se passer d’arm�e, le Japon en est bien s�r l’exemple parfait. Mais une grande puissance qui souhaite faire de la politique � l’�chelle mondiale, et non pas uniquement du commerce, a besoin d’arm�e. La Russie, la Chine, l’Inde l’ont compris. Pendant ce temps-l�, � Bruxelles, on pond des lois qui entendent � changer la vie des gens �. La longueur des sardines ou un ambitieux plan de d�fense : choix corn�lien auquel l’UE a apport� une r�ponse claire et iod�e.

L’UE et la France sont les championnes incontest�es du verbiage insignifiant. Tout le monde rit de nous, � l’exception de ceux qui entendent profiter de nous, Etats-Unis en t�te, l’UE n’ayant jamais �t� qu’une autoroute s’ouvrant devant les entreprises am�ricaines. Pour en revenir � la France seule, l’�cart entre sa puissance r�elle et la puissance qu’elle revendique est abyssal. Et pourtant, �a s’enflamme � la tribune de l’ONU, �a pr�sente ses immixtions � l’�tranger (C�te-d’Ivoire, RDC, Kosovo) comme des morceaux de bravoure � faire p�lir d’envie tous les mar�chaux d’Empire et toutes les infirmi�res ! La France n’est plus ma�tre de son destin, voil� la v�rit�. Il n’y a qu’� voir la piteuse fa�on dont Nicolas Sarkozy s’est �cras� devant l’Allemagne (pour son projet d’Union m�diterran�enne) ou devant les USA (pour le Kosovo) pour comprendre que nos gouvernants ne savent plus et ne veulent plus penser hors de l’UE, cette grande intersyndicale des dhimmis volontaires. Je finis tout de m�me sur une note presque positive : notre arm�e n’est gu�re reluisante, mais c’est toujours mieux que de ne pas en avoir, comme la plupart de nos associ�s europ�ens qui, s’ils �taient attaqu�s, imploreraient notre aide et celle de l’OTAN. Quand les s�nateurs am�ricains ont ratifi�, en 1949, le trait� de l’Atlantique nord, ils n’auraient jamais imagin� que, soixante ans plus tard, les Etats europ�ens seraient incapables d’assurer seuls leur d�fense. L’OTAN a toujours �t� une ‘faveur’ faite � ces grands parcs d’attractions que l’on nomme Irlande, Su�de, Danemark, ces couillons d’Etats neutres. Parcs d’attraction qui, m�me si nous en avions la volont�, nous emp�cheraient de b�tir une v�ritable arm�e europ�enne en brandissant leur droit de veto.

Rapha�l DARGENT. - Vous avez raison : il y a des guerres justes. Il y a m�me des guerres n�cessaires. Dans votre ouvrage vous �voquez souvent la guerre d’Irak pour critiquer la position fran�aise de 2003 et d�fendre par contraste le courage de l’Am�rique de Georges Bush. Pourtant, si la premi�re guerre du Golfe pouvait � la limite se justifier, l’Irak ayant envahi le Kowe�t (passons sur le fait que de hauts responsables am�ricains avaient laiss� entendre quelques semaines auparavant au gouvernement de Saddam Hussein que les Etats-Unis ne r�agiraient pas en cas d’invasion), la seconde n’avait aucune justification, autre que p�troli�re, les fameuses � armes de destruction massive � �tant une pure invention du secr�tariat d’Etat am�ricain, et l’Irak s’av�rant largement fragilis� militairement et du fait de l’embargo. Je ne sais pas si la France fit alors preuve de munichisme, comme vous l’en accusez, mais je suis certain que l’Am�rique fit alors preuve de machiav�lisme et de calculs (bons ou mauvais comme on voudra). Le r�gime de Saddam Hussein �tait une effroyable dictature mais l’Am�rique en a tol�r� et en tol�re bien d’autre, et m�me en finance. Par exemple, vous savez bien que l’Am�rique n’interviendra pas contre la Chine au motif que celle-ci �crase le Tibet. Elle n’imagine m�me pas le boycott des Jeux Olympiques, elle qui s’appr�te sans doute � rafler l’essentiel des m�dailles dans cette grand-messe du fric et de la dope. C’est l� o� votre justification du droit d’ing�rence, si elle est louable dans ses intentions, me semble atteindre ses limites. La morale, je le crains, sera toujours celle du plus fort. Disant cela, suis-je munichiste � mon tour ?

Lo�c LORENT. - Concernant la seconde guerre d’Irak, je le dis sans d�tour : vous avez parfaitement le droit de penser qu’il s’agissait d’une guerre injuste et que les Am�ricains ne sont all�s l�-bas que pour s’approprier les ressources p�troli�res de ce pays. Je respecte cette position. Ceci �tant dit, vous aurez not� que ce que je vise dans mon livre, ce n’est pas l’opposition � la guerre d’Irak mais l’opposition � toute intervention militaire qui s’est une fois encore manifest�e durant les semaines qui ont pr�c�d� la dite intervention. Que ce soit au nom des ‘droits de l’homme’ - auxquels je ne crois pas -, pour d�fendre les int�r�ts fran�ais, pour abattre un r�gime politique inique, le munichiste d’aujourd’hui r�pond sempiternellement la m�me chose : il faut discuter. Il y a une grande diff�rence entre l’examen critique d’une situation complexe et le fait de meugler � Vive la paix �. Que les foules estudiantines, les clercs du Flore et les m�dias s’agitent fr�n�tiquement contre � l’imp�rialisme am�ricain �, quoi de plus normal ? Par contre, je ne pense pas que le r�le d’un Etat et de ses repr�sentants consiste � verser dans la sensiblerie et � se muer en agence de propagande pacifiste. Or, Villepin et Chirac furent path�tiques en 2003. Le premier s’est pris pour Ren� Char (le talent en moins) tandis que le second a trouv� utile d’insulter les petits Etats de l’Europe de l’Est (souvenons-nous du : � Ils ont manqu� une occasion de se taire �).

L’Am�rique a tol�r� des dictatures, nous aussi, et il ne s’agit pas de jouer aux � missionnaires arm�s � � travers le monde entier. Ce serait, je crois pouvoir l’affirmer, absolument vain. C’est la raison pour laquelle je rejette le droit d’ing�rence… tel qu’il est d�fini actuellement. Je ne vois pas quel int�r�t il peut y avoir dans la distribution de sacs de riz ou dans la promotion d’une d�mocratie lib�rale � laquelle je ne suis pas particuli�rement attach� d’ailleurs. Conscient des risques de n�o-colonialisme inh�rent � toute intervention arm�e sur un th��tre ext�rieur, je n’en pense pas moins qu’il est des cas o� une certaine morale nous oblige � intervenir. C’�tait le cas � Srebrenica. Enfin ! Comment peut-on accepter que des militaires fran�ais laissent des miliciens serbes conduire 8000 hommes vers la mort sans bouger le petit doigt ? Et tout �a sous leurs yeux ! De surcro�t, cette histoire a montr� combien l’Europe �tait � la ramasse. On se moque � juste titre en Europe des troupes de l’Union africaine. Mais � Srebrenica, avons-nous fait mieux ? Et que faisions-nous quand le commandant Massoud nous appelait au secours en Afghanistan ? Nous pleurions les Bouddhas de B�miy�n. Nous pouvions sans risque de prendre huit bombes nucl�aires sur la t�te agir en Bosnie, livrer des armes � Massoud. Il para�t que le propre du politique est de pr�venir l’avenir, d’avoir un coup d’avance. Je remarque qu’en la mati�re nos politiques ont toujours un coup de retard.

En filigrane, vous semblez reprochez aux Etats-Unis d’�tre h�g�moniques. Mais pourquoi le sont-ils ? Parce que nous sommes volontairement faibles ! Il ne faut pas reprocher au fort d’�tre fort mais au faible volontaire d’�tre volontairement faible. Un chapitre du Zarathoustra de Nietzsche me revient alors en m�moire : mis en face d’un g�ant, les nains ont deux fa�ons de s’�lever : soit ils d�cident de s’�lever, justement, soit ils s’unissent pour scier les jambes du g�ant. Ne parvenant pas � �tre �galement grand, ils pr�f�rent que tout le monde soit �galement petit. Au lieu de concurrencer r�ellement les Etats-Unis en se dotant d’une arm�e performante, les Etats europ�ens, qui jouent � celui qui sera le plus humble et le plus compr�hensif envers les pseudos damn�s de la terre, souhaitent abaisser la puissance am�ricaine. C’est l� un comportement de petits bourgeois repus, de minables, de nains moins jaloux d’une puissance perdue que contempteurs de la puissance en g�n�ral. Autre chose : si les dirigeants fran�ais avaient �t� courageux, ils auraient pu envoyer des troupes en Irak afin que celles-ci se battent aux c�t�s de la garde r�publicaine de Saddam. �a aurait eu quelque panache, au moins.

Je ne suis pas atlantiste, si l’on consid�re que l’atlantisme revient � soutenir a priori toutes les initiatives am�ricaines quel que soit le gouvernement en place � Washington. Il eut �t� possible de s’opposer � la guerre d’Irak sans verser dans le pathos et l’antiam�ricanisme primaire. C’est l�, je le r�p�te, une position que je respecte. Malheureusement, l’opposition que l’on a le plus entendue �tait celle des � give peace a chance � et autres p�nitents professionnels. Je consid�re les Etats-Unis comme notre alli�e naturelle. Nous devons les critiquer, refuser ce qui, dans leur mod�le culturel, est ridicule et n�faste, combattre le politiquement correct dont ils sont les champions incontest�s (en mati�re de novlangue, on ne fait pas mieux qu’une r�union new-yorkaise du Parti d�mocrate), les affronter quand ils reconnaissent l’ind�pendance de l’Etat mafieux du Kosovo et sur de nombreuses autres questions tout en gardant � l’esprit que nous avons un destin commun. C’est l� mon intime conviction car l’Occident, c’est aussi l’Am�rique.

Rapha�l DARGENT. - Je crois comme vous qu’il y a un stupide tropisme anti-am�ricain en France, de la m�me fa�on qu’il y a un tropisme pro-arabe erron�. Pourtant, j’ai l’impression, qu’au-del� des mouvements gauchistes pro-palestiniens et des cit�s immigr�es de banlieues, une majorit� de Fran�ais fut sinc�rement �mue et profond�ment solidaire du peuple am�ricain apr�s le 11 septembre 2001. J’ai l’impression aussi qu’une large majorit� de Fran�ais fut choqu�e de la venue r�cente de Kadhafi en France, scandale que vous d�noncez dans votre ouvrage. Le munichisme ne pose-t-il pas davantage le probl�me des pseudo-�lites politiques et m�diatiques que celui du peuple ? Le fait qu’en Occident, et dans tous les coins occidentalis�s du monde, le fait qu’en r�gime d�mocratique, et dans tous les pays d�mocratis�s du monde, le Grand Homme fait d�faut, n’est-il pas � l’origine de ce munichisme ? � Je fais la guerre � ass�nait Clemenceau en 14-18. Pour avoir un grand peuple, ne faut-il pas de Grands Hommes � sa t�te ou a-t-on les dirigeants que l’on m�rite?

Lo�c LORENT. - Entendons-nous bien : je ne reproche pas au Pr�sident de la R�publique d’avoir invit� un dictateur. Mon sentiment est que la Real Politik doit demeurer le ciment de notre politique �trang�re. Mais tout de m�me, Kadhafi n’est pas n’importe quel dictateur, c’est un homme qui a du sang fran�ais sur les mains. Il nous faut imp�rativement commercer avec lui ? D’accord, mais ne d�ployons pas le tapis rouge devant lui, ne le laissons pas dire � la tribune de l’UNESCO que l’Europe est raciste et maltraite les immigr�s pr�sents sur son sol alors m�me que la Libye en conna�t un rayon en mati�re de violences faites aux immigr�s puisqu’elle les pratique avec une admirable constance. Signons des contrats, faisons avec la Libye ce que nous devrions nous contenter de faire avec la Russie du tch�kiste Poutine : de l’import-export.

Je pense que le peuple fran�ais a �t� �mu par le 11 septembre comme il l’aurait �t� par n’importe quel attentat, ni plus ni moins. Mais les �lites politiques et m�diatiques, elles, ont imm�diatement point� le fait que � 3000 morts ? Y’a 3000 enfants africains qui meurent chaque jour � ou � on les a tellement humili�s que leur r�action est normale �. Sur le plan �motionnel, le 11 septembre est pl�biscit� par les Fran�ais. Mais d�s qu’on aborde le terrain politique, �a d�rape.

Pour m’�tre pench� sur l’histoire de l’antiam�ricanisme en France (ou fran�ais), j’affirme que c’est une passion nationale qui transcende le clivage masses populaires / �lites. C’est un fil rouge depuis le temps o� Buffon �crivait que l’air vici� des grandes plaines am�ricaines emp�chait les chiens d’aboyer et d’autres profondes proph�ties sur l’infertilit� des m�mes plaines. Je reviens en Europe, si j’ose dire. En 1938, sur la question de la guerre, les populations fran�aise et britannique �taient en parfaite ad�quation avec leurs dirigeants politiques et l’intelligentsia ouest-europ�enne. Soixante-dix ans apr�s la conf�rence de Munich, on peut avancer que sur certains points le consensus est total, de la base au sommet de la pyramide. Sarkozy et ses ministres sont des � Fran�ais comme les autres �, ils le revendiquent et quand on les entend parler, on n’a pas de mal � les croire. Souvenez-vous de la pol�miquette engendr�e par les mots ‘crus’ prononc�s par Fadela Amara. Qu’a-t-on dit, qu’a-t-on �crit sur cette affaire ? Quelques voix, bien rares, ont tanc� la secr�taire d’Etat � je ne sais plus quoi. D’autres, plus nombreuses, ont salu� cette fa�on ‘d�complex�e’ d’aborder la politique, la ‘vitalit�’ de Mme Amara, Laurent Wauquiez - le normalien - allant m�me, si je me souviens bien, jusqu’� d�clarer le plus s�rieusement du monde : � Fadela, elle est comme �a, elle est cash ! �. C’est le retour du sympa ! Les ministres parlent cash, Rachida Dati envoie grave, Bertrand (il) g�re (tr�s important, le redoublement du sujet, Sarkozy en �tant le grand sp�cialiste : � La France elle a besoin de… �, � Les probl�mes ils se posent… �) ! On a longtemps reproch� aux politiciens de parler le technocrate, cette langue obscure que l’on ne peut ma�triser qu’en ayant �tudi� � l’ENA. Ce proc�s �tait justifi� mais n’a pas fait bouger les choses. Tout juste a-t-il pouss� les politiciens � adopter deux nouveaux comportements : parler de leur vie priv�e (m�thode S�gol�ne Royal - Nicolas Sarkozy ; � un petit cœur qui saigne � vaut mieux qu’une TIPP flottante) et � parler � comme les vrais gens � (m�thode Besancenot). Le relativisme a tu� les grands hommes, la social-d�mocratie � la scandinave les a enterr�s. �a commence � l’�cole, o� l’on nous dit que les grands hommes ne sont rien compar�s aux forces qui agissent durant les �v�nements historiques (d�formation de l’�cole des Annales ; tout est social, tout est collectif, etc.). �a continue avec l’�loge permanent de la d�mocratie mollassonne, ‘humaniste’, celle des consensus. On passe la troisi�me avec le m�pris manifest� envers les institutions (anarchisme version tee-shirt trou�). On finit avec une �vidence que tout le monde a relev�e : aujourd’hui, le pouvoir n’est plus entre les mains des politiques mais entre celles des financiers, des m�dias et des stars, footballeurs et ‘artistes’. De surcro�t, le pouvoir politique n’int�resse plus vraiment. On lui pr�f�re largement celui conf�r� par le fric. Clemenceau et De Gaulle ne tiennent pas cinq secondes contre Bill Gates, BHL ou Marion Cotillard.

Rapha�l DARGENT. - Vous le laissez clairement entendre : aujourd’hui, l’esprit de Munich r�gne en Europe et en France quand le continent et notre pays refusent de voir les dangers de l’islamisation en cours et la menace r�elle de notre libanisation. Sur quoi d�bouchera notre munichisme ? Sur quelle guerre ?

Lo�c LORENT. - Son triomphe est complet. Pour autant, je ne vois pas une mais deux fins possibles. La premi�re est celle en laquelle croient nos �lites. On pourrait la formuler ainsi : le lib�ralisme plan�taire finira par vaincre et par raboter toutes les tensions ethniques, religieuses et communautaires ou celles induites par la rar�faction programm�e des ressources naturelles. Sur les ruines des souverainet�s nationales, une gouvernance-monde va instaurer la paix �ternelle et la prosp�rit� pour tous. Le pari est le suivant : le jeune Iranien de 2010 ou 2020 r�vera davantage de Beyonce Knowles que de son imam. Le m�tissage et la f�te vont cr�er une soci�t� homog�ne, lib�rale, consum�riste, s’appuyant sur les droits de l’homme. Cela ressemblera � un m�lange du Meilleur des mondes d’Huxley et de 1984 d’Orwell. Car si ce sc�nario se r�alise, le Capital resplendira et le r�gne du politiquement correct atteindra des sommets vertigineux. Nous vivrons sous le joug d’un Etat-monde de type totalitaire o� le seul fait de prononcer le mot race nous obligera � subir dix s�ances de r��ducation. Le Parlement britannique a vot� r�cemment une loi qui en dit long sur le caract�re totalitaire du politiquement correct : tout propos jug� homophobe peut conduire son auteur � 7 ans d’emprisonnement ! 7 ans ! M�me des associations d�fendant les ‘droits’ des homosexuels ont condamn� ce vote ubuesque. Toujours au Royaume-Uni, le minist�re de l’int�rieur r�fl�chit � la possibilit� de rebaptiser les attentats islamistes en…‘actes anti-islamiques’. Parce que figurez-vous que les attentats perp�tr�s dans le m�tro londonien en 2005 sont une � insulte faite aux musulmans �, qu’ils les � blessent � par � l’amalgame douteux � qui est fait entre Islam (religion d’amour et de paix) et les terroristes. Terroristes qui, du coup, n’ont aucun rapport avec l’Islam, n’est-ce pas ? Aussi, empressons-nous de dire que les attentats de 2005 ont �t� men�s par des martiens adorateurs de champignons hallucinog�nes qui souhaitaient attirer l’attention sur le probl�me � combien d�licat de l’inceste chez les Inuits. Finalement, �a ne serait qu’une cons�cration juridique d’une pratique courante. Un exemple : lorsque les journalistes - et bien souvent des historiens - �voquent l’occupation allemande, ils parlent de � l’arm�e nazie � ou des � nazis � tout court, rarement de � l’arm�e allemande �. De sorte que si l’on ne sait pas ce qu’est l’occupation, ce qui s’est exactement pass� durant ces quatre ann�es - et la plupart de nos compatriotes ne le sait pas -, on peut croire que nazi et Allemand sont deux ‘choses’ totalement diff�rentes, ou tout au moins sans aucun lien. Les � nazis � deviennent � leur tour des martiens. On ne peut pas combattre ce que l’on ne nomme pas. En frappant d’anath�me certains mots, les Europ�ens croient pouvoir exorciser le mal, le faire fuir ou s’en prot�ger comme certaines tribus indiennes r�volt�es contre l’envahisseur blanc croyaient pouvoir se pr�munir des balles en portant des cuirasses invisibles.

Le second sc�nario, qui a, vous l’aurez compris, ma pr�f�rence, est une balkanisation de l’Europe sous le double coup de l’immigration de masse et de la rar�faction des ressources naturelles �voqu�es plus haut. Les deux ph�nom�nes sont d’ailleurs li�s. Soit l’exemple de l’Afrique : il ne fait aucun doute que les jeunes pays qui la composent finiront par se d�velopper. Mais en attendant leur d�collage �conomique, ils connaissent une explosion d�mographique qui, d’ailleurs, n’est pas pour rien dans leurs pr�sentes difficult�s. Quand, dans 50 ans, la population du continent africain aura �t� multipli�e par deux, que vont faire des dizaines de millions d’adolescents congolais ou nig�riens ? Ils viendront en Europe o� il ne manquera jamais d’Emmanuelle B�art pour les caresser devant les cam�ras de t�l�vision. Quand il y aura 200, 300 ou 400 millions d’�trangers en Europe, organiserons-nous des tournois de ping-pong-citoyen ou verrons-nous �clater notre continent en une kyrielle de conflits ethniques ? Je n’invente pas ces chiffres, ils sont officiels, donn�s par l’ONU qui se f�licite de cette �volution : accueillir plusieurs centaines de millions d’Africains, d’Asiatiques, n’est-ce pas un signe de tol�rance ? Non, c’est un suicide. Enfin, cela d�pend du point de vue que l’on adopte. Je comprends fort bien que nos �lites soient enthousiastes � l’id�e que l’Europe va �tre submerg�e par des flots continus d’�trangers. Gr�ce � ces populations, elles vont enfin pouvoir d�truire tout ce qu’il restait de culture occidentale. La r�volution migratoire est d�j� en marche ! Entre 300 000 et 400 000 immigr�s entrent chaque ann�e sur le territoire fran�ais. A ce rythme, on peut parler d’une substitution de population, voire m�me de colonisation. Les guignols de RESF s’insurgent contre les 35 000 reconduites � la fronti�re. M�me pas un sur dix… Et �a se fait interviewer � visage couvert et s’auto-attribue le titre de � r�sistant � ; �a parle de � rafles � comme si Auschwitz �tait la destination des expuls�s vers l’Alg�rie ou ailleurs ; �a se pr�pare � s’effacer doucement, lentement. Parce que �a ne se battra pas ! Le petit blanc sera le grand spectateur et victime de la balkanisation. Du reste, toutes les civilisations meurent un jour ou l’autre et il est fort possible que nous soyons m�rs pour une euthanasie collective. En 1919, Paul Val�ry �crivait son fameux essai La crise de l’esprit dont on a retenu que la non moins fameuse phrase : � Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles �. Il ajoutait quelques lignes plus loin cette sentence p�n�trante : � Elam, Ninive, Babylone �taient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence m�me. Mais France, Angleterre, Russie… ce serait aussi de beaux noms. Lusitania aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l’ab�me de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la m�me fragilit� qu’une vie. Les circonstances qui enverraient les œuvres de Keats et celles de Baudelaire rejoindre les œuvres de M�nandre ne sont plus inconcevables : elles sont dans les journaux �. Les fleurs du mal br�lent encore � Villiers-le-Bel.

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L'Opinion Ind�pendante

16 mai 2008

En attendant la guerre…

par Christian Authier

Dans un essai incisif et argument�, Vous aurez la guerre, Lo�c Lorent d�nonce �l'esprit de Munich�, m�lange de pacifisme et de d�faitisme, � l'oeuvre hier comme aujourd'hui.

� Vous aviez le choix entre le d�shonneur et la guerre, vous avez choisi le d�shonneur, vous aurez la guerre.� L'adresse fameuse de Winston Churchill aux signataires des accords de Munich, qui marqu�rent l'affaissement des d�mocraties face � Hitler, fut h�las v�rifi�e par l'Histoire. Depuis, les r�f�rences aux �munichois� et � �l'esprit de Munich� ont fait flor�s (de m�me que celles � la guerre d'Espagne), permettant � des intellectuels, confortablement cal�s sur les banquettes du Flore, de r�clamer une �bonne guerre� contre telle ou telle tyran-nie exotique. La figure-type du D�roul�de en chemise �chancr�e �tant l'irrempla�able BHL dont les justes causes (Bosnie, Tch�tch�nie, Kosovo, Afghanistan, Irak, Darfour...) se succ�dent selon les modes et la tendance.


Guerre � la guerre

L'un des m�rites de l'ouvrage de Lo�c Lorent, historien et �crivain n� en 1984, est de mettre en perspective ce qu'il appelle le �munichisme� : alliance d'un pacifisme prot�iforme � la croyance �en l'arbitrage international et en la r�solution pacifique des conflits�. �Nous pensons qu'il existe une marche vers Munich qui a amen� la France � souscrire au l�che soulagement. Mieux, nous all�guons que l'id�ologie qui s'est manifest�e � Munich, loin de se limiter aux ann�es 1930, est au contraire encore vivace aujourd'hui. Et victorieuse.

Une victoire totale sur l'autel de notre incons�quence face aux v�ritables d�fis du monde�, explicite l'auteur qui va se livrer � une analyse fine et tr�s pr�cise des pacifismes � l’œuvre - � gauche comme � droite, � l'extr�me gauche comme � l'extr�me droite - durant l'entre-deux-guerres en France. Dans ce vaste panorama d'un pays hant�, malgr� la victoire, par le traumatisme de 14-18, on d�couvre ou red�couvre des citations saisissantes de F�licien Challaye (�Plut�t l'occupation �trang�re que la guerre�) ou de Paul Faure (�Nous avons applaudi le pape. Nous aurions applaudi le diable.�) contrastant avec la belle et forte lucidit� d'un Marc Bloch. L'inconscience illumin�e d'un Briand, la na�vet� d'un Blum, le cynisme d'un Laval, les positions variables du PCF, la pr�-collaboration des fascistes�: tout est �tudi� avec une implacable lucidit�.

On suit moins !'auteur dans sa tentative d'�tendre de mani�re un peu globalisante l'ombre et les r�flexes du �munichisme� aux p�riodes les plus contemporaines. Ainsi, pour ne prendre que le dernier quart de si�cle, on peut rappeler que lors de la crise des euromissiles, Fran�ois Mitterrand appuya le d�ploiement am�ricain en Allemagne en d�clarant au Bundestag : �Les pacifistes sont � l'Ouest et les missiles sont � l'Est�. De m�me en 1991, le soutien de la France dirig�e par le m�me Fran�ois Mitterrand � la volont� des Am�ricains, sous l'�gide de l'ONU, d'intervenir contre l'Irak qui venait d'envahir le Kowe�t (puis sa participation militaire), ne compta pas pour rien. En Bosnie encore, la France envoya des forces toujours chapeaut�es par l'ONU et Jacques Chirac pesa dans la d�cision de bombarder les positions des Serbes de Bosnie. Il faudrait citer encore nos interventions arm�es au Tchad, au Liban, en C�te d'Ivoire ou en Afghanistan o� nous venons d'envoyer 700 hommes suppl�mentaires. Certes, il y eut le refus fran�ais de cautionner la deuxi�me guerre du Golfe et - malgr� quelques d�rapages verbaux de Jacques Chirac (d�clarant en 2003 que �la guerre est toujours la pire des solutions�) et du lyrisme de Dominique de Villepin - il faut reconna�tre que la suite a donn� raison � la position fran�aise d'autant que les arguments avanc�s par l'administration US (pr�sence d'�armes de destruction massives� en Irak sur fond d'amalgame plus ou moins avou� entre le r�gime de Saddam Hussein et les responsables des attentats du 11 septembre) relevaient de la pure d�sinformation.

Par ailleurs, on ne peut transposer le tragique aveuglement des accords de Munich et de �l'esprit de Munich� � la situation contemporaine en occultant la diabolique singularit� de l'ennemi d'alors, � savoir Hitler et le Troisi�me Reich. En d�pit de quelques slogans propag�s ces derni�res ann�es d�crivant des autocrates comme Milosevic (renvers� par le verdict des urnes et des manifestations) et des dictateurs comme Saddam Hussein en r�incarnations d'Hitler, aucun p�ril contemporain - pas plus les talibans qu'Ahmadinejad - n'est en mesure de faire peser une menace comparable � celle des nazis. Qu'il s'agisse des 3000 victimes du World Trade Center ou des dizaines de milliers d'Irakiens tomb�s depuis l'intervention des Etats-Unis, les conflits, attentats et guerres en cours aujourd'hui n'ont rien � voir avec l'affrontement apocalyptique nazisme / communisme / d�mocratie d'il y a un demi-si�cle.

In�vitable cr�tinisation

De m�me, l'�vocation r�currente par Lo�c Lorent des massacres de Srebrenica rejoint un confusionnisme et un manich�isme � la mode. Pour �tre pr�cis sur cet �pisode horrible d'une guerre qui ne l'�tait pas moins, il conviendrait de rappeler le martyre subi les semaines auparavant par les villages serbes voisins de Srebrenica dont femmes et enfants furent hach�s en morceaux par les combattants musulmans bosniaques. Quand les �d�fenseurs� de Srebrenica men�s par le criminel de guerre Naser Oric quitt�rent l'enclave - sur ordre du pr�sident Izetbegovic (qui aurait sans doute fini devant le TPI, comme le pr�sident croate Tudjman, si la mort ne l'avait sauv�) - et que le g�n�ral Morillon fit de m�me en oubliant ses promesses, la vengeance terrible des forces serbes de Mladic contre les hommes bosniaques en �ge de combattre relevait d�s lors de la triste f�rocit� des guerres civiles et ethniques.
Pour autant, Vous aurez la guerre vise juste quand il met en accusation le pr�t-�-penser hexagonal m�lant repentance, mauvaise conscience, autoflogellation, haine de soi et un sentimentalisme b�at. Lo�c Lorent trouve des accents � la Philippe Muray pour pourfendre la glu compassionnelle et consensuelle selon laquelle il faut �chanter le vivrensemble, chanter l'obsolescence des fronti�res, chanter le m�tissage, chanter le m�pris envers l'histoire de notre pays, chanter en tenant des drapeaux arc-en-ciel dans nos mains, aller se pavaner dans des �missions t�l�vis�es o� l'inculture, le conformisme, l'art de pleurer sur commande seront lou�s, quand ce n'est pas r�compens�,� A travers quelques �v�nements r�cents (les infirmi�res bulgares, Ingrid Betancourt, la prise d'otages de Beslen), il d�nonce le �culte de la faiblesse�� et �de l'alt�rit� sans limites�. Dans un pays encore traumatis� par les attentats de la rue de Rennes et du boulevard Saint-Michel ainsi que par la prise d'otages de Neuilly (un mort : le preneur d'otages), on n'ose imaginer le s�isme que provoquerait un attentat de l'ampleur de ceux de Madrid ou de New York... La France est sortie du tragique et de l'Histoire, nous confie avec une rage d�sol�e Lo�c Lorent. Sa plume, aussi � l'aise dans l'�tude historique que dans le souffle pamphl�taire, pointe sans faiblir �l'in�vitable cr�tinisation cong�nitale � une soci�t� du spectacle et du divertissement permanent et obligatoire�. C'est assez rare pour �tre salu�.

Christian Authier

Publi� sur 'Stalker' :

http://stalker.hautetfort.com/archive/2008/06/08/vous-aurez-la-guerre-loic-lorent-michel-crepu-et-guy-dupre.html

Vous aurez la guerre : Lo�c Lorent, Michel Cr�pu et Guy Dupr�

par Juan Asencio

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�Plut�t l’occupation �trang�re que la guerre.�
F�licien Challaye, cit� par Lo�c Lorent dans Vous aurez la guerre (�ditions Jean Paul Bayol, 2008), p. 102.

Il y a de cela peu de temps, le pi�tre journaliste Pierre Asouline, authentique sp�cialiste des pr�faces, ainsi que quelques dr�les qu'il ne convient pas m�me de nommer, trouvaient tr�s peu recommandable de montrer ce qu'avait �t� l'un (l'un, pas le seul bien s�r : l'un, disons celui qui n'�tait point grim�, peut-�tre le plus r�el) des visages de la France occup�e par l'arm�e allemande.
Comme ce visage leur faisait honte ou qu'ils pr�tendaient, plus s�rement, l'oublier, ils voulurent � tout prix le cacher. L'�nigmatique conte d'Hawthorne intitul� Le Voile noir �tait ainsi parodi�, sans qu'ils le sachent cela va de soi, par ces beaux esprits : n'ayant (probablement) rien � se reprocher, le pasteur invent� par l'ami de Melville se voila pourtant le visage, d'horreur diffuse devant les innombrables crimes commis par ses ouailles, jusqu'� la fin de ses jours. Sur son lit de mort m�me, et malgr� le cri de d�sespoir de celle qui l'avait aim� en silence, le pasteur refusa d'�ter de son visage le myst�rieux voile.


Nos journalistes, eux, qui n'ont probablement pas lu une seule ligne d'Hawthorne (ou de Rick Moody, pour �voquer un auteur tout de m�me vivant et c�l�bre), ont honte d'un visage qui fut pourtant celui d'une belle femme, insoumise et rebelle, fille a�n�e de l'�glise et Salom� coupeuse d'innombrables chefs, la France, � la fois sainte et, bien s�r, �quivalence pas m�me bloyenne, putain. Pour son amant tudesque patiemment guett� depuis son balcon en for�t, elle accepta m�me de relever sa jupe sans toucher un maigre sou. Rien � faire donc, les bosses et les �normes bleus, vaguement cach�s par un maquillage d'une horrible vulgarit�, sous les pauvres bandages consensuels, �taient aussi peu invisibles que le sourire artificiel des comprachicos hideusement d�figur�s.
Pierre Assouline d�couvrit, mais un peu tard � son �ge, que la belle vestale gardienne du feu sacr� de la plus haute histoire �tait, depuis quelques �ons tout de m�me, une demi-mondaine press�e de se vendre sur l'�tal du boucher. Nous restons donc dans la litt�rature et, apr�s Nathaniel Hawthorne, convoquons, toujours � l'insu de notre journaliste, Fran�ois de Rosset et Charles Nodier.
Ce visage souriant, radieux m�me n'ayons pas peur de l'�crire, comme celui d'une femme amoureuse exigeant de son ravisseur qu'il la prenne sans c�r�monie, avait �t� celui, photographi� par Andr� Zucca, de l'insouciance, du bonheur de vivre, voire de la complaisance, quand il n'�tait pas la trogne hilare, ma foi magnifi�e par les yeux de notre habile photographe, d'une bien franche collaboration.
Je rappelais alors ici m�me, apr�s avoir lu la note effarouch�e d'un Pierre Assouline plus martial qu'un Hannibal mont� sur un �non de papier, quelque �vidence historique qui semble apparemment avoir �chapp� � nos contempteurs au sujet de ce qu'il est convenu de nommer, pudiquement, la moins glorieuse p�riode de notre longue histoire, � dire vrai une pantalonnade comme elle n'en connut que peu : la honteuse d�b�cle de 1940 ayant vu, sur les routes de France, des milliers de combattants qui avaient bien souvent d�tal� au seul bruit d'histoires colport�es de casernes en casernes plut�t que devant des ennemis bien r�els, je me bornais � faire remarquer � notre approximatif historien Pierre Assouline que les rangs des r�sistants avaient �t� pour le moins clairsem�s si on les comparait � ceux de l'immense troupeau des collabos, passifs comme ceux que montraient les clich�s de Zucca d�nonc�s par nos fiers-�-bras en chemise de soie ou parfaitement actifs, quitte � devancer les d�sirs allemands. Quitte � proposer de planter le drapeau fran�ais sur un tas de fumier odorant, selon les d�sirs de Jean Zay dont le sang �tait contamin� (il ne fut bien s�r pas le seul dans ce cas) par le germe du pacifisme le plus purulent.
Lo�c Lorent, un jeune auteur plus pol�miste qu'historien (son livre, sans doute volontairement, fait l'�conomie d'un apparat critique), plus col�reux que r�ellement pol�miste (l'impr�cation ne peut se d�partir d'une �criture r�elle qui est, dans le cas de notre jeune auteur, esp�rons-le, en g�sine) rappelle ces �vidences en leur donnant un beau nom qu'il affirme �tre une id�ologie, celle du munichisme, ainsi �pingl�e : �Et si nous devions d�finir cette id�ologie d’une fa�on �concise�, nous pourrions dire que le munichisme est l’id�ologie qui, sous l’influence �l�mentaire de pacifismes intransigeants, conduit � renoncer consciemment � la puissance et m�me, en temps de crise, � accepter des concessions sur l’autel de la paix et, finalement, aboutit � la capitulation� (pp. 195-6). Notre �poque bien s�r est celle du nouveau-n� accouch� de son insigne mar�tre, le n�o-munichisme comme il se doit qui n'est plus seulement une id�ologie mais le discours seul autoris�, donc l'auto-consomption de toute id�ologie ou pour le dire autrement, l'id�ologie absolue, le novlangue terminal (1) : �Le n�o-munichisme, qui n’est qu’un munichisme r�actualis� en fonction des nouvelles id�ologies dominantes en Europe occidentale, n’est pas un discours (ce qu’il �tait en 1939), mais le discours obligatoire. Il n’est plus restreint, propre � certaines sph�res mais est partag� par la quasi-totalit� des citoyens du vieux continent� (p. 216).
Le constat est imparable, l'analyse, m�me r�p�titive et parfois fort peu encline aux subtilit�s politiques, f�roce mais manque � ce br�lot, je l'ai dit, la griffe incassable d'un style, celui par exemple de Bernanos que rappelle d'ailleurs Lorent (2). S�bastien Lapaque le cite beaucoup lui aussi. � vrai dire, il para�t m�me tellement persuad� de s'�tre incorpor� la substance la plus secr�te du Grand d'Espagne qu'il ne le cite plus gu�re, se contentant de donner, � la r��dition de Sous le soleil de Satan par le Castor Astral, une pr�face qui n'en est pas une, qui est m�me particuli�rement l�g�re si on la compare au travail honn�te de Michel del Castillo pour Les grands cimeti�res sous la lune. Cr�pu, lui, cite peu Georges Bernanos, apr�s tout digne h�ritier de L�on Bloy que le patron de La Revue des deux Mondes ne tient pas en une immense estime. Cr�pu n'aime gu�re les auteurs qui ont l'�cume aux babines, toujours pr�ts � mordre � belles dents les fesses blanches des Fran�ais qui paraissent avoir oubli� depuis belle lurette ce qu'est le virus de la rage.
C'est pourtant Michel Cr�pu, et non point Lorent ni m�me Lapaque qui rend � Bernanos un hommage aussi inattendu que juste dans un excellent petit livre (quoique contestable sur bien des points) d�j� vieux, Solitude de la grenouille dont je viens de terminer la roborative lecture. Passons sur le sujet de cet essai enlev�, qui fut cause d'une vieille dispute avec Pierre Cormary, passons encore sur le fait que le non prof�r� par les Fran�ais � la Constitution soit compar� � un sinistre Munich, ne retenons m�me pas la sempiternelle antienne (3) psalmodi�e par l'auteur (il faut jouir; gageons du moins que Cr�pu jouisse intelligemment), pour ne retenir que le passage consacr� � Bernanos, tout particuli�rement celui de Nous autres Fran�ais : �Merveilleux, exasp�rant Bernanos, qui se cogne partout [...], sa fa�on de secouer furieusement le taillis de ronces o� il s'est enferr� lui-m�me, en sortant au bout du compte bless�, tum�fi�, bouleversant. Bernanos avec ses cannes, sa moto, ses lettres aux Anglais, son chemin de la Croix-des-�mes, impayable, ind�logeable dans son r�duit monarchique du XXe si�cle, seul, � Juis de Fora, au milieu de ses vaches et de ses cochons... Dites, Bernanos, vous savez que la moto n'a pas de freins... Bah, on ira dans le foss� ! Vive le Roy ! Adieu ! Adieu ! Nous autres Fran�ais est �crit durant l'ann�e 1939-1939, l'encre des accords de Munich vient � peine de s�cher, Bernanos sort tout juste des Grands cimeti�res sous la lune, il est d�j� au Br�sil, �cœur�, �cuvant sa honte�. Il s'est pass� quelque chose, un grain qui coince d�cid�ment et qui a pr�cipit� la rupture avec l'Action fran�aise. Ce que Bernanos a vu � Majorque, les ex�cutions sommaires, l'horreur commise au nom de Dieu, la Croisade franquiste, la casuistique au service du meurtre, le Dogme � celui de la criminalit� id�ologique� (4).
Rien de bien neuf, donc, sous le soleil pisseux des petits camelots du Roy, qu'ils soient honteux (signant ainsi sous divers pseudonymes, cf. l'addendum au texte du bravache Fr�d�ric Morgan/Pierre Carvin, dont la photographie ci-contre, publique je le pr�cise, est �loquente) ou d�clar�s : la m�me tonalit� martiale ridicule et irresponsable dont le plus puissant combustible n'aboutira jamais � mettre en branle un piston millim�trique, la m�me l�chet� se jouant finalement de mots trop grands pour les petites bouches en praline de nos procrastinateurs incurables.
L'un des chapitres les plus int�ressants de l'essai de Cr�pu est sans conteste celui (intitul� Portrait de l'artiste en vieux continent) o� il tente de donner figure � ce qui n'en a pas, le Mal. Cr�pu l'enthousiaste, le jouisseur, le confiant, l'honn�te homme au sens le plus noble de l'expression, ce nageur jamais plus � l'aise que dans une mare sollersienne o� il ex�cute de belles figures, para�t fort mal �quip� pour s'aventurer au large, encore moins descendre dans les profondeurs. La g�n�alogie de l'esprit munichois entreprise par l'auteur aurait peut-�tre d� s'appuyer sur deux lectures que Cr�pu ne cite pas (5) et qui, dans ces domaines troubles, font office de bouteilles d'oxyg�ne et d'h�lium n�cessaires � l'exploration des grands fonds : Max Picard et Guy Dupr�.
Guy Dupr�... La plus anodine page de cet �crivain de race para�t gonfl�e de mille sucs qui nous font humer, � la brune, une for�t profonde de souvenirs, riches d'allusions innombrables, subtiles comme des essences volatiles, � un monde perdu. Lorsque je d�jeunai avec lui il y a quelques semaines, l'homme se r�v�la d'une politesse et d'une amabilit� tout � fait exquises, comme ses livres, d'ailleurs, le laissaient soup�onner. Il savait parler, d�versant le flot prodigieux de souvenirs apparemment infinis, parce que, surtout, il savait se taire, son art ayant d'abord consist� � garder le silence, � ne point se pr�cipiter pour �crire quelques vagues feuillets vite oubli�s. L'homme de parole, qui s'en �tonnera, �tait un homme du silence, c'est-�-dire de la parole non pas rimbaldiennement reni�e mais gard�e. Nous avons alors �voqu� beaucoup plus de vivants (� peine l'�taient-ils) que de morts (bien r�els, eux, plus vivants, par le pouvoir des invocations de Dupr�, que nos p�les vivants) et ma conversation dut faire � ce Sphinx de la m�moire l'effet d'un bourdonnement d'insecte d�rangeant un impassible �l�phant peut-�tre bien bicentenaire ou bien quelque vieillard sans �ge, comme aimait � les peindre Borges.
Un monde perdu ai-je �crit ? Oui, surtout si l'on s'avise de tendre l'oreille vers le vacarme provenant de l'�tal de vente � la cri�e qui horrifia Julien Gracq et que stigmatise Dupr�, �crivant (op. cit., p. 179) : �De mon bureau d’�diteur j’avais vu la contagion du besoin de s’exprimer, de se justifier, de se raconter, gagner la Grande Muette, le Barreau, le Parlement, la Police, les Finances, la M�decine. � l’�cole de la baveuse C�line et du morse Morand, les romanciers de �mes deux� s’�taient mis � table, une table perc�e d’o� d�goulinaient des ouvrages de simulation. Nous �tions tous des simulacres.�
Un monde perdu ? Bien s�r que non car ce pessimiste absolu qu'est Guy Dupr� ou, pour le dire autrement, ce r�actionnaire authentique, riche de souvenirs que l'on croit ceux d'un monde non seulement r�volu mais qui n'a, tout bonnement, jamais exist�, convaincu encore depuis des lustres que l'�puisement des forces de la France n'a m�me pas eu pour cause la Grande Guerre (et encore moins, bien s�r, la Seconde) qui n'a fait que r�v�ler ce que les plus fins esprits soup�onnaient : la France �tait sortie, d'un coup, de l'histoire, et bien avant que la d�faite de nos arm�es paraphe notre capitulation morale et intellectuelle, est aussi celui qui parie sur l'existence d'une �fraternit� �lective et lyrique, d�daigneuse et ironique� qu'il oppose aux �appartenances familiales, mondaines, s�culi�res� et qui constitue un �compagnonnage dans lequel on n'entr[e] qu'en restituant son sens sacramentel � la double expression ��lever la voix� et �garder le silence� (6). Selon Guy Dupr�, la transmission des pouvoirs de l'esprit et de la chair ne peut se faire qu'au travers des figures f�minines �voqu�es dans ses trois romans et ses nombreux textes, comme si elles �taient de myst�rieux intercesseurs de la grandeur apotrop�enne �chappant d'un rire � la pesanteur de la cha�ne h�r�ditaire. Un peu de la libert� canaille des femmes que Dupr� a aim�es s'est �trangement d�pos�e sur ses meilleurs textes qui vous donnent l'impression de p�n�trer dans un royaume antique plus consistant et p�renne que les titanesques portiques d'acier et de lumi�re germant aux quatre coins de la plan�te.
Qu'importe l'ext�nuation des vieux flancs de la race, semble nous chuchoter Dupr�, si le grain miraculeux peut se lever apr�s avoir germ� dans les terres les plus inattendues ! Qu'importe encore l'irr�alit� fonci�re du pr�sent puisque ce que Dupr� a d�fini mieux que nul autre, po�tiquement nomm� �loi de Sainte-Beuve� (7), nous entra�ne dans le cours d'un fleuve que nous pouvons, avec quelque pratique, remonter (8).
Vers quelle source improbable o� se nicherait la pollution qui contamina le fleuve ? � cette question, la plus angoissante, la derni�re, nul ne d�tient ne serait-ce qu'une vague r�ponse. Pas m�me le magicien Guy Dupr�.

Notes

(1) �vident souvenir de 1984 de George Orwell et peut-�tre de La Fausse parole d'Armand Robin, auteur h�las presque inconnu, que ce constat : �La d�naturation du sens des mots est la matrice des tyrannies modernes� (op. cit., p. 61).
(2) �Les intellectuels qui ne sont pas tomb�s dans le pi�ge du pacifisme couineur sont rarissimes. Bernanos ou Montherlant, dont les indignations rageuses offriront de sublimes objets litt�raires, sont marginaux� (Ibid., p. 108).
(3) Michel Cr�pu, Solitude de la grenouille (Flammarion, coll. Caf� Voltaire, 2006), pp. 122-3 : �Ce qui dispara�t en France avec la Grande Guerre, c’est tout le profond pouvoir de la l�g�ret�, signe de finesse et d’humilit�, son g�nie propre qui avait donn� sa langue � l’Europe. Tout devient lourd, emprunt�, vell�itaire, priv� de gr�ce, ne songeant qu’� des �retours� ou � des ruptures toujours plus radicales, toujours plus vaines. La l�g�ret� perdue, la gravit� s’�vanouit � son tour.�
(4) Op. cit., p. 37.
(5) Cr�pu, qui a bien raison de m�priser le personnage fat de l'�crivain, devrait quelque peu se m�fier de celui, tout aussi ridicule et encore plus boursoufl�, du Critique... Car, ma foi, contrairement aux dires de l'auteur, nous sommes quelques-uns, oui, sans doute fort peu nombreux, � avoir lu Pascal, Bossuet, Sainte-Beuve et... Lucien Bodard dont les analyses, tout de m�me, cher Michel, sont un peu moins imparables que celles d'un Dupr� lorsqu'il s'agit de tenter d'expliquer les origines de l'�puisement fran�ais !
(6) Guy Dupr�, Les Manœuvres d'automne (Le Rocher, 1997), p. 89. Je recopie cet admirable passage, qui devrait �tre donn�, dans les salles de classe, en exemple d'humilit� et de grandeur m�lang�es, d'implacable lucidit� aussi : �C’�tait la fin d’une esp�ce et d’une aire. Que resterait-il apr�s eux ? Que restait-il devant nous qui n’avions pas encore rassembl� nos esprits ? La libert� � la fran�aise - d’o� r�sultait la population des copistes et des scribes accroupis, �crivant sous eux, s’arrogeant le droit � la parole et revendiquant le droit � la diff�rence, mais qui se ressemblaient comme les soies d’une m�me truie. Ce n’�tait plus le Veau mais le Cochon d’or que seuls, debout dans les si�cles des si�cles, les guerriers, les po�tes et les princes tenaient en respect. Il n’y a que le temps qui n’ait pas peur du Cochon, et celui qui sait jouer sa vie sans compter ses jours. Au seul Trio respectable selon Charles Baudelaire, le pr�tre, le guerrier, le po�te - �Savoir, tuer et cr�er� -, nous substituerions un compos� r�sineux des trois. Comprendre; faire dispara�tre des �crans int�rieurs le son des c�l�brit�s de la chanson du jour; attendre pour �crire de pouvoir �crire des ouvrages qui r�jouissent le cœur des hommes et des femmes de la r�gion des �gaux. Pr�tre, soldat, po�te, il ne suffisait plus d’avoir une cuill�re dans chacun des trois pots, il faudrait savoir les remuer toutes en m�me temps. Dans le bleu des soirs d’�le-de-France pareil au bleu de Prusse des matins d’ex�cution, je chercherais longtemps encore le secret de conduite qui permet de lier la douceur sans quoi la vie est peu de chose au d�cha�nement int�rieur sans quoi la vie n’est rien�, ibid., p. 44.
(7) La Loi de Sainte-Beuve dont le grand critique se fait le chante dans son roman intitul� Volupt�, �r�git la m�moire ant�rieure aux premiers souvenirs et fait d�couler la nostalgie primordiale (et la fantasmagorie qui en proc�de), non de la petite enfance, mais du temps qui pr�c�de imm�diatement le temps o� nous sommes venus�, in op. cit., p. 77.
(8) Dans ce nouveau passage admirable, Guy Dupr� retrouve les vues plus que les accents d'un L�on Bloy et d'un Louis Massignon : �Nul ne conna�t son propre nom, nul ne sait de quel personnage myst�rieux - et peut-�tre mang� des vers - il tient la place… Ainsi des temps et des destin�es ant�rieurs re�oivent-ils leur sens de temps et de destin�es ult�rieurs. Amours, guerres ou aventures au fond si peu enferm�es dans la dur�e qu’elles ont occup�e, et si peu irr�vocablement r�volues, qu’elles restent accessibles en tout temps, mouvantes, changeantes et mall�ables. O� donc est Jason ? Et que fait-il ? O� sont, et qui sont, Diotima, Marie Salom�, m�re de Jacques le Majeur et de Jean, Esclarmonde de Foix ? O� sont, et qui sont, aujourd’hui, l’enchanteur Merlin enferm� dans sa colonne d’air par la trahison de la f�e Viviane, Lancelot qui fut l’amant de la reine ?�, in op. cit., p. 89.












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