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Annexe II. Etude des vestiges
Nous avons appel� anthropotechnique l’ensemble
des processus �volutifs complexes ayant permis vers -7 �
-5 millions d'ann�es avant notre �re l'apparition d'un certain
nombre d'esp�ces d'hominiens se distinguant des primates de l'�poque
par l’utilisation de plus en plus syst�matique d’outils
et de langages. Les pr�historiens retrouvent de plus en plus de
vestiges mat�riels de ces transformations. Parall�lement,
les g�n�ticiens et anthropologues �volutionnaires
r�ussissent � reconstruire les mutations adaptatives de
leurs g�nomes et les transformations morphologiques et comportementales
qui en d�coul�rent(1).
S'agissait-il d'esp�ces isol�es les unes
des autres caract�ris�es par l'impossibilit� d'union
f�condes entre leurs membres ou de sous-esp�ces ou races
� l'int�rieur d'une m�me esp�ce ? Nous avons
indiqu� que pour nous la question n’a pas grand int�r�t,
d’autant plus qu’elle peut susciter des d�bats non
scientifiques, politique, voire religieux. D’autant plus que l'�tude
des ADN r�siduels ne donne pas de r�sultats pr�cis.
Quant aux autres vestiges, ils ne sont pas signifiants � cet �gard.
On consid�re g�n�ralement cependant qu'il s'agissait
d'esp�ces diff�rentes ayant diverg� en formes buissonnantes,
sur de tr�s longues dur�es (plusieurs millions d'ann�es),
int�ressant de tr�s petits effectifs d'individus r�partis
sur des territoires immenses. Toutes ces esp�ces n'�taient
sans doute pas condamn�es � dispara�tre. Reste que,
pour des raisons encore inconnues, aucune n'a surv�cu, hors celles
ayant abouti aux pr�d�cesseurs de l'homo sapiens.
Le tronc principal de cette �volution a �t�
associ� aux australopith�ques pr�sents en Afrique
d�s - 4 millions d'ann�es et ayant v�cu jusqu'�
-2,5 millions d'ann�es. Les premiers outils de pierre, dits de
l'Olduvien, dat�s de -2 millions d'ann�es, ont �t�
attribu�s � un hominien dit homo habilis, mais sans doute
avaient-ils aussi �t� utilis�s par des australopith�ques
r�cents. On peut voir l� les origines de l’anthropotechnique.
Certains de ces premiers hominiens ont quitt� l'Afrique et ont
migr� en Europe et en Asie. Ils ont re�u divers noms, homo
erectus en Asie, homo ergaster et homo heidelbergensis en Europe. Tous
avaient acquis l'usage des outils de pierre du type dit coup de poing
ou biface, puis l'usage du feu. Du tronc commun s'est s�par�e
vers -1 � -0,5 million d'ann�es l'esp�ce des n�anderthaliens,
contemporaine des premiers homo sapiens. Elle ne s'est �teinte
qu'� une date r�cente. Ils sont associ�s avec l'industrie
lithique dite Moust�rienne. On pense par ailleurs que les homo
erectus d'Asie auraient pu survivre jusqu'� une date encore plus
proche de notre �poque, dont la forme dite de l'homme de Flores
en Indon�sie serait un vestige.
On identifie les premiers homo sapiens � leurs
caract�res g�n�tiques, morphologiques et �
leurs outils, dits Aurignaciens ou de Cro-Magnon, outils tr�s pr�sents
en Afrique du nord, Moyen-Orient et Europe � partir de -40�000
ans. Il est probable que de v�ritables sapiens, tr�s proches
de nous sinon semblables sur le plan corporel, se soient individualis�s
bien auparavant, entre - 60�000 ann�es, voire -80�000,
sinon plus t�t, comme indiqu� ci-dessous. Signalons que le
terme g�n�ralement employ� d'homo sapiens sapiens
pour distinguer les hommes modernes de leurs cousins homo neandertalensis,
d�nomm�s homo sapiens neandertalensis, para�t tomb�
en d�su�tude. Ce dernier a �t� jug�
trop �loign� de l'homo sapiens pour �tre qualifi�
lui-m�me de sapiens, ceci malgr� ses capacit�s cognitives
incontestables. Pour simplifier, nous conserverons ici le terme d’homo
sapiens pour d�signer l’homme moderne, dont nous sommes les
repr�sentants.
Les conditions selon lesquelles s'est op�r�e
la transition entre les homo erectus et esp�ces voisines et les
sapiens ne sont pas clairement �lucid�es, ni les lieux o�
elle s'est produite. Peut-�tre s'est-elle faite en plusieurs fois,
certaines branches pouvant avoir disparu par isolement. Des auteurs, comme
indiqu� ci-dessus, pensent avoir identifi� des individus
anatomiquement proches de l'homme moderne, c'est-�-dire du sapiens,
en Afrique et m�me en Australie, vers -150�000 ann�es.
Ajoutons que, depuis quelques ann�es, les australopith�ques
pr�sents dans l'est de l'Afrique ne sont plus consid�r�s
comme les premiers hominid�s bip�des. Un fossile d�couvert
en Afrique de l'Ouest les a remplac�s dans ce r�le. Il s'agit
d'Orrorin tugenensis �galement surnomm� Millennium Man.
Il �tait devenu momentan�ment le principal pr�tendant
au statut de premier hominid� bip�de, accord� depuis
1993 � Ardipithecus ramidus (-4 � -5 Millions d'ann�es),
suivi de pr�s par Australopithecus afarensis ou australopith�que
pr�cit�. Il a cependant �t� �vinc�
dans ce r�le en 2002 par Touma� (Sahelanthropus tchadensis),
�g� de -6,9 � -7,2 millions d'ann�es.
On distingue les premiers hominiens de leurs contemporains
grands singes par un certain nombre de caract�ristiques physiques
et comportementales. Elles ont �t� souvent �num�r�es�:
important d�veloppement de la capacit� cr�nienne (coefficient
d’enc�phalisation ou EQ), aptitude � la station debout
et � la marche bip�de, d�veloppement de la main comme
instrument multifonctions, transformations du pelvis et du port de t�te
li�es sans doute � la station debout, transformations de
l'appareil audio-phonateur avec r�le particulier de l’os hyo�de,
etc. Toutes ces transformations ont pr�c�d� l’usage
des outils lithiques et celui (suppos�) des �changes symboliques
de type langagier. Concernant la station debout, on sait que les grands
singes la pratiquent occasionnellement, y compris en se d�pla�ant
sur des branches d'arbres. D'autres animaux le font aussi. Mais chez les
hominiens il s'agissait d'un mode de d�placement par d�faut,
si l'on peut dire, autrement dit devenu standard et ayant entra�n�
de nombreuses autres cons�quences corporelles et culturelles(2).
Les donn�es de la pal�oanthropologie(3)
Rappelons d’abord ce que l’on croit savoir
aujourd’hui de l’�volution des outils. Aux origines,
des espaces de temps extraordinairement longs ont s�par�
l’apparition des premiers outils indiscutables, dits outils de phase
1 (galets grossi�rement taill�s ou �clats) et les
transformations et perfectionnements de toutes sortes apparus ensuite.
Le premier outil identifi� serait un nucl�us de quartzite
avec des traces de taille, mis � jour en Chine pr�s du village
de Dongyaositou. Il serait �g� de 3 millions d’ann�es,
ce qui en ferait le sp�cimen le plus ancien connu. On ne mentionne
pas dans ce calendrier les simples galets utilis�s comme percuteurs
pour briser des noix ou des os, dont l’usage est sans doute beaucoup
plus ancien, mais qui sont difficiles � identifier en tant que
tels. Les primates en font aussi usage occasionnellement. Les outils indiscutables
(pierres am�nag�es, coups de poing dits bifaces, lames tranchantes)
sont �vidents � partir de -2,5 MA. Ils sont associ�s
aux populations d’Homo dits habilis et erectus, lesquelles ont coexist�
pendant 500�000 ans sans se m�langer. On rapproche de ceux-ci
les Paranthropes (robustus et boisei) d’Afrique du Sud et d’Afrique
de l’Est, dat�s de 2 � 1 MA, voire davantage pour
le Paranthropus ethiopicus (2,5 MA). Ces diverses esp�ces sont
plus voisines des Homo que des Australopith�ques.
Le tableau suivant permet de classer les types d’outils
et leurs dates d’apparition. Il est tir� d’un article
de Olivier Keller Quelques donn�es pour une pr�histoire
de la g�om�trie.
* Pal�olithique archa�que. (-2,5 �
-1,5 MA) Homo habilis (volume c�r�bral 500 � 800
cc). Afrique. Industrie oldowayenne. Galets taill�s : choppers
et chopping tools.
* Pal�olithique inf�rieur. (-1,5 �
-0,2 MA) Homo erectus (750 � 1250 cc) Afrique, Asie, Europe. Industrie
acheul�enne. Bifaces.
* Pal�olithique moyen. (-20�0000 �
-40�000) Homo sapiens archa�que, homo sapiens neandertalis (1200
� 1700 cc). Industrie moust�rienne Eclats et lames.
* Pal�olithique sup�rieur. (-40.000 �
-9000) Homo sapiens-sapiens Industrie laminaire. Lames retouch�es.
* Epipal�olithique africain (� partir de
-15�000), M�solithique europ�en (-9000 � -5000)
Microlithes (petites lames et pointes) g�om�triques.
Gr�ce aux outils de pierre, d’os et de bois
(non conserv�s) ainsi qu’aux � pyrotechniques �
associ�es au feu (d’usage beaucoup plus ancien qu’il
n’�tait suppos� il y a quelques d�cennies),
les diverses esp�ces d’Homo ont pu, tr�s vite apr�s
leur apparition, quitter le berceau africain d’origine et s’�tendre,
par vagues de peuplement successives ou crois�es, � l’Afrique
enti�re, puis � l’Europe, � l’Eurasie,
� l’Indon�sie et m�me � l’Australie.
Les hommes modernes, dits homo sapiens (sapiens n�anderthalensis
et sapiens sapiens) identifi�s vers -200�000 ans, ont alors
h�rit� de techniques tr�s sophistiqu�es qui
leur ont permis de s’imposer progressivement � toutes les
esp�ces dont ils partageaient le biotope.
Notons que les pal�oanthropologues, dans leur
majorit�, consid�rent que les nombreuses esp�ces
rattach�es au genre australopith�ques, ayant v�cu
dans toute l’Afrique et au-del� entre -4 et -1,5 millions
d’ann�es, n’ont pas utilis� d’outils de
fa�on syst�matique, en les transformant comme le faisaient
d�s l’origine les Homo, habilis et erectus. Ils le faisaient
sans doute occasionnellement, � l’instar des grands singes,
pour casser des noix ou �loigner des pr�dateurs. Ils avaient
les capacit�s manuelles pour fabriquer des outils, mais sans doute
n’avaient-ils pas d�velopp� les capacit�s cognitives
n�cessaires. Les australopith�ques ne sont g�n�ralement
plus consid�r�s aujourd’hui comme les pr�d�cesseurs
des esp�ces d’Homo leur ayant succ�d�. Il semble
qu’ils se soient enferm�s progressivement dans des niches
sans d�bouch�s, apr�s cependant s’�tre
r�pandus dans toute l’Afrique pendant 2 MA (un bel exploit),
tandis que les Homo apparaissaient et se g�n�ralisaient.
Australopithecus africanus a v�cu en Afrique du Sud jusqu’�
au moins -2,2 millions d’ann�es, tandis que le plus ancien
reste d’Homo, dit Homo habilis, est dat� de -2, 4 millions
d’ann�es. Il est possible que ce dernier ait �volu�
� partir d’une autre esp�ce, par exemple Kenyanthropus
platyops, dont on ignore tout des aptitudes cognitives.
Avant les australopith�ques, de -7 MA �
-5 MA, trois esp�ces d’hominid�s sont aujourd’hui
connues. Elles ont �t� class�es par leurs d�couvreurs
dans des genres diff�rents. : Orrorin Tugenensis, (-5,8 �
-5 MA), Kenya - Ardiphithecus Kadabba (-5,8 � -5,2 MA) Kenya
- Sahelanthropus Tchadensis (Touma�, -7 MA), Tchad. Il s’agissait
sans doute d�j� de bip�des plus ou moins syst�matiques.
Aucun outil n’a �t� retrouv� sur les sites
o� ils ont �t� d�couverts. Mais le contraire
aurait �t� tr�s surprenant, vu la raret� des
vestiges.
Notons par ailleurs que de grands efforts sont faits
actuellement pour rapprocher les restes d’hominid�s de ceux
de grands singes archa�ques, par exemple le Proconsul (Myoc�ne
inf�rieur, -20 MA) ou le Pierolapithecus (Myoc�ne moyen,
-20 -15 MA). Ceux-ci ne pratiquaient pas la bip�die mais seulement,
pour certains d’entre eux, le � grimper vertical �.
Si l’on en croit les analyses g�n�tiques, les Homo
ont diverg� d’avec les anc�tres des chimpanz�s
vers -6,6 millions d’ann�es, eux-m�mes d’avec
les gorilles vers -8,6 MA. Ces divers primates, dits homino�des,
se sont s�par�s des cercopith�co�des (babouins,
macaques, vervets) que nous allons retrouver ci-dessous, vers -38 millions
d’ann�es. Avec les c�bo�des (singe �cureuil,
marmoset), les homino�des et cercopith�co�des forment
le genre des anthropo�des, lequel lui-m�me, avec les Strepsirrhinines
que l’on retrouve en particulier � Madagascar, et dont ils
se sont s�par�s � la fin du cr�tac�,
vers -77 millions d’ann�es, constituent l’ordre des
Primates. Rappelons qu’environ � cette �poque s’�teignaient
les derniers grands dinosaures.
1. On tend � dire que les individus
repr�sentant les nouvelles esp�ces �taient tr�s
peu nombreux. C’�tait sans doute vrai. Mais il faut relativiser.
On consid�re aujourd’hui qu’une esp�ce n’est
capable de survivre que si elle est repr�sent�e par quelques
centaines d’individus au moins. Autrement dit, une esp�ce
dont les effectifs sont de 300 et dont les individus ont une esp�rance
de vie de 30 ans doit se renouveler tous les ans au rythme minimum de
10 par an, soit 1000 sur un si�cle, 10�000 sur un mill�naire
et 10�000�000 sur un million d’ann�es. La raret�
des vestiges retrouv�s ne veut pas dire qu’il ne s’agissait
pas de populations importantes, par rapport � celles d’autres
esp�ces de primates peuplant les for�ts et savanes africaines
� ces �poques.
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2. L’ouvrage r�cent du
pr�historien Jean-Jacques Hublin Quand d'autres hommes peuplaient
la Terre, Nouveaux regards sur nos origines, Flammarion 2008, fait
le point des connaissances actuelles concernant l’�volution
des hominid�s. Voir :
http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2008/dec/hublin.htm
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3. Deux livres d�j� cit�s,
publi�s au d�but de 2008, �clairent d'une lumi�re
crois�e la question des origines et de la suppos�e sp�cificit�
de l'esp�ce humaine. Leurs auteurs sont tous deux �minents
dans leurs disciplines. Il s'agit d'une part de Prehistory, Making
of the Human Mind, Weidenfeld and Nicholson 2007, du pr�historien
britannique Colin Renfrew et, d'autre part de Human, the Science behind
what makes us unique, Harper Collins 2008, du psychologue �volutionnaire
et neuroscientifique am�ricain Micha�l S. Gazzaniga.
Les deux auteurs ne semblent pas s'�tre concert�s. Ils ne
se r�f�rent m�me pas l'un � l'autre. L'ouvrage
de Micha�l S. Gazzaniga est beaucoup plus touffu que celui de son
coll�gue, mais l'un et l'autre sont �galement riches en
contenus informatifs et surtout en th�mes et r�f�rences
pour plus amples r�flexions. Ils �clairent de beaucoup de
pr�cisions int�ressantes les questions examin�es
dans cet essai.
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