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Annexe VII. Sciences et techniques de l’artificialisation
1. L’intelligence artificielle (IA)
L’intelligence artificielle (dite ici IA) a connu
des d�veloppements rapides, principalement
aux Etats-Unis, dans les ann�es 1960/1970, en corr�lation
avec l’apparition des premiers ordinateurs scientifiques. Ces d�veloppements
ont �t� ralentis pour diverses raisons, dont le manque de
capacit� des composants �lectroniques de l’�poque.
On a parl� d’une vieille IA, dont certains chercheurs (par
exemple les linguistes et traducteurs) se sont d�tourn�s,
d��us de ne pas voir leurs ambitions aussi pleinement satisfaites
qu’ils le voulaient. Au d�but des ann�es 1990, les
progr�s ont repris sur le mode exponentiel avec la g�n�ralisation
des ordinateurs de bureau, des r�seaux de t�l�communications
et des mat�riels incorporant de plus en plus de solutions IA li�es
� des besoins sp�cifiques. Par exemple les syst�mes
d’armes, les v�hicules, les mobiles, les immeubles dits �
intelligents �. Nous d�signerons cette IA, dont les ambitions
s’�taient beaucoup r�duites et sp�cialis�es
par rapport � celles de la � vieille IA � (GOFAI, Good
Old-fashion Artificial Intelligence), du nom d’IA faible. D’innombrables
soci�t�s savantes, laboratoires, entreprises, �crits
et �tudes lui sont dor�navant consacr�s.
On voit par ailleurs aujourd’hui se d�velopper
une IA qui vise � reproduire le plus grand nombre possible des
fonctions et performances des cerveaux animaux et humains. Son ambition
est globale, int�ressant toutes les activit�s des corps
biologiques�: motrices, sensorielles, c�r�brales. L’objectif
est d’obtenir des syst�mes capables de se repr�senter
eux-m�mes dans leur environnement, d’�laborer des strat�gies,
de communiquer par des langages, et plus g�n�ralement de
construire ce que Richard Dawkins avait appel� des � ph�notypes
�tendus � ou soci�t�s d’IA. Nous parlerons
ici d’IA forte pour d�signer ces nouvelles g�n�rations
d’IA. Il n’est pas possible d’affirmer que leurs vastes
ambitions soient toutes atteintes, ni que les voies retenues pour y arriver
soient toujours les plus pertinentes. Mais le mouvement est d�sormais
bien lanc� et semble se d�velopper d’une fa�on
irr�sistible.
En pratique, ces IA fortes sont associ�s �
des robots, � qui elles conf�rent des propri�t�s
d’autonomie de plus en plus marqu�es. Elles sont associ�es
aussi � des syst�mes de g�n�ration d’images
de synth�se, dits de r�alit� virtuelle, dont les
applications sont aujourd’hui multiples, les plus connues �tant
les jeux �lectroniques en r�seau. Mais nous pr�f�rons
pr�senter ces deux types de syst�mes dans la section 3.2
suivante, en les distinguant de l’IA proprement dite, compte tenu
de l’empreinte de plus en plus lourde qu’ils imposeront aux
soci�t�s humaines. L’IA forte constituera si l’on
peut dire leur cerveau logiciel, mais ces syst�mes seront dot�s
de propri�t�s et capacit�s exigeant d’envisager
globalement leurs cons�quences �conomiques, scientifiques
et politiques au regard de soci�t�s humaines qu’ils
vont transformer profond�ment.
D�finir l’IA constitue une activit�
tr�s r�pandue dans la litt�rature scientifique. Sans
entrer dans les nuances, disons que l’IA vise � simuler sur
des ordinateurs et des r�seaux �lectroniques, par l’interm�diaire
de programmes informatiques et de processus d’acquisition de connaissances
ne relevant pas de la programmation mais du raisonnement, un certain nombre
des comportements cognitifs, ou fa�ons de penser, des cerveaux
animaux et humains. En cela, l’IA est conforme � la d�finition
de l’intelligence pour laquelle celle-ci consiste � raisonner.
Par ailleurs, rappelons-le, simuler ne veut pas
dire reproduire, car pour reproduire, il faut conna�tre en d�tail
le m�canisme de la nature. Or la composition et le fonctionnement
des cerveaux restent encore tr�s difficiles � analyser et
interpr�ter. Simuler veut dire � essayer d’obtenir,
par n’importe quelle solution � notre disposition, un r�sultat
analogue � celui qui nous int�resse dans la nature �.
On ne copie pas a priori la nature, on cherche � obtenir un r�sultat
�quivalent. Ainsi, pour voler, les hommes ont compris qu’ils
n’arriveraient � rien en copiant les oiseaux. Ils ont cherch�
et trouv� leurs propres voies. Autrement dit, on pratique le processus
dit du � comme si �.
Mais ce faisant, une fois le r�sultat obtenu,
on d�couvre souvent que les voies et moyens artificiels permettant
de l’obtenir peuvent aider � comprendre le m�canisme
naturel. On sait ainsi que l’invention du sonar dans les ann�es
1940 pour d�tecter les cibles par �cholocalisation a permis
ensuite de comprendre comment de nombreux animaux, avec des techniques
biologiques tr�s diff�rentes, arrivaient � identifier
leurs proies (chauves-souris, dauphins, etc.).
C’est ce qui est en train de se passer avec l’IA.
L’IA a d�s le d�but cherch� � simuler,
plus ou moins bien, les r�sultats produits par l’activit�
des cerveaux et des sens. Ainsi en mati�re de reconnaissance des
formes, des couleurs et des sons. Mais elle l’a fait par ses moyens
propres, qui sont ceux de la programmation sur syst�me informatique.
Quand elle l’a pu, cependant, elle a utilis� les r�sultats
que lui apportaient les sciences du vivant, physiologie, psychologie,
pour mieux conna�tre les proc�dures retenues par le vivant.
Mais ces r�sultats n’�taient pas tr�s explicites,
car ces sciences du vivant elles-m�mes, dans les ann�es 1950/1960,
�taient encore tr�s rudimentaires, fortement teint�es
de psychologisme sinon de philosophie ou de m�taphysique.
Depuis ces dates, les sciences du vivant ont d�couvert
tout le parti qu’elles pouvaient tirer de l’observation scientifique
d�taill�e des cellules, des organes et des fonctions, notamment
c�r�brales, en faisant appel � des techniques physiques
telles que la spectrom�trie de masse, ou, concernant les neurosciences,
l’�lectroenc�phalographie ou l’imagerie par
r�sonance magn�tique. Nous ne pr�senterons pas ces
diverses techniques dans cet essai mais nous invitons le lecteur �
se documenter � leur propos. Comme ces techniques font elles-m�mes
appel � l’informatique dans l’interpr�tation
de leurs r�sultats, une fructueuse collaboration s’est �tablie
entre les sciences du vivant (biologie et neurologie) et l’IA. Aujourd’hui,
sans se recouvrir exactement, l’IA et les neurosciences travaillent
la main dans la main. Cela n’emp�che pas que d’autres
sciences cognitives, non r�ductibles � l’observation
des neurones, se d�veloppent par ailleurs. Mais l� encore
l’IA devient pour elles un apport indispensable. C’est le
cas de la linguistique et de diverses sciences sociales et humaines. Quand
nous disons IA, nous voulons bien dire IA et pas simplement l’informatique.
L’informatique, science � elle toute seule, est partout indispensable,
mais seule l’IA lui apporte une valeur ajout�e dans les domaines
qui nous concernent. Cette valeur est sp�cifique � chacune
des grandes disciplines qui l’utilisent.
L’IA faible
L’IA dite faible est partout pr�sente aujourd’hui.
Mais elle est quasiment invisible. Ainsi, lorsque l’on navigue sur
le Web en utilisant l’hypertexte, ou lorsque l’on proc�de
� une recherche en utilisant un moteur (ne citons pas de nom…),
on b�n�ficie d’un grand nombre de routines qui sont
devenues standard, mais qui avaient aux origines demand� des mois
et des mois de programmation � des �quipes d’analystes
et de programmeurs.
Nous nous bornerons ici � pr�senter en
quelques mots les principaux outils qu’elle met � la disposition
des concepteurs de syst�mes pour rendre ceux-ci � intelligents
� - le mot �tant � prendre avec pr�caution.
Les syst�mes experts
Un syst�me expert est un logiciel capable de simuler
le comportement d'un expert humain effectuant une t�che pr�cise,
dont il est seul � d�tenir le savoir-faire. L’objet
du syst�me-expert est de mettre en m�moire des connaissances
th�oriques ou factuelles difficiles � m�moriser autrement,
de fa�on � ce qu’elles ne disparaissent pas avec le
retrait de leur d�tenteur. Il est �galement de les globaliser
et de pouvoir les retraduire sous forme d’aides au diagnostic.
Au d�but des ann�es 1990, on avait cru
voir dans les syst�mes-experts un v�ritable sommet de l’IA
et plus g�n�ralement de la simulation du cerveau. Celui-ci
en effet m�morise � partir de la naissance du sujet d’innombrables
connaissances et r�gles de comportement, auxquelles il fait appel
en cas de besoin. Mettre en biblioth�que, mutualiser et faire �voluer
les connaissances de nombreux experts, voire d’une collectivit�
tout enti�re, semblait le moyen de constituer un vaste cerveau
global, aupr�s duquel tous les autres syst�mes traitant
des connaissances et des r�gles pourraient venir s’approvisionner.
Des syst�mes-experts plus ou moins ambitieux ont �t�
r�alis�s.
L’avantage du syst�me expert est qu’il
raisonne comme l’expert. Il ne n�cessite donc pas des mois
de programmation. Il peut �galement �tre mis � jour
en permanence, de fa�on � tenir compte de l’�volution
rapide des connaissances. Cependant, pour des raisons complexes, aucun
ordinateur ou robot dont l’intelligence serait constitu�e
par un g�n�rateur de syst�mes experts interagissant
avec des humains n’a encore eu de d�bouch� commercial.
C’est pourtant l� que le syst�me expert trouverait
des applications importantes.
La repr�sentation des connaissances
Si l'on veut qu'un logiciel soit capable de manipuler
des connaissances, il faut savoir les repr�senter symboliquement.
La repr�sentation des connaissances d�signe un ensemble
d'outils et de technologies destin�s d'une part � repr�senter
et d'autre part � organiser le savoir humain pour l'utiliser et
le partager. Les connaissances ne se r�sument pas seulement �
des mots et des phrases. Des sch�mas, des dessins, des plans, des
images document�es sont utilis�s en permanence. La repr�sentation
des connaissances n�cessite leur classement par taxonomies ou classifications
et par th�saurus.
Pour naviguer dans le monde des connaissances, des outils
formels permettant de formaliser des connaissances complexes sont n�cessaires.
On parlera de graphes conceptuels ou de r�seaux s�mantiques.
L’IA a syst�matis� et rendu traitables par l’informatique
des modes de classements s�culaires. Elle a standardis�
la repr�sentation en faisant appel � des objets logiques
reli�s par des propri�t�s, axiomes et r�gles.
Des langages informatiques sp�cifiques utilisables dans le cadre
du Web, notamment du Web r�cent dit s�mantique qui s’int�resse
aux contenus plut�t qu’aux r�f�rences externes,
ont �t� d�velopp�s.
Le concept d’ontologie d�signe l'ensemble
structur� des termes et concepts fondant le sens d'un champ d'informations,
notamment par le biais de m�tadonn�es. L'ontologie constitue
un mod�le de donn�es repr�sentatif d'un ensemble
de concepts dans un domaine, ainsi que les relations entre ces concepts.
Elle est employ�e pour raisonner � propos des objets du
domaine concern�. Tout ceci para�tra abstrait, mais les raisonnements
les plus courants proc�dent de cette fa�on sans s’en
rendre compte. L’IA, dans ce domaine comme dans celui voisin de
la logique, a eu pour premier objectif de mettre en r�gles pr�cises,
m�morisables et utilisables par des robots, les processus ancestraux
de l’intelligence animale et humaine.
La gestion des connaissances ou knowledge management
Cette technique compl�te et rend utilisable la
repr�sentation des connaissances. Elle rassemble les outils permettant
d'identifier, d'analyser, d’organiser, de m�moriser, de partager
et de restituer � la demande l’ensemble des connaissances
produites et accumul�es par une organisation sociale.
Mais l� encore, le besoin imm�morial avait
fait appara�tre dans les soci�t�s traditionnelles
des m�thodes empiriques de gestion des connaissances qui demeurent
encore tr�s actives dans de nombreux domaines. Les rituels religieux
ou sociaux en repr�sentent une forme.
Le traitement automatique du langage naturel
Le traitement automatique du langage naturel peut �tre
rapproch� des techniques pr�c�dentes. Il en constitue
le compl�ment indispensable puisque les donn�es et les connaissances
proviennent de multiples sources et langages, qu’il sera pr�f�rable
d’harmoniser, notamment en les traduisant dans un langage unique.
Qu'il s'agisse de traduire un texte dans une autre langue ou de le r�sumer,
le probl�me crucial � r�soudre est celui de sa compr�hension.
On pourra dire qu'un logiciel comprend un texte lorsqu'il peut le repr�senter
sous une forme ind�pendante de la langue dans laquelle il est �crit.
Les traducteurs automatiques sont apparus d’abord
dans des domaines sp�cialis�s o� ils peuvent �tre
associ�s � des contenus et � des lexiques adapt�s
au domaine. Les traducteurs g�n�ralistes se multiplient
�galement aujourd’hui. Ils r�pondent � un v�ritable
besoin politique, notamment dans les organisations internationales refusant
l’omnipr�sence de l’anglais. Mais la pr�sence
d’un traducteur humain reste encore n�cessaire.
Les langages verbaux ne sont pas les seuls qu’utilisent
les humains. Comme beaucoup d’animaux, ils utilisent aussi d’innombrables
symboles, gestes ou images. Leur traduction automatique, notamment vers
des langages verbaux et des bases de connaissances, sera de plus en plus
n�cessaire. Cela fera partie de la constitution d’une vaste
culture globale transcendant individus et groupes sp�cifiques.
Le calcul formel
On peut mentionner dans cette rubrique le traitement
informatique du langage math�matique. C’est le calcul formel
qui est le plus concern�. Celui-ci, au contraire du calcul num�rique,
traite des expressions symboliques. Par exemple, calculer la valeur d'une
fonction r�elle en un point est du calcul num�rique alors
que calculer la d�riv�e d'une fonction num�rique
est du calcul formel. De nombreux logiciels tr�s puissants sont
commercialis�s pour ex�cuter tous les calculs formels et
bien d'autres n�cessaires aux activit�s scientifiques et
techniques.
La simulation du raisonnement humain
Les donn�es et les connaissances servent aux humains
� raisonner. Ils le font de fa�on plus ou moins rigoureuse,
souvent inconsciemment. Ils sont capables de raisonner sur des syst�mes
incomplets, incertains et m�me contradictoires. Pour l’IA
il est devenu indispensable de simuler le raisonnement humain, avec ses
forces et ses faiblesses. De plus en plus les techniques de raisonnement
artificiel seront capables de s’auto-optimiser. Des logiques d�di�es
(logiques modales, temporelles, floues, non monotones, etc.), formalisent
les raisonnements humains, lorsqu’ils �chappent �
la logique courante int�ressant les rationalit�s explicites,
empiriques ou scientifiques.
La r�solution de probl�mes
Il s’agit de repr�senter, analyser et r�soudre
des probl�mes concrets. Pour les premiers concepteurs de l’IA,
celle-ci devait �tre une machine sp�cialis�e (g�n�raliste)
dans la r�solution de probl�mes. Chaque �tre vivant
le fait en permanence, les humains g�n�ralement sans y penser.
Il peut s’agir simplement de marcher dans la rue afin de se rendre
quelque part. Autrement dit un probl�me est une t�che qui
exige l’exploration d’un certain nombre de r�ponses
possibles avant de choisir la bonne, ou la meilleure. A un plus haut niveau,
il faut r�soudre les probl�mes difficiles, ceux pour lesquels
aucune solution n’appara�t � premi�re vue. Le
cas se retrouve constamment dans la recherche, l’industrie et plus
g�n�ralement la vie sociale. Pour l’IA, la r�solution
de probl�mes constitue donc un champ d’�tude fondamental.
Les premiers concepteurs de l’IA esp�raient d’ailleurs
trouver une m�thode capable de r�soudre n’importe
quel probl�me, quel qu’il soit. C’�tait l’ambition
du � general problem solving �. Ils y ont renonc�.
Il a fallu segmenter les approches.
La difficult�, pour tous les probl�mes
int�ressants (voire les plus simples en ce qui concerne les robots),
est que � l’espace de recherche de solution � est tr�s
vaste. Il faut le r�duire en trouvant des � heuristiques
� ou m�thodes d’invention �vitant de chercher
dans des directions inutiles. Il faut aussi faire appel � ce que
l’on sait de probl�mes similaires pour mieux mod�liser
leur repr�sentation dans le syst�me.
En dehors de la recherche et de l’industrie, les
jeux offrent un vaste terrain d’application � la r�solution
de probl�mes. La plupart des jeux ont fait l’objet d’applications
faisant appel � l’IA. Rappelons cependant � cet �gard
qu’il faut distinguer entre des solutions faisant vraiment appel
� des heuristiques �volu�es et celles faisant simplement
appel � ce que l’on nomme la force informatique brute. Vaincre
un joueur d’�checs humain en mettant en face de lui un super-ordinateur
g�ant ne pr�sente gu�re d’int�r�t,
autrement que publicitaire. Il existe par contre des IA permettant de
jouer aux �checs selon des r�gles bien plus � intelligentes
� et donc plus �conomes de moyens.
Les humains comme les animaux utilisent bien d'autres
m�thodes que celles faisant appel � des formulations logico-math�matiques.
La plupart sont m�me en fait incapables de raisonner math�matiquement,
que ce soit inconsciemment ou consciemment. Leur moteur de raisonnement
est bas� sur l’imagerie sensorielle. De plus, ils raisonnent
souvent par analogies, en comparant le pr�sent au pass�.
Ils sont guid�s enfin par des �motions qui les guident dans
le choix des buts et des heuristiques pour les atteindre.
Le philosophe, logicien et informaticien c�l�bre
Douglas Hofstadter a d�velopp� plusieurs programmes capables
de raisonner par analogies. C’est le cas du programme Copycat. Il
pr�sente la caract�ristique de s’inventer des r�les,
autrement dit de se modifier lui-m�me, au fur et � mesure
des questions qui lui sont pos�es. Il s’agit d’un bon
pr�curseur de l’IA forte que nous allons examiner ci-apr�s.
Un autre programme, aussi surprenant, est Phaeaco, con�u
par Harry Fondalis et Douglas Hofstadter en 2005/2006. Il r�sout
notamment les probl�mes d’analogies visuelles dits aussi
probl�mes de Bongard. On con�oit que pour survivre dans
la nature, les cerveaux des animaux ont besoin de programmes de cette
sorte. Pour rechercher les caract�ristiques communes des images,
Phaeaco est guid� par les � id�es � qu’il
peut avoir � un moment donn� relativement aux concepts possibles.
Pour que ces programmes deviennent vraiment intelligents,
selon leurs concepteurs, il leur faudrait acqu�rir la capacit�
d’introspection, afin de comprendre les raisons de leur choix. Cela
a �t� l’objet du programme � Metacat �
dont les r�sultats ne sont pas �vidents � ce jour.
Il leur manque aussi la notion de � but �, fondamentale dans
le cadre de l’IA forte.
Les diff�rentes reconnaissances de forme
L’IA, d�s ses d�buts, s’est
attach�e � fournir des outils permettant d’identifier
les objets avec lesquels les animaux et les humains ont constamment affaire,
et que leur cerveau ne rencontre apparemment aucune difficult�
� traiter sans qu’ils en aient la moindre conscience. En
r�alit�, comme l’ont montr� les �tudes
neurologiques entreprises depuis Broca, c’est presque le cerveau
entier qui est mobilis� pour construire des repr�sentations
utilisables du monde � partir des informations �lectromagn�tiques
ou sonores per�ues par les sens. Des centaines d’aires diff�rentes
y contribuent. Beaucoup de processus de d�tail sont encore mal
explor�s.
D�s les origines de l’IA, on a voulu l’utiliser
pour �quiper des machines dot�es de dispositifs d’�mission
et de r�ception de signaux divers. On voulait les rendre capables
de performances voisines de celles des organismes vivants. Mais les difficult�s
ont �t� consid�rables. Non seulement il fallait trouver
des m�thodes adapt�es au traitement de signaux diff�rents,
mais il fallait r�soudre une bonne partie des probl�mes
logiques ou analogiques signal�s ci-dessus. Ainsi, dans la reconnaissance
de la parole, l’id�al serait un logiciel capable de reconna�tre
les paroles d'un locuteur quelconque. Mais ceci reste difficile, essentiellement
parce que la compr�hension d'un mot et � plus forte raison
d'une phrase requiert beaucoup d'informations extra-langagi�res
(le contexte, la connaissance du monde dans lequel vit le sujet, celle
de ses buts, etc.).
La reconnaissance de l'�criture s’est r�v�l�e
plus facile, sauf en ce qui concerne celle de l’�criture
manuscrite o� les variations dues � chaque � �crivain
� jettent des ambigu�t�s consid�rables sur les
concepts et les phrases utilis�es.
La reconnaissance des visages, sur photo puis d’apr�s
le mod�le vivant, est de plus en plus requise par les syst�mes
s�curitaires et plus g�n�ralement par les robots
qui doivent distinguer visuellement leurs interlocuteurs. Elle a longtemps
�t� consid�r�e comme quasi impossible. On
sait cependant que le cerveau des nourrissons sait le faire tr�s
facilement. Aujourd’hui cependant des logiciels tr�s performants
sont apparus dans les laboratoires et m�me dans les produits du
commerce.
Les actions en sortie, par exemple la synth�se
de la parole, pr�sentent moins de difficult�s, car en ce
cas le syst�me � sait � d�j� ce qu’il
veut signifier. C’est sur son interlocuteur humain que repose la
t�che de l’interpr�tation. Cependant l’IA, l�
encore, s’efforce de trouver les modes d’expression les moins
ambigus et les plus �conomiques au regard des ressources et du
temps.
L’apprentissage
On d�signe par ce terme banal la fa�on
dont un syst�me d’IA conjuguera les techniques �voqu�es
ci-dessus. Il devra, malgr� les diff�rences d’approche
de ces derni�res, se doter de repr�sentations du monde et
de lui-m�me conformes � ses buts (ou aux buts des humains
qui l’utilisent). L’apprentissage, en IA, se fait principalement
� l’usage. Un syst�me d’IA ne cherche pas �
se doter de toutes les informations que les techniques qu’il utilise
lui permettraient d’acqu�rir. Bien plus, comme le cerveau,
il doit imp�rativement d�sapprendre ce qu’il avait
appris auparavant et qui cesse de lui servir.
Outils de l’IA
Ces diff�rentes t�ches �num�r�es
ci-dessus font appel � de nombreux langages de programmation et
outils de g�nie logiciels d�velopp�s au fil des temps
pour les besoins de l’IA. Nous nous bornerons � signaler
trois d'entre eux, que nous ne d�crirons pas ici, renvoyant le
lecteur aux articles sp�cialis�s. Le premier, tr�s
utilis� d�s l’origine, fait appel aux r�seaux
de neurones formels. Les neurones formels simulent le fonctionnement des
neurones biologiques, de fa�on extr�mement simplifi�e.
Leur emploi se heurte vite � des limites, d�s qu’il
s’agit de traiter rapidement beaucoup d’informations.
Une autre m�thode, �galement tr�s
utilis�e, simule la comp�tition darwinienne entre les �tres
vivants. Mais cette comp�tition s’exerce � l’�gard
des programmes destin�s � produire les meilleures solutions
pour r�pondre � un probl�me donn�. Il s’agit
des algorithmes g�n�tiques de la programmation �volutionnaire
(ou evolving computing). Le but est d'obtenir une solution approch�e
� un probl�me d’optimisation, en un temps correct,
lorsque l’on ne conna�t pas de m�thode exacte pour
le r�soudre dans un d�lai raisonnable. Un g�n�rateur
produit une grande quantit� de programmes repr�sentant tous
des solutions diff�rentes (les p�res). On les met en comp�tition,
on retient les meilleurs (les enfants) et on recommence l’op�ration
sur cette seconde g�n�ration, puis aussi longtemps que n�cessaire.
On se rapproche ainsi par “bonds” successifs d'une solution
aussi bonne que possible, en un tr�s court temps. La puissance
de cette m�thode est consid�rable. Elle permet d’�conomiser
des milliers d’heures de programmes �crits � la main.
Plus les ordinateurs utilis�s pour r�aliser les s�lections
n�cessaires sont puissants, plus les d�lais sont courts.
La m�thode pourrait �tre employ�e par un syst�me
d’IA sans intervention d’humains, ouvrant ainsi la voie �
l’auto-d�veloppement et � l’auto-adaptation
aux contraintes externes.
Nous citerons enfin dans cette rubrique le concept de
syst�me massivement multi-agents (SMA). Il ne s’agit pas
� proprement parler d’une m�thode de production de
programmes, mais d’une fa�on de mod�liser des foules
compos�es d’unit�s ou agents susceptibles d’activit�s
autonomes (proactivit�). Objets de longue date de recherches en
IA distribu�e, des SMA constitu�s de milliers de petits
programmes disposant d’une certaine autonomie au sein d’une
fonction d�termin�e permettent de r�aliser des ensembles
complexes �volutionnaires � moindre frais en termes de programmation.
Le SMA �volue comme le fait une foule ou un organisme vivant. Il
s’agit donc d’une m�thode particuli�rement int�ressante
pour l’IA forte, que nous allons maintenant pr�senter.
L’IA forte
L’IA forte, dans son acception la plus ambitieuse,
vise � simuler les comportements d’un animal ou d’un
humain capable, non seulement d’intelligence, mais de conscience.
On parle aussi de cognition artificielle. L'IA forte ne se prononcera
pas sur les caract�res intrins�ques de l’intelligence
ou de la conscience chez l’homme. Ceci lui �vitera de s’engager
dans les discussions m�taphysiques que suscite in�vitablement
la question de la conscience humaine, sa nature mat�rielle ou spirituelle,
ses capacit�s d’appr�hender le monde.
L’IA forte se bornera � proposer un certain
nombre de crit�res par lesquels on pourra comparer un automate
dot� d’une conscience artificielle, c’est-�-dire
construite, et un humain ou un animal dot�s de conscience. Il s’agira
d’une nouvelle version du test dit de Turing. On sait que pour celui-ci,
si un ordinateur et un humain, cach�s par un rideau, r�pondent
de fa�on identique � un enqu�teur, il n’y aura
pas de raison de refuser au premier l’�quivalent de la conscience
reconnue au second. L� encore, on dira que � tout se passe
comme si � l’ordinateur �tait conscient.
Ceci pos�, il est �vident que l’IA
forte, m�me associ�e � la robotique, est encore loin
de permettre la r�alisation, voire seulement la conception, d’un
automate dot� d’une conscience artificielle. Certains chercheurs
�voquent des obstacles infranchissables dans cette voie. Mais peut-on
leur faire confiance�? De toute fa�on, les avanc�es
de la science, en ce domaine, sont rapides.
En principe, une des premi�res t�ches des
concepteurs de l’IA forte (que nous appellerons dor�navant
l’IA, sans adjectif) devrait �tre d’identifier les diff�rents
processus caract�risant le fonctionnement du cerveau biologique
et de mettre en place des assembl�es d’agents informatiques
capables d’accomplir des activit�s fonctionnellement voisines
de ces processus(1).
Les cerveaux, selon les psychologues et neurologues,
fonctionnent sur de multiples registres, � partir de l’activation
de multiples sites neuronaux charg�s de t�ches de d�tail.
En simplifiant beaucoup (il ne s’agit ici que de g�n�ralit�s
illustratives, � ne pas prendre au pied de la lettre), on dira
que le cerveau :
- re�oit, traite et conjugue les informations
re�ues des cinq sens ainsi que les informations dites proprioceptives
concernant la position du corps dans l’espace.
- �prouve des sensations de plaisir et de douleur
qui ont pour principale fonction de renforcer l’attrait des activit�s
utiles � la vie et de provoquer l’�vitement de celles
qui ne le sont pas.
- construit des repr�sentations internes de son
environnement.
- inversement construit des repr�sentations internes
d’une situation d�sir�e ou imagin�e
- se situe lui-m�me sous forme d’auto-repr�sentation
dans l’un et l’autre de ces th��tres.
- dispose de deux modes de fonctionnement, inconscient
et conscient. Les fonctions inconscientes sont pour l’essentiel
motivationnelles, poussant � agir vers des buts jug�s d�sirables,
soit par d�terminisme g�n�tique, soit par suite des
exp�riences r�ussies v�cues par le sujet. Mais les
fonctions inconscientes sont aussi en partie inhibitrices. Une �
censure � �loigne l’attention des activit�s
ou pens�es pouvant avoir des cons�quences dangereuses pour
le sujet. L� encore, ces inhibitions d�coulent soit de d�terminismes
g�n�tiques, soit d’exp�riences n�gatives
v�cues et m�moris�es par le sujet. On sait que les
animaux sont constamment bloqu�s dans leurs comportements exploratoires
par diverses inhibitions tr�s puissantes.
- dispose d’aptitudes exploratoires, sur le mode
essais et erreurs, qui sont � la base des comportements de recherche
ou heuristiques et de la reconfiguration permanente des contenus de m�moire.
- dispose d’une capacit� langagi�re
inn�e, qui se sp�cifie au cours de l’apprentissage.
Il en est de m�me de beaucoup des fonctions int�ressant l’esprit.
A partir de comp�tences inn�es, celles-ci se construisent
par apprentissage social en interaction avec le milieu.
- poss�de une m�moire � court terme
et une m�moire � long terme, dont les capacit�s et
les r�les sont diff�rents.
- est sensible, soit globalement, soit partiellement,
� des d�charges de m�diateurs chimiques suscit�es
par les �motions, qui modifient passag�rement ou durablement
ses �tats.
- est capable de b�tir avec ses semblables des
constructions sociales tr�s diverses, reposant tr�s largement
sur des concepts, images et autres informations partag�es. Celles-ci,
en interaction avec l’environnement, constituent des �coniches
culturelles ou � ph�notypes �tendus �, selon
le terme propos� par Richard Dawkins.
- au sein de ces �coniches, est capable d’entrer
en comp�tition darwinienne plus ou moins vive avec ses semblables.
Ces comp�titions sont � la base de l’�volution
des cultures et, sans doute aussi, par r�troaction, de l’�volution
des g�nomes propres � l’esp�ce.
Les cerveaux, comme d’ailleurs les individus auxquels
ils appartiennent, et comme en dernier ressort leurs productions intellectuelles,
sont uniques, � partir d’un mod�le d’ensemble
fix� par la g�n�tique. Autrement dit, aucun ne ressemble
compl�tement � un autre. Leur histoire biologique et �v�nementielle
les fa�onne chaque fois diff�remment. Ces diff�rences
s’expriment ou ne s’expriment pas selon les circonstances.
N�anmoins on peut parler d’un processus dit d’individuation
par lequel un individu sp�cifique se construit tout au long de
la vie. Ce processus est moins marqu� mais pr�sent �galement
chez les animaux.
A partir du catalogue ci-dessus, on peut concevoir que
le concepteur de l’IA simule un certain nombre de fonctions susceptibles
de provoquer chez un automate la naissance de comportements analogues
� ceux du cerveau animal ou humain. Il pourra aussi d�cider
de ne pas retenir certaines fonctions h�rit�es de l’�volution
humaine et susceptible de repr�senter un handicap pour l’entit�
artificielle consid�r�e. La simulation ne sera �videmment
pas oblig�e de retrouver les sensations subjectives, en fait incommunicables,
ressenties par un �tre humain. Ainsi la douleur ou le plaisir, indispensables
pour renforcer ou �viter certains stimuli chez le vivant, seront
programm�s sous forme d’instructions informatiques.
Ajoutons que la simulation ne se fera pas au niveau de
l’entit� globale, mais au niveau de chacun des sous-niveaux
ou agents responsables de chacune des grandes t�ches �num�r�es
ci-dessus. Cette sp�cialisation correspondra � ce qui se
produit r�ellement dans le cerveau biologique, au moins dans les
phases de traitement ant�rieures � la prise de d�cision
globale r�alis�es dans le cortex associatif. On commencera
ainsi par r�aliser les modules correspondant � la reconnaissance
des formes. Ils seront mis ensuite en interaction avec les autres modules,
chacun d’eux, dans le cours de la vie de l’entit�,
pouvant r�agir et modifier les autres dans le cadre d’une
individuation de plus en plus complexe.
Ce sera en fait l’interaction des divers modules
fonctionnels entre eux et avec l’environnement qui permettra de
compl�ter les fonctions de d�tail et de les rendre op�rants
au niveau de l’organisme final. On retrouvera ainsi la m�thode
suivie par les constructeurs des robots �volutionnaires modernes
: conjuguer l’approche top-down d�finie par les sp�cifications
initiales et l’approche bottom-up r�sultant de l’interaction
des diff�rents composants dans le cadre d’un environnement
non d�fini � l’avance. Il en r�sulte que le
produit final ne pourra pas et ne devra pas �tre totalement conforme
aux sp�cifications de d�part. L’objectif ne sera pas
de cr�er des clones, mais des sujets susceptibles d’interagir
� partir de leurs diff�rences, m�canisme indispensable
permettant de g�n�rer de la diversit� (dit aussi
en anglais, sous forme de clin d’œil aux religions, GOD ou
Generator of Diversity) dans le processus de cr�ation de lign�es
de robots. Sans cette diversit�, correspondant en biologie aux
produits des mutations g�n�tiques, il n’y aurait pas
de comp�tition et par cons�quent pas d’�volution
adaptative.
Par ailleurs, plus imm�diatement, les processus
bottom-up faisant �merger de la complexit� � partir
de l’interaction d’�l�ments simples �viteront
aux r�alisateurs de nombreuses heures de travail. Une partie des
instructions n�cessaires seront g�n�r�es par
le syst�me lui-m�me, du fait de l’interaction de ses
divers composants et de ses interactions avec son milieu, notamment l’humain.
On sait qu’en robotique, Rodney Brooks a b�ti une v�ritable
success story en s’affranchissant ainsi des contraintes de la programmation
top-down dans lesquelles s’�tait enferm�s, par exemple,
les concepteurs du premier chien robot Aibo de Sony.
Ceci, on le voit, nous conduit irr�sistiblement
� consid�rer que la construction d’une IA forte supposera
l’existence d’un corps robotique physique. On peut cependant,
comme nous l’avons dit, commencer la r�alisation d’une
IA forte en travaillant sur la base d’un corps simul� au
sein d’un syst�me informatique ou d’un r�seau.
Ceci pos�, revenons � ce que devrait �tre
- ou pourrait �tre - une IA visant � simuler
la conscience dans un organisme artificiel. On se limitera, sur ce sujet
difficile, � des propositions tr�s simplifi�es.
Au d�part, l’IA se construira essentiellement
par auto-apprentissage � partir d’une base simul�e.
Il faudra donc disposer d’un programme g�n�rateur.
Ce programme devra �tre capable de g�n�rer les autres
formes d’IA. Selon Serge Boisse, pr�cit�, on pourra
cr�er un certain nombre de “bo�tes” virtuelles
ou programmatiques, correspondant aux diff�rents niveaux du fonctionnement
de l’esprit : modalit�s sensorielles, concepts, pens�es,
d�lib�ration, buts et conscience globale. D’autres
bo�tes seront charg�es de la r�gulation de l’ensemble.
Chacune des bo�tes poss�dera des entr�es, des sorties
et des fonctions bien d�finies. Il faudra les concevoir comme des
� r�solveurs de probl�mes �, le probl�me
g�n�ral consistant � calculer les sorties en fonction
des entr�es.
On pourra les d�composer � leur tour en
sous-syst�mes capables de traiter des probl�mes particuliers.
Chacun de ces sous-syst�mes sera � son tour d�compos�,
ceci aussi loin que n�cessaire. On arrivera aux syst�mes
du niveau le plus bas, correspondant � des agents informatiques
dans un syst�me massivement multi-agents. Chacun de ces sous-sous-syst�mes
pourra utiliser des heuristiques propres pour r�soudre ses probl�mes,
en choisissant librement diverses strat�gies : ne rien faire, se
modifier al�atoirement, imiter un autre, d�l�guer
la t�che � un autre, r�p�ter, faire appel �
des donn�es en m�moire, g�rer et tester les solutions,
etc.
Cette derni�re fonction, g�rer et tester
des solutions, para�t �tre, selon les travaux les plus r�cents
des neuroscientifiques, la fa�on dont proc�dent les diff�rentes
cellules fonctionnelles ou agents du cerveau. Ainsi, confront�
� une entr�e d’informations provenant de la r�tine,
le syst�me visuel recherche en m�moire une sc�ne
(en 3D) correspondant grossi�rement � ce qui est per�u.
Il en fait une � hypoth�se � qu’il confronte
� la sc�ne vue. Apr�s diff�rentes am�liorations
permettant d’am�liorer � la fois la pr�cision
de la r�ception et celle de la repr�sentation, il retient
pour s’en servir la sc�ne offrant la plus grande probabilit�
d’�tre aussi proche que possible de la sc�ne visualis�e
(l’exp�rience) et de la sc�ne ant�rieurement
m�moris�e (l’hypoth�se interpr�tative).
Il s’agit d’un aspect du fonctionnement bay�sien
qui pourrait �tre le mode de fonctionnement standard du cerveau
biologique. Les processus bay�siens peuvent facilement �tre
utilis�s par l’IA. Ils sont aujourd’hui largement utilis�s,
comme le montrent les travaux de la math�maticienne informaticienne
am�ricaine Daphne Koller(2) .
La programmation d�taill�e et compl�te
de tout ceci serait une t�che impossible. Mais avec un g�n�rateur,
lui-m�me travaillant �ventuellement en interaction avec d’autres
g�n�rateurs appartenant � d’autres syst�mes
en comp�tition darwinienne avec le premier, il ne sera pas n�cessaire
d’impl�menter toutes les fonctions. Le g�n�rateur
codera de lui-m�me les fonctions qui lui manquent. Elles pourraient
�tre s�lectionn�es en fonction de leur comp�titivit�
darwinienne, par la technique des algorithmes g�n�tiques.
A partir de l�, l’�volution devrait
s’acc�l�rer. Apr�s plusieurs tours d’auto-perfectionnement,
la jeune IA pourrait atteindre assez vite, selon Eliezer Yudkowski(3)
une compr�hension du monde analogue � celle d’un enfant
de 6 ans. Quelques mois plus tard elle serait celle d’un adulte
et quelques heures plus tard, elle serait devenue la v�ritable
premi�re super-intelligence. C’est alors qu’il faudra
se poser la question de sa contr�labilit� �ventuelle
par les humains.
La solution pr�sent�e ici n’est qu’une
des voies possibles. D’autres sont en cours d’�tude
et m�me de d�veloppement. L’IA y est associ�e
ou non avec la robotique, mais de toutes fa�ons un consid�rable
travail de programmation et d’auto-programmation appara�t
n�cessaire pour r�aliser des machines capables de g�n�rer
de la pens�e voire l’�quivalent de pens�es
conscientes. Citons � cet �gard le projet pr�sent�
par le professeur Alain Cardon, avec lequel nous avons collabor�
� diverses occasions. Il a d�j� �crit un nombre
consid�rable d’instructions. Malheureusement, il n’a
pas encore pu obtenir les quelques cr�dits qui lui seraient n�cessaires
pour d�velopper son programme(4)
.
Les sceptiques objecteront qu’aucune de ces id�es,
� part peut-�tre celles de Jacques Pitrat pr�cit�
n’a encore abouti en France � des produits vraiment indiscutables.
Cela ne doit pas nous emp�cher de les prendre au s�rieux.
Il est � peu pr�s certain qu’ailleurs dans le monde,
notamment aux Etats-Unis, dans les laboratoires travaillant pour le d�fense
et financ�s par la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency),
des projets beaucoup plus avanc�s sont en cours d’aboutissement.
Mais ils restent couverts par le secret-d�fense. Il est dommage
que dans notre pays, comme plus g�n�ralement en Europe,
les pouvoirs publics, de qui d�pendraient in�vitablement
les d�cisions, ne jugent pas utile de d�gager les quelques
millions d’euros n�cessaires pour obtenir une � super-IA
� repr�sentant un atout de comp�tition consid�rable.
2. La robotique
La prochaine d�cennie verra, sauf catastrophes
malheureusement de plus en plus pr�visibles, se multiplier les
produits et services s’appuyant sur les sciences et technologies
de la robotique. L’explosion de ces nouveaux outils et des comportements
induits justifiera les arguments de ceux pour qui l’humain tel que
connu traditionnellement serait en train de laisser place � une
ou plusieurs civilisations technologiques dont les contours, bien qu’encore
difficilement discernables, provoqueront plus de peurs que d’enthousiasmes.
Sans nous prononcer ici sur la question d�licate
de savoir o� dans ces perspectives s’arr�terait l’humain
et o� commencerait un �ventuel posthumain, nous pouvons
donner quelques pr�cisions relatives aux nouveaux domaines ouverts
par l’�volution des principales de ces sciences et technologies,
ainsi qu’� certaines de leurs cons�quences pr�visibles.
Il convient de rappeler d’embl�e que les techniques �voqu�es
ici seront (malheureusement) d�di�es dans leur grande majorit�
� des applications militaires et de police, du fait que leur financement
sera pour l’essentiel pris en charge par des agences de d�fense
et de s�curit�. Ceci signifie que le monde de demain sera
d�fini par les id�es que s’en font les militaires.
La g�n�ralisation des produits en d�coulant pourrait
provoquer soit des conflits g�n�ralis�s soit plus
imm�diatement des soci�t�s hyper-contr�l�es.
Nous ne disons pas que les recherches militaires sont
inutiles, surtout si elles sont entreprises par des pays qui veulent �chapper
� la domination des grands empires, Etats-Unis et Chine, notamment,
ou � celle d’�ventuels Etats dits � terroristes
�. Mais il vaudrait mieux se placer dans une perspective plus optimiste,
celle qualifi�e par certains prospectivistes de Singularit�
o� la multiplication de nouvelles ressources permettrait de r�pondre
aux principales exigences de survie des humains et des �cosyst�mes.
Dans ce cas, les recherches civiles seraient indispensables. Nous envisageons
l� non seulement des recherches conduites par des entreprises priv�es
qui en conserveraient le monopole, mais des recherches que l’on
pourrait continuer � dire publiques et mieux encore � citoyennes
�, bien que le terme soit malheureusement de plus en plus vid�
de son sens.
Il para�t �vident que, pour ne pas ajouter
aux in�galit�s qui s�parent d�j� les
humains entre ceux qui d�tiennent des savoirs scientifiques et
les autres, les solutions de d�veloppement reposant sur les principes
de l’Open Source ou Syst�mes ouverts du Web devraient se
r�pandre sur le mode darwinien, en exploitant des cr�neaux
d’opportunit�s ouverts par l’�volution. Leurs
promoteurs s’inspireront notamment des principes mis en œuvre
pour la r�alisation du syst�me d’exploitation Linux
et des programmes compatibles : � partir de sp�cifications
ouvertes, librement publi�es, non brevet�es, des collectivit�s
d’utilisateurs-d�veloppeurs en r�seau produisent en
permanence de nouvelles versions, en s’engageant � ne pas
en faire des syst�mes ferm�s mais au contraire �
les mettre � la disposition de tous. Des proc�dures dites
� �thiques � visant notamment � �viter
les usages malveillants ou criminels sont cependant n�cessaires.
Le mouvement Open Source s’essouffle un peu aujourd’hui
parce qu’il est rest� trop limit� aux programmes d’ordinateurs.
L’arriv�e de l’IA forte et de la robotique autonome
devrait lui donner un nouvel �lan. Rappelons que l’acquisition
d’un robot de travail, dit aussi plate-forme robotique, sur lequel
de tr�s nombreux programmes peuvent �tre impl�ment�s,
est d�sormais � la port�e de tout citoyen capable
d’acqu�rir une automobile. Il serait donc tout � fait
possible de construire des robots tr�s sophistiqu�s par
l’association de centaines de d�veloppeurs � temps
tr�s partiel, acceptant les contraintes du travail coop�ratif
en r�seau.
G�n�ralit�s sur la robotique
Un robot type comprend, comme tout organisme biologique,
un corps et un syst�me nerveux lui-m�me dot� d’un
cerveau.
Le corps
Le corps du robot est s�par� du monde ext�rieur
par une enveloppe ou fronti�re. Il interagit avec ce monde gr�ce
� des capteurs sensoriels et � des organes d’actuateurs
ou effecteurs permettant le d�placement, la saisie des objets ext�rieurs,
l’�mission de messages pouvant servir � la communication.
En principe, le syst�me d�crit ici peut
�tre adapt� � n’importe quelle plate-forme robotique
moderne r�pondant des besoins d’application tr�s divers.
Ces plates-formes comportent toutes un ou plusieurs � corps �
�lectro-m�caniques dot�s de capteurs et d’effecteurs.
Les capteurs, qui peuvent �tre tr�s sophistiqu�s,
correspondent aux organes des sens chez l’organisme vivant. Les
actuateurs correspondent aux membres, bras, mains, jambes, de l’organisme
vivant. Selon les usages recherch�s, l’ensemble pourra prendre
la forme d’un v�hicule terrestre, a�rien ou marin.
Il pourra aussi s’agir de robots � forme humaine ou animale.
Mais le robot pourra �tre enti�rement virtuel, c’est-�-dire
s’incarner dans des jeux d’instructions implant�es
dans des r�seaux d’information. Lorsque le robot dispose
de plusieurs corps r�partis dans l’espace, ceux-ci peuvent
ou non travailler de fa�on coordonn�e, comme certains animaux
op�rant en meute.
Les capteurs et effecteurs du robot ne sont pas limit�s
comme ceux des organismes biologiques. Ils peuvent b�n�ficier
de tous les progr�s technologiques marquant par ailleurs l’instrumentation
scientifique. Ainsi les robots peuvent � voir � le monde bien
mieux que nous. Ils re�oivent les �missions lumineuses ou
radio dans les bandes de fr�quences que les organismes vivants
n’ont jamais utilis�es parce que l’�volution
darwinienne ne les avait pas orient�s en ce sens. Les robots embarqu�s
sur des satellites peuvent �galement, on le sait, s’affranchir
des limitations impos�es par l’atmosph�re et par les
radiations terrestres. Un robot peut par ailleurs �tre connect�
au Web en permanence. Ainsi, simplement en explorant quasi en temps r�el
les moteurs de recherche � base de textes et d’images, il
pourra se comporter en interlocuteur redoutable dans les d�bats
acad�miques ou les conversations de salon. Les ignorants objecteront
qu’il ne pourra pas pour autant �mettre d’id�es
originales, mais les ignorants, comme nous le verrons, se tromperont lourdement
en ce domaine.
Le corps du robot, par ailleurs, n’est pas limit�
comme celui des organismes vivants par des barri�res anatomiques
infranchissables. Il peut prendre toutes les formes imaginables, celles
du moins que la technique du moment lui permettent d’explorer. Ce
polymorphisme fait d�j� et fera de plus en plus que les
robots seront pr�sents partout et dans toutes les applications
civiles et militaires. Inutile de d�tailler ici ce point. Disons
seulement que des microrobots de la taille d’un insecte, voire d’une
taille inf�rieure, existent d�j�. Ces robots pourront
se regrouper, comme les insectes sociaux, en essaims qui constitueront
de nouveaux syst�mes robotiques de grande taille. Tr�s diff�rents,
au moins � anatomiquement �, les robots compos�s d’instructions
ou agents informatiques, d�ploy�s sur les r�seaux
num�riques et donc invisibles aux regards, d�terminent en
grande partie ce que l’on peut appeler la police et la r�gulation
du Web, voulue par certains pouvoirs ou se mettant en place spontan�ment.
Les robots les plus impressionnants sont les robots humano�des,
avec lesquels se multiplieront les communications reposant sur l’empathie.
Les robots de compagnie, tr�s nombreux au Japon pour le soin aux
personnes, exploitent ces capacit�s. Les robots combattants surarm�s
d�velopp�s par les agences de d�fense, telles la
Darpa aux Etats-Unis, pr�sentent un aspect bien moins sympathique.
Il en est de m�me des v�hicules militaires enti�rement
robotis�s, sur le mod�le des drones a�riens et terrestres
sans pilote.
Dans un autre registre, on conna�t les robots animalo�des,
capables d’interagir efficacement avec les animaux et avec les humains.
Il est possible �galement de consid�rer les grandes machines,
comme l’actuelle station spatiale internationale IST, bourr�e
de microrobots, comme de vastes robots � elles seules. On sait
que r�cemment l’arrimage � l’IST du cargo ravitailleur
europ�en Automatic Transfer Vehicle ATV s’est fait enti�rement
sous robotique, pr�figurant les prochaines explorations robotis�es
de la Lune et de Mars. Enfin, les usines du futur, elles aussi enti�rement
robotis�es, mais sur le mod�le de la gestion intelligente
des ressources, remplaceront rapidement, dans certains pays, les cha�nes
de production conservant quelques travailleurs ou contrema�tres
humains.
Le cerveau
Le cerveau artificiel du robot et plus g�n�ralement
son syst�me nerveux font partie de son corps, �videmment,
mais vu leurs r�les sp�cifiques dans la ma�trise coordonn�e
du syst�me et dans la prise de conscience qu’il aura de lui-m�me,
il convient de les traiter � part. Le corps robotique, quelle que
soit sa sophistication technologique, tire ses qualit�s de la puissance
de son unit� centrale de commande, organe correspondant au cerveau
des vert�br�s. Le cerveau artificiel impl�mente des
IA plus ou moins performantes, du mod�le de celles d�crites
ci-dessus. L’unit� centrale est g�n�ralement
constitu�e d’un ou plusieurs ordinateurs, les plus gros ne
d�passant pas la taille d’un PC du commerce actuel. Ils seront
de plus en plus r�partis et travaillant en r�seau �
l’int�rieur du corps, unique ou lui-m�me r�parti,
du robot. La miniaturisation et l’augmentation de puissance continuelle
des composants �lectroniques laissent entrevoir le temps o�
des robots peu co�teux seront dot�s d’autant de neurones
artificiels que les cerveaux animaux sont dot�s de neurones biologiques.
Mais ils ne seront pas intelligents pour autant, si des IA performantes
ne se d�veloppent pas sur ces r�seaux physiques. Ces IA
ne seront �videmment pas, sauf exceptions, constitu�es de
programmes �crits � l’avance. Elles seront acquises
par le robot (ou plus pr�cis�ment par des robots travaillant
en groupe) sur le mode de l’auto-g�n�ration, comme
nous le pr�cisons ci-dessous.
L’acquisition des comp�tences cognitives
Il s’agit d’une pr�cision importante,
que beaucoup de ceux qui discutent de la robotique n’ont pas encore
assimil�e. Il faut absolument distinguer entre les robots enti�rement
pr�-programm�s et donc asservis � leurs concepteurs
humains, et les robots dits autonomes ou �volutionnaires, capables
de se comporter et se complexifier en partie par auto-programmation, selon
les processus d’auto-g�n�ration caract�risant
l’IA forte discut�e pr�c�demment. N’en
d�plaise aux craintifs, les robots enti�rement programm�s
et donc asservis seront de moins en moins nombreux, car leur co�t
est devenu prohibitif, aussi bien en �criture initiale qu’en
maintenance. On ne les conservera que dans les machines ne tol�rant
qu’une infime marge d’erreur. Mais, m�me en ce cas,
les bugs in�vitables en informatique et l’impossibilit�
factuelle d’en d�tecter rapidement la cause prohiberont vite
de telles solutions. Partout, l’auto-diagnostic, l’auto-maintenance
et l’auto-d�veloppement se g�n�raliseront.
Cependant, il y aura plusieurs types de robots �volutionnaires.
Les premiers et les plus r�pandus seront ceux dont les capacit�s
d’�volution seront � contraintes � d�s
la conception initiale par des limites fix�es � l’avance.
Les humains accepteront que leurs esclaves robotiques disposent d’une
certaine libert�, mais ils ne voudront pas en donner trop. A l’inverse,
dans les laboratoires ou dans les entreprises privil�giant l’innovation,
le bouleversement des id�es re�ues, une autonomie aussi
compl�te que possible sera consid�r�e comme une qualit�
� rechercher, voire � privil�gier. De tels robots
pr�senteront certes des risques potentiels, mais c’est le
propre de toute technologie r�ellement innovante. Pour nous, il
serait aussi aberrant de refuser l’autonomie aux robots du futur
que de refuser de communiquer avec des extraterrestres, si certains d’entre
eux nous faisaient la gr�ce de nous visiter.
Ainsi, le robot autonome d’aujourd’hui, f�t-il
tr�s limit� en autonomie, utilisera des solutions d’IA
incorpor�es (r�seaux de neurones formels ou syst�me
massivement multi-agents) pour construire par apprentissage des associations
stables entre les informations recueillies en entr�e � partir
des organes sensoriels et effecteurs. Ces informations, convenablement
corr�l�es en fonction des retours d’exp�rience,
construiront dans le cerveau du robot de v�ritables univers. Ils
comporteront des d�tails indispensables � sa survie, aussi
bien triviaux (par exemple la repr�sentation d’un pied de
table) que subtils et peu observables par l’homme (la lecture et
l’interpr�tation d’une �motion passag�re
sur le visage d’un humain). Comme �voqu� ci-dessus,
les robots autonomes de l’avenir pr�senteront le grand int�r�t
de se doter de repr�sentations du monde dont les humains n’auraient
pas eu l’id�e et qui pourront �tre tr�s utiles
� ces m�mes humains, comme le seraient les repr�sentations
du monde pr�sent�es par les extraterrestres pr�cit�s.
Les robots autonomes ne se limitent pas � construire
des images du monde. Ils formulent des hypoth�ses sur ce monde,
ou pr�visions hypoth�tiques, s’appuyant sur les repr�sentations
qu’ils en ont. Ils les testent ensuite en utilisant leurs organes
sensoriels et effecteurs. Ainsi un robot s’avancera jusqu’�
l’objet ext�rieur figur� dans son cerveau par les
photons �mis par le pied de table. Il v�rifiera, dans le
monde r�el, l’influence de cet objet sur sa progression.
Autrement dit, il fera la pr�diction (ou l’hypoth�se)
que cet objet n’est pas un obstacle capable de l’arr�ter
(ou l’hypoth�se contraire). Au cas o� le pied de table
se serait r�v�l� un obstacle bloquant, l’information
correspondante sera m�moris�e et de tels obstacles seront
� l’avenir contourn�s. Si par contre, les obstacles
visualis�s et exp�riment�s se r�v�lent
faciles � d�placer, le robot n’en tiendra pas compte.
Par essais et erreurs se construira donc dans le cerveau du robot un ensemble
de repr�sentations du monde ext�rieur, ou cartographie,
de plus en compl�te. Le contenu de cette cartographie repr�sentera
pour le robot la � v�rit� � du monde, d�fini
par les � lois � exprimant les relations entre les entit�s
de ce monde, inconnaissable en soi, et leurs interactions avec les organes
du robot. Si ces lois expriment des constantes souvent rencontr�es,
elles constitueront progressivement le corpus de r�f�rences
� scientifiques � sur lequel s’appuiera le robot pour
distinguer entre les bonnes et mauvaises hypoth�ses, appr�ci�es
au regard de ses chances de fonctionnement efficace sinon de survie.
Tout ceci para�tra trivial. Le moindre animal dot�
d’un rudiment de syst�me sensori-moteur fait de m�me.
Pour les robots, il s’agit pourtant d’une v�ritable
nouvelle dimension que les plus sophistiqu�s d’entre eux
sont en train d’acqu�rir, sous l’impulsion d’humains
qui font confiance � cette approche(5).
Ces derniers sont encore rares. Ceci parce que, r�p�tons-le,
les concepteurs des robots n’aiment pas conc�der trop de
libert� � leurs esclaves. L’exploration de Mars par
les robots am�ricains Spirit et Opportunity, aux r�sultats
par ailleurs remarquables, s’est faite sous un contr�le permanent
de la Terre. Comme les communications mettent plusieurs dizaines de minutes
pour parcourir la distance entre celle-ci et Mars, on ne pouvait pas attendre
des � rovers � beaucoup de r�activit�. La crainte
de voir des engins co�teux �chapper � leurs contr�leurs
terrestres �tait � l’�poque trop grande. Mais
la confiance grandissante mise dans la fiabilit� des capacit�s
d’auto-gestion des futurs orbiteurs, atterrisseurs et robots d’exploration
fait qu’aujourd’hui les nouvelles g�n�rations
de tels engins sont con�ues comme comportant des syst�mes
robotiques autonomes. Le contr�leur � terre ne reprendra
la main qu’en cas de difficult�s inattendues.
Les cerveaux des robots autonomes de demain seront-ils
capables d’inventer v�ritablement�? Techniquement, la
r�ponse sera affirmative. Les bases de connaissances dont se sera
dot� le robot permettront de susciter de nouvelles explorations
par essais et erreurs g�n�r�es non seulement par
le fonctionnement al�atoire du corps, si celui-ci fait partie des
sp�cifications fonctionnelles du robot, mais par un m�canisme
d’induction qu’il est facile d’organiser � l’avance
et qui pourra se g�n�raliser spontan�ment au sein
du robot en cas de succ�s. Le robot, autrement dit, formulera des
hypoth�ses s’appuyant sur ses bases de connaissance, les
soumettra � des tests pratiques et les modifiera en fonction des
retours d’exp�rience. En cas de succ�s, on pourra
parler de v�ritables inventions(6).
Mais pourquoi, dira-t-on, le ferait-il ? De telles d�marches sont
n�cessairement co�teuses en temps et �nergie. Darwin
nous donnerait la r�ponse � cette question, qu’il
s’�tait pos�e � propos des animaux. Le robot
n’innovera pas parce qu’il sera programm� �
l’avance pour le faire. L’innovation, l’heuristique,
ne se programment pas. Il n’innovera (et ne se transformera en cons�quence)
que si la concurrence avec d’autres entit�s lui disputant
l’acc�s aux ressources dont il se nourrit l’oblige
� le faire. Mais comment cette concurrence peut-elle s’organiser�?
Les roboticiens intelligents �tant tous darwiniens,
ils ont commenc� � comprendre que la capacit� d’acquisition
de connaissances propre � un robot isol� sera bien moindre
que celle obtenue par une soci�t� de robots interagissant
ensemble. Les conditions les plus favorables � l’innovation
na�tront des pressions de s�lection s’exer�ant
au sein de cette soci�t�, par exemple � l’occasion
d’une concurrence pour l’acc�s � des ressources
rares. La premi�re des innovations qu’acqui�rent des
robots sociaux se traduit par une amorce de conscience de soi. Les �tudes
sur l’acquisition de la conscience de soi par les robots montrent
comment progressivement un robot portant son attention sur un homologue
avec lequel il interagit apprend progressivement la logique du comportement
de celui-ci (th�orie de l’esprit) puis l’applique �
lui-m�me en apprenant � s’observer lui aussi de l’ext�rieur.
Apr�s la conscience de soi vient le langage. Si
ces robots sont plac�s dans un environnement s�lectif leur
imposant de coop�rer pour survivre, ils utiliseront leurs organes
d’entr�e/sortie pour �laborer des messages leur servant
� �changer des informations (par exemple, � alerte,
voici un robot pr�dateur �). Ces �changes se simplifieront
et se normaliseront � l’usage, ce qui donnera naissance �
un proto langage commun, constitu� de concepts et de syntaxes.
D�s qu’ils auront acquis ce langage, ils
l’utiliseront pour �changer et normaliser, toujours sur le
mode darwinien, leurs contenus de connaissances individuels. Une base
de connaissance collective � robotique � (c’est-�-dire
n’ayant en premier ressort d’int�r�t que pour
faciliter leur propre adaptation) sera progressivement �labor�e.
Les robots feront appel � elle quand leurs connaissances personnelles
se r�v�leront insuffisantes. D�velopp�es et
confirm�es par des essais et erreurs collectifs, ces bases �quivaudront
aux connaissances, empiriques puis scientifiques, accumul�es par
les humains. Tout ceci est amplement d�montr� par divers
programmes de recherche, dont le programme europ�en ECAgents, auquel
nous conseillons vivement � nos lecteurs de se reporter(7)
.
Rien n’emp�cherait �videmment les
humains d’utiliser ces bases de connaissances pour enrichir les
leurs propres, voire de s’inspirer des processus d’acquisition
des connaissances mis en œuvre par les robots (surtout s’ils
sont dot�s d’organes sensoriels et effecteurs particuli�rement
sophistiqu�s) pour am�liorer les leurs.
Les processus d�crits ci-dessus peuvent se d�rouler
sans que les robots individuels ne d�veloppent une conscience sup�rieure
analogue � celle des humains. Leur conscience pourra se limiter
� ce que l’on nomme la conscience primaire chez l’animal.
Ceci �tant, la conscience de soi ou conscience sup�rieure
artificielle offrira aux robots des avantages suppl�mentaires.
Ce seront en principe les m�mes que ceux de la conscience humaine
: proposer une vision globale du monde, incluant le sujet, g�n�ratrice
d’une meilleure adaptation. Il n’existe pas � notre
connaissance de trace de conscience de soi sup�rieure chez les
robots actuels. Un certain nombre de projets visent � obtenir ce
r�sultat, dont la port�e pratique, mais aussi l’importance
scientifique et philosophique, seront consid�rables(8)
.
La conscience de soi sera progressivement acquise par
l’interm�diaire de capteurs dirig�s vers l’int�rieur
du syst�me, qui en dresseront en permanence l’�tat.
Cet �tat, d�s son �laboration, modifiera par feed-back
le comportement des unit�s d’entr�es et de sorties
interagissant avec le monde. Ces nouvelles interactions g�n�reront
� leur tour un nouvel �tat global du syst�me lequel,
observ�, modifiera � nouveaux les processus d’entr�e-sortie,
ceci � l’infini.
Cependant, il ne faut pas anticiper. Nous pensons que
l’�volution vers des consciences artificielles est hautement
probable. Mais pour le moment, si les robots �volutionnaires sont
capables d’une certaine autonomie, par rapport aux instructions
pr�c�demment charg�es dans leur m�moire ou,
pour ce qui concerne les robots spatiaux, aux ordres envoy�s par
la station de contr�le, ils ne sont pas capables d’inventer
v�ritablement des performances analogues � celles des �tres
humains, dans le domaine de l’adaptation rapide aux changements
et de la r�solution de probl�mes. A plus forte raison ils
ne sont pas capables d’inventer des comportements nouveaux, cr�er
des outils et moins encore d’�prouver des affects. D’une
fa�on g�n�rale, on dira qu’ils ne sont pas
capables de penser. Leurs performances, bien que d�j� tr�s
remarquables, n’atteignent m�me pas celle des animaux de laboratoire,
tels le rat ou la souris.
Pour les usages commerciaux ou militaires les plus courants,
ces performances sont g�n�ralement consid�r�es
comme suffisantes. Or nous l’avons dit, les concepteurs de robots
veulent depuis d�j� quelques ann�es obtenir des syst�mes
capables de se comporter v�ritablement � comme s’ils
� �taient des hommes. Les concepteurs de robots domestiques
ou de compagnie, principalement japonais, visent � produire des
syst�mes capables de remplacer en tous points les aides-soignants
ou les auxiliaires domestiques. Les concepteurs de robots pour l’exploration
spatiale ou les applications militaires, g�n�ralement am�ricains,
visent � obtenir des syst�mes aussi performants, sinon davantage,
que des astronautes ou des combattants humains.
Les machines pensantes
Dans ce but, certains projets �tudient la r�alisation
des syst�mes dits cognitifs (cognitive systems), selon la terminologie
am�ricaine. Nous avons �voqu� ce concept dans les
chapitres pr�c�dents consacr�s � l’�volution
des syst�mes anthropotechniques. Ici il s’agit de r�aliser
sur les m�mes bases des prototypes de laboratoire op�rationnels.
Un syst�me cognitif robotique doit pouvoir disposer de v�ritables
�tats de conscience simul�s, et g�n�rer l’�quivalent
de faits ou contenus de conscience. Mais ces recherches sont couvertes
par le secret commercial ou de d�fense. L’Europe n’en
aura connaissance que lorsqu’ils seront d�velopp�s
et propos�s � la vente sous la protection de brevets les
rendant incopiables.
S’engager dans la r�alisation effective
d’une v�ritable machine pensante repr�sentera une
v�ritable recherche du Graal pour notre civilisation. Pour la premi�re
fois, apr�s les r�ves des magiciens et les visions des auteurs
de science-fiction, on entreprendra de rapprocher ce qui, jusqu’ici,
est encore consid�r� comme inconciliable : l’homme
qui pour beaucoup de philosophes ou de croyants doit conserver le monopole
de la pens�e consciente, et la machine, f�t-elle un automate
perfectionn�, qui ne peut pas et ne doit pas penser.
La porte sera alors ouverte, diront les adversaires d’une
telle d�marche, non seulement � des machines qui rivaliseront
avec des hommes, mais � une science qui d�veloppera des
formes de vie artificielle capables de se retourner contre les humains
ou contre l’environnement biologique actuel. Dans la mesure o�
les syst�mes ainsi r�alis�s tiendraient leurs promesses,
il n’y a pas en effet de raison a priori de penser qu’ils
accepteront de rester asservis aux humains qui les auront con�us.
Les concepteurs pourront certes pr�voir des dispositifs permettant
de d�sactiver ou neutraliser des entit�s artificielles devenues
hostiles, mais par d�finition, si ces entit�s sont aussi
intelligentes et capables d’�volution que les cahiers des
charges l’auront pr�vu, elles seront capables de r�activer
les d�sactivations, c’est-�-dire �chapper aux
contr�les.
Un autre risque, plus imm�diat, est qu’elles
soient utilis�es par des groupes humains les mettant au service
de politiques de conqu�te et d’asservissement visant d’autres
humains. C’est d�j� ce qui se fait avec des robots
infiniment moins complexes que ceux propos�s ici. Ils sont utilis�s,
notamment sur le Web et dans divers logiciels informatiques, par des militaires,
des policiers, des entreprises de communication et bien d’autres
int�r�ts �conomiques et politiques pour mettre en
condition les esprits et les comportements des citoyens ordinaires. Nous
sommes d�j�, comme on peut le montrer facilement, soumis
� des contr�les et des stimuli qui font de nous, au moins
partiellement, les esclaves de forces que nous ignorons. L’alliance
de ces forces avec des robots capables de penser ferait de nos soci�t�s
de v�ritables bagnes.
Ceci dit, ces risques n’arr�teront pas les
recherches, pour une raison simple : aucun principe de pr�caution,
aucun moratoire n’emp�chera que de tels syst�mes ne
se fassent, d�s lors qu’ils seront technologiquement possibles
et que des humains auront, quelque part dans le monde, compris l’int�r�t
qu’ils auraient � les d�velopper. Telle est la logique
des syst�mes anthopotechniques �tudi�s dans cet essai.
On verra peut-�tre alors appara�tre, en parall�le,
la solution la plus r�aliste et la plus d�mocratique possible
: entreprendre pour le compte d’une d�marche associative
ouverte au plus grand nombre ce que d’autres font d�j�
ou feront dans le secret. Ainsi les citoyens ordinaires et leurs repr�sentants
pourront, esp�rons-le, mieux comprendre les enjeux et les ma�triser
pour le b�n�fice du plus grand nombre.
Nous avons montr� � propos de l’IA
forte que ces perspectives sont techniquement tr�s envisageables
aujourd’hui. Manque la conviction politique relative � la
n�cessit� urgente de les concr�tiser.
Avenir de la robotique
La plupart des auteurs s�rieux qui �tudient
les perspectives de la robotique confirment que celle-ci prendra une place
de plus en plus grande dans nos soci�t�s, quelles que soient
les contraintes �conomiques et sociales du prochain demi-si�cle.
Il est tr�s probable que l’on verra les robots remplacer
aussi bien les machines actuelles que les hommes dans la plupart des t�ches
industrielles. Par ailleurs, ils interviendront syst�matiquement
dans les activit�s de service et de loisirs. Enfin et surtout,
ils joueront un r�le pr�pond�rant, en association
avec les humains ou m�me sans eux, dans les programmes de s�curit�
d�fense et d’exploration des milieux hostiles, notamment
ceux de l’espace. N�cessairement, de ce fait, leurs relations
avec les humains se modifieront profond�ment. Nous nous interrogerons
au terme de cette �tude sur la nature de ces relations. Les robots
et les humains seront, dans les soci�t�s ayant accept�
le tournant de la robotisation, �troitement imbriqu�s dans
ce que nous pourrons nommer des syst�mes post-anthropotechniques.
Existera-t-il encore des soci�t�s qui refuseront
les technologies robotiques, par id�ologie, ou qui ne pourront
pas les aborder, par pauvret� ? Une autre question d’importance
concerne les pr�l�vements sur les ressources mondiales rares
n�cessaire � la fabrication de centaines de millions de
dispositifs robotis�s. Ces derniers ne resteront-ils pas le privil�ge
de quelques favoris�s. Il s'agit de questions d’importance,
que nous �voquerons en conclusion de cette section.
Si nous faisons le recensement des domaines o�
les robots interviendront, directement ou indirectement, dans la vie des
humains au cours des prochaines d�cennies, nous voyons que, sauf
interruption accidentelle de la tendance actuelle, il n’existera
pratiquement pas de secteurs ou d’activit�s leur �chappant.
Les corps biologiques � augment�s �
On doit rappeler que, depuis la nuit des temps, les hommes
n’ont pu survivre et se d�velopper dans les milieux qu’ils
exploraient ou qu’ils se cr�aient eux-m�mes qu’en
se dotant de techniques de plus en plus loin des capacit�s d’un
corps biologique non transform�. Les v�tements, les habitats,
les v�hicules, les moyens de communication repr�sentent
des concentr�s de technologies innovantes accumul�es au
cours des �ges. Depuis un demi-si�cle, la r�volution
scientifique et technique a profond�ment modifi� les outils
et leurs usages. Le citoyen de la cit� moderne, reli� au
monde entier par des r�seaux de communications num�riques,
�quip� de proth�ses m�dicales performantes,
est consid�r� comme un extraterrestre par les rares survivants
des soci�t�s rurales traditionnelles.
Il faut bien voir que les progr�s apport�s
par la robotisation aux corps biologiques seront des sous-produits de
la fabrication de robots de plus en plus performants et multit�ches.
Il est g�n�ralement plus facile d’adapter au vivant
une technique artificielle existante que concevoir celle-ci � partir
de la page blanche. Les budgets destin�s � r�parer
les handicaps sont par ailleurs trop faibles pour supporter des investissements
sp�cifiques. N�anmoins les produits robotiques �
destination � th�rapeutique � seront sans doute de
moins en moins co�teux, avec la diminution du co�t des composants
de base et l’automatisation de leur fabrication.
Les proth�ses et augmentations des corps biologiques
int�resseront aussi bien les animaux que les humains. On �voquera
le risque que de telles techniques, commandant plus ou moins directement
la production des actions et des id�es, soient impos�es,
non seulement � certains animaux, mais aussi � certains
humains, afin d’en faire des � esclaves �. On retrouvera
ce risque tout au long des programmes de corps augment� �voqu�s
ici. Il devra �tre r�solu par la soci�t�, comme
bien d’autres risques technologiques. Sinon, les soci�t�s
de demain s’enfermeront dans des processus d’auto-destruction.
Les r�parations ou augmentations de capacit�
corporelle toucheront d’abord les membres. D’une part, l’on
r�parera les amputations, gr�ce � des membres robotis�s
command�s, soit par les nerfs s’il en reste de disponibles,
soit directement par le cerveau. D’autre part, des membres renforc�s,
voire de v�ritables exosquelettes (squelettes ext�rieurs)
permettront aux individus normaux d’am�liorer leurs performances
dans les t�ches l’exigeant : production, exploration, champ
de bataille. On ne peut pas penser, en l’�tat pr�visible
de ces technologies, qu’elles seront pr�f�r�es
par les individus � l’utilisation de leurs membres d’origine,
car elles comporteront beaucoup de contraintes. Mais lorsque n�cessit�
fait loi, on ne discute pas.
Des organes internes entiers pourront par ailleurs �tre
remplac�s par des appareils robotis�s implant�s et
de plus en plus miniaturis�s et fiables. On conna�t d�j�
les stimulateurs cardiaques. Des cœurs artificiels de nouvelle g�n�ration
implantables sont en vue. On peut penser qu’il en sera de m�me
prochainement pour les poumons et sans doute aussi pour les reins. Les
organes jouant le r�le d’usine de transformation biochimique
ou secr�tant des hormones, tels le foie, les intestins ou diverses
glandes internes, ne pourront pas �tre compl�tement remplac�s,
sauf temporairement. Il ne semble pas envisageable, m�me �
terme, de leur substituer des automates secr�tant, par exemple,
des nanoparticules de substitution. Mais qui sait ?
La r�paration ou l’augmentation des capacit�s
corporelles concernera par ailleurs, et sans doute de fa�on particuli�rement
spectaculaire, les diff�rents organes des sens. Des champs de perception
tout � fait nouveaux s’ouvriront l�. Les techniques
de recueil et de traitement des informations de type �lectromagn�tiques,
sonores, mol�culaires (odorat), tactiles dans lesquelles nous baignons
et que nous ne percevons pas naturellement pourront �tre consid�rablement
enrichies. Les difficult�s � r�soudre ne se limitent
pas au recueil et � la production de ces informations, que beaucoup
d’appareils font d�j� plus ou moins bien. Si l’on
veut qu’ils augmentent r�ellement les capacit�s sensorielles,
les capteurs doivent �tre mis en relation directe avec les centres
comp�tents du cerveau. Beaucoup d’humains accepteront probablement
des intrants c�r�braux si le b�n�fice le justifie.
Mais les techniques de communication par casques ou autres syst�mes
moins invasifs se multiplieront sans doute par ailleurs, avec une r�solution
de plus en plus fine, afin de ne toucher que les faisceaux de neurones
le justifiant.
Jusqu’o� iront les ajouts robotiques connect�s
directement sur les centres nerveux. En sortie, les commandes g�n�r�es
par le syst�me nerveux ne devraient pas poser de probl�mes.
Par contre, les stimulations en entr�e resteront longtemps limit�es
� des points bien d�limit�s. Le fonctionnement du
cerveau est encore trop mal connu pour que l’on se risque, sauf
urgence, � y intervenir de fa�on syst�matique. Les
auteurs �voquent l’hypoth�se de puces �lectroniques
implant�es � demeure, mais, outre les risques, on n’en
voit pas l’int�r�t r�el. La communication entre
les humains et les robots se fera beaucoup plus facilement par les voies
naturelles. Les robots parleront les langages humains et les humains apprendront
aussi � parler les langages des robots, quand ceux-ci ne seront
pas imm�diatement traduisibles dans les canaux de la communication
sociale courante.
Nous pensons a fortiori que les perspectives souvent
�voqu�es par certains futurologues, consistant �
t�l�charger sur des m�moires �lectroniques
le contenu de certains centres nerveux, voire du cerveau tout entier,
afin de cr�er des cerveaux artificiels reprenant les sp�cificit�s
des cerveaux humains correspondants, rel�vent purement et simplement
de la science-fiction. Il faudrait d’ailleurs reprendre et t�l�charger
les milliers d’informations produites � tout instant par
les corps vivants entiers, avec notamment leurs nombreux � g�n�rateurs
d’�motions �. Si des cerveaux artificiels aussi riches
que ceux des humains pouvaient �tre construits, ils resteraient
cependant distincts. Les deux types d’entit�s, biologique
et artificiel, pourraient alors communiquer tr�s largement et s’enrichir
respectivement.
On peut �galement concevoir que des cerveaux et
des corps artificiels coupent tous liens avec les cerveaux humains et
d�veloppent des vies intelligentes propres. Mais il semble bien
que les processus et contenus de l’intelligence et de la conscience
biologiques, telles qu’ils s’expriment sp�cifiquement
dans chaque individu humain, ne puissent avant tr�s longtemps faire
l’objet, comme l’esp�re Ray Kurzweil, d’ing�nierie
inverse et de transfert sur des m�moires �lectroniques,
aussi complexes et riches que puissent devenir ces m�moires. Il
n’est donc pas urgent de disserter comme certains le font, sur ce
que deviendrait l’unit� du Moi s’il coexistait dans
une enveloppe corporelle et dans un syst�me artificiel.
Les robots dits de compagnie
Nous avons d�j� donn� suffisamment
d’indications sur ce que sont d�j� les robots dits
autonomes pour qu’il soit facile d’imaginer ce qu’ils
deviendront dans les prochaines d�cennies. Leurs places et leurs
r�les seront multiples. On peut admettre que tout ce que font actuellement
les humains, y compris les t�ches de conception ou de commandement,
pourront �tre accomplis par des robots. Le seul facteur limitant
leur p�n�tration sera le co�t que pourra repr�senter
l’adaptation de plates-formes existantes � de nouvelles t�ches.
Il est �vident que, lorsque le travail humain semblera pr�senter
un rapport performance-prix avantageux, l’homme sera pr�f�r�.
Mais il faut se souvenir de ce qui avait �t� dit �
propos des ordinateurs. On pensait initialement qu’ils devaient
rester limit�s aux calculs scientifiques ou techniques de haute
intensit�. Aujourd’hui, ils sont partout et sont devenus
indispensables � tous.
Rappelons aussi que les robots de demain, comme d’ailleurs
ceux d’aujourd’hui, n’adopteront de formes anthropomorphes
que si celles-ci am�liorent leurs capacit�s d’interaction
avec des humains. Pour toutes les activit�s ne demandant que de
l’efficacit� fonctionnelle, les formes et modes d’intervention
les plus efficaces seront seules retenues, m�me si elles paraissent
contribuer encore davantage � la � deshumanisation �
des environnements futurs.
Evoquons ici, pour n’y plus revenir, la question
tr�s th�orique, n’int�ressant encore que des
juristes en mal de copie, des droits et devoirs des robots face aux humains
et des humains face aux robots. Plus le robot sera autonome et humanis�,
plus on sera tent� de le traiter comme un humain. Pourquoi pas
? Nous pensons cependant que ces questions ne seront abord�es avec
pertinence qu’en pr�sence de difficult�s concr�tes.
Elles trouveront alors des solutions ad�quates. La question, bien
plus urgente, des droits des animaux et des �cosyst�mes
m�riterait beaucoup plus d’attention. Ce n’est malheureusement
pas le cas.
Les robots de compagnie qui sont d�j� les
plus utilis�s se trouvent au Japon, dans les services aux personnes
�g�es ou handicap�es. On sait que les soci�t�s
� la fois d�velopp�es et vieillies, telle la soci�t�
japonaise, font largement appel, d�s maintenant, � des assistants
robotis�s l� o� des aides humaines deviennent rares
ou exigeraient de recourir � des immigrations dont ces soci�t�s
ne veulent pas. Au-del� de cette motivation conjoncturelle, il
est �vident que lorsque le prix et les performances des robots
� soci�taux � auront �volu� favorablement,
leur emploi se g�n�ralisera. A priori, de tels robots n’auront
pas besoin d’�tre anthropomorphes.
L’exp�rience montre cependant que l’empathie
n�cessaire � de bons �changes entre humains et robots
suppose que les humains puissent s’imaginer avoir affaire �
des humains. Les conditionnements imm�moriaux programm�s
dans les relations sociales interhumaines ne peuvent jouer � plein
que si le robot ressemble � un humain ou � un animal familier.
L’humain est ainsi fait, aujourd’hui, qu’il est capable
de projeter sur un interlocuteur ext�rieur ses propres qualit�s
ou demandes de qualit�s. Comme les robots seront parfaitement capables
d’apprendre au contact des humains, ils deviendront tr�s
vite, s’ils ne le sont pas compl�tement au d�part,
aptes � se sp�cialiser dans des relations personnelles apportant
aux personnes solitaires ou en manque d’affectivit� ce dont
elles croient avoir besoin.
On cite g�n�ralement, outre l’assistance
aux personnes �g�es ou handicap�es, les t�ches
d’�ducation ou de relation-publique-vente. La pr�sence
d’un �ducateur humano�de capable de communiquer avec
les �l�ves en utilisant toute la panoplie des expressions
verbales et gestuelles sera bien pr�f�rable � l’�ducation
par des machines. Il en sera de m�me de l’h�te(sse)
d’accueil ou vendeur.
Mais pour des raisons tenant � une pudeur mal
plac�e, les auteurs n’�voquent que rarement le r�le
des robots dans les activit�s sexuelles. Le sujet, qui est immense,
a �t� bien trait� par l’ouvrage de David Levy,
Love+Sex with Robots(9) . Nous
y renvoyons le lecteur. Disons seulement qu’en ce domaine, la r�alisation
de robots dont l’enveloppe corporelle et les facult�s cognitives
seront proches, sinon plus satisfaisantes que celles des humains, g�n�rera
un march� consid�rable et des investissements en proportion.
Que ceux susceptibles de s’en indigner pensent au r�le que
jouent d�j� les substituts des partenaires humains dans
la vie sexuelle, imaginaire et/ou physique de centaines de millions d’humains.
Pour les psychologues, la mati�re m�riterait de nombreuses
�tudes. On y verrait plus concr�tement qu’ailleurs
comment se construisent ce que nous d�signons dans ce livre par
le terme de syst�mes anthropotechniques. Ajoutons que seuls s’inqui�teront
de ces perspectives les individus humains doutant de leurs capacit�s
corporelles ou intellectuelles � s’attacher des partenaires
�galement humains. Les autres ne s’arr�teront pas dans
leurs entreprises face � la concurrence des robots.
Les robots militaires et de s�curit�
C’est l� que s’investissent les capitaux
les plus importants actuellement. Il n’y aura malheureusement pas
de raison pour que cette priorit� soit modifi�e. Partout
pr�dominera le souci d’�pargner le combattant de premi�re
ligne, d’autant plus que son efficacit� personnelle sera
de plus en plus mise en �chec par les formes de guerres de demain,
exigeant � la fois technicit�, r�activit�
et insensibilit� psychique. On dit quelquefois que les futurs conflits
seront ceux de la guerre des pauvres aux riches, dits aussi de la 4e g�n�ration.
Dans les deux cas, les bellig�rants feront appel � des robots
plus ou moins sophistiqu�s, dont le co�t ne sera gu�re
sup�rieur � celui de l’homme. Citons en particulier
les drones et projectiles auto-guid�s sur leurs cibles, agissant
soit isol�ment soit, dans les grandes arm�es, au sein de
r�seaux complets de stations terrestres et satellitaires, tel l’actuel
Future Combat System des Etats-Unis. Les robots de s�curit�
civile seront davantage ax�s sur la protection intelligente des
installations techniques et des villes. A un moindre niveau, ils se g�n�raliseront
pour la garde des r�sidences particuli�res ou des jeunes
enfants.
Les robots d’exploration en milieux inhospitaliers
ou hostiles
On qualifie de robots, aujourd’hui, des v�hicules
tels que les sous-marins de poche d’assistance aux travaux sous-marins,
les v�hicules � roues dits Rovers utilis�s sur Mars
ou les divers sondes et satellites automatiques servant � l’observation
ou � l’�tude scientifique de la Terre, des plan�tes
et plus g�n�ralement de l’univers. Mais tous ces engins,
m�me lorsqu’ils sont inhabit�s, ne disposent que de
tr�s faibles capacit�s d’initiative. Ils sont largement
programm�s � l’avance ou sous contr�le humain.
C’est pourtant dans l’espace et sur le mode de l’exploration
confi�e � des robots de plus en plus intelligents, de plus
en plus capables d’initiatives, que reposera l’avenir �
long terme de la robotique. Elle seule pourra concr�tiser, dans
la plupart des cas, la vieille et l�gitime ambition visant �
�tendre la science humaine � l’�chelle cosmologique.
D’importants progr�s seront � accomplir, afin que
les syst�mes futurs puissent s’alimenter en �nergie,
se maintenir, se r�parer ou se multiplier sur un mode quasi biologique.
Mais les ing�nieurs ne manquent pas de solutions. Aussi futuristes
qu’elles puissent para�tre aujourd’hui, elles deviendront
banales demain. Ceci pour une raison simple, apr�s la guerre et
la d�fense civile, c’est l’espace qui constitue d�j�
une priorit� strat�gique pour les grandes puissances. Elles
sont engag�es dans des rivalit�s de conqu�te analogues
� celles ayant oppos� les Etats-Unis et l’URSS au
temps de la guerre froide. Ni l’argent, ni les moyens scientifiques
et techniques ne manqueront donc aux inventeurs. Ils ne manqueront pas
davantage aux robots du futur quand ils seront suffisamment �volu�s
eux-m�mes pour exiger des cr�dits de d�veloppement,
sur le mode de ce que font d�j� les industries de l’armement
au sein des actuels lobbies militaro-industriels.
Mais alors ces robots, auxiliaires voire moniteurs des
humains dans les op�rations d’exploration spatiale, susciteront
des interrogations m�taphysiques. Comment leur refuser, non seulement
l’intelligence mais la conscience, sur le mode de ce que les humains
qualifient de ce terme. Comment ne pas s’attacher � eux ?
Supposons un groupe de robots d�velopp�s
par une agence spatiale qui se comporteraient en tous points sur Mars
comme le ferait une �quipe de cosmonautes humains. Ces robots �viteraient
les risques, identifieraient les zones int�ressantes, �changeraient
entre eux et avec la Terre les r�sultats de leurs exp�riences,
r�fl�chiraient � de nouvelles strat�gies d’exploration,
bref porteraient le meilleur de l’intelligence humaine sur une plan�te
qui pour quelques ann�es encore reste inaccessible aux humains.
Il ne s’agit pas l� d’une hypoth�se gratuite,
car c’est pr�cis�ment ce � quoi travaillent
les diverses �quipes scientifiques qui visent � �tendre
l’exploration spatiale au-del� de limites qu’elle n’a
gu�re d�pass�es depuis le d�barquement am�ricain
sur la Lune. Ces robots sont con�us comme devant pr�c�der
l’arriv�e de cosmonautes puis ensuite l’accompagner.
Ult�rieurement, des objectifs plus ambitieux leur seront confi�s.
On les enverra en mission sur des astres qui seront pour de nombreuses
d�cennies voire de nombreux si�cles hors de port�e
humaine. Ces astres sont d�j� en partie explor�s
par diverses sondes plus ou moins automatiques. Mais les possibilit�s
de ces derni�res sont moindres que celles offertes par des robots
dot�s d’une intelligence quasi humaine sinon v�ritablement
surhumaine qui pourraient d�barquer et survivre sur place.
Or, � supposer que ces robots se comportent exactement
comme des humains, en faisant montre de capacit�s que chez l’homme
nous attribuons � la conscience, y compris une conscience morale
et un apparemment libre-arbitre, allons-nous d�clarer qu’ils
sont dot�s d’une conscience humaine ? Nous avons vu en examinant
les possibilit�s de l’IA forte que celle-ci peut simuler
des comportements de ce type, s’appuyant sur des � valeurs
� qui seront soit celles des soci�t�s humaines traditionnelles,
soit celles des nouvelles soci�t�s anthropotechniques �tudi�es
pr�c�demment. Malgr� tout cela, la r�ponse
commune risquera d’�tre longtemps n�gative. On dira
: � Ces robots se comportent comme s’ils �taient conscients
et moraux. Mais en r�alit�, ce sont nous, les humains, qui
sommes conscients et moraux. Ils ne le sont pas. Ce ne sont que des machines.
� Pourquoi cet ostracisme qui pourrait �tre qualifi�
d’anthropocentrisme exacerb� ? Longtemps les m�les
humains ont expliqu� de la m�me fa�on que les serviteurs
et les femmes n’�taient que des machines � peine am�lior�es.
Sans aborder la discussion au fond, nous pouvons signaler
une r�action significative du rejet que suscitent les robots destin�s
� remplacer des pilotes ou op�rateurs humains. Ainsi, d’ores
et d�j�, l’arm�e am�ricaine qui fait
un usage massif de drones t�l�command�s voudrait
g�n�raliser leur remplacement par des syst�mes robotiques
� pilotage autonome. Mais les pilotes d’avions militaires
ou civils manifestent la plus grande r�ticence face � cette
orientation, en arguant de risques pouvant en r�sulter. Tout laisse
penser cependant que des syst�mes robotiques �liminant le
redoutable facteur humain et suffisamment redondants pour pr�venir
les risques techniques seront plus fiables que les syst�mes �
pilotage manuel. La communaut� spatiale sait de m�me que
les spationautes sont tr�s r�ticents � l’id�e
de se faire pr�c�der ou assister par des robots autonomes.
Ils ne prot�gent pas v�ritablement ainsi leurs emplois futurs.
Ils �prouvent certainement une sorte de peur m�taphysique
dont les racines plongent loin dans l’inconscient.
Le jeu et la cr�ation artistique
Le jeu et l’art, con�us soit comme outils
de formation des jeunes humains, soit comme activit�s d�veloppant
l’imaginaire, la sensibilit� et autres qualit�s rarement
sollicit�es dans la vie professionnelle, feront aussi appel �
la robotique autonome. Inutile de s’attarder sur les comp�titions
sportives entre robots, ou les exhibitions de robots danseurs ou peintres
dont le principal int�r�t est encore pour le moment de stimuler
les recherches en robotique autonome. C’est par contre dans le domaine
de la r�alit� virtuelle que l’�mergence de
robots num�riques capables de se comporter en interlocuteurs autonomes
des humains impliqu�s dans de tels univers pr�sentera de
l’int�r�t. Nous ne traiterons pas cependant de la r�alit�
virtuelle dans cette rubrique, mais dans la section suivante.
3. Coop�rations entre IA, robotique et sciences �mergentes
On conna�t la liste des sciences et technologies
dites �mergentes et convergentes, nanotechnologies, biotechnologies,
cognotechnologies, infotechnologies. Elles font malgr� la crise
l’objet d’intenses d�veloppements. Elles sont au coeur
du d�veloppement des grands syst�mes anthropotechniques
modernes. Les questions philosophiques et politiques pos�es sont
innombrables. Nous aurions pu en discuter en d�tail mais le faire
aurait n�cessit� des dizaines de volumes. Bornons-nous �
�voquer ici leurs relations avec l’IA et la robotique. Elles
seront vite aussi �troitement et r�ciproquement imbriqu�es
que celles d�j� entretenues avec l’informatique.
Les proth�ses corporelles et mentales (hommes
et animaux dits cyborgs)
Nous avons d�j� abord� ce point
plus haut, mais en nous en tenant aux ajouts provenant de de l’IA
et de la robotique. En fait, les cyborgs de demain (ou leurs prototypes
ludiques ou exp�rimentaux d’aujourd’hui) incorporent
de nombreux ajouts de type biologique sous forme de greffes diverses.
Ils font �galement appel � de nombreuses drogues ou stimulants
compl�tant les ressources d’ores et d�j� abondantes
de la pharmacop�e et de l’industrie. Beaucoup des comportements
correspondants rel�vent de tendances difficilement tol�rables,
dans les soci�t�s polic�es, et sont soumises �
la r�pression �manant de ce que l’on nomme le bio-pouvoir
ou pouvoir des autorit�s charg�es de la pr�vention
des grandes pathologies et du suicidaire. Mais, dans une approche plus
darwinienne de l’�volution sociale, on peut les consid�rer
comme les manifestations d’une heuristique inconsciente visant par
essais et erreurs � susciter des mutations �ventuellement
salvatrices.
En ce qui concerne les relations de la robotique avec
les comportements, d�viants ou non, des cyborgs, il faudra prendre
garde au fait que ces comportements pourraient d�stabiliser des
robots autonomes � la recherche de mod�les. Ils provoqueraient
chez eux des r�actions agressives ou d�lirantes qui se r�percuteraient
sur l’ensemble de la soci�t�. Mais de tels risques
existent d�j�. Un militaire ou un chercheur sous l’empire
de la drogue, plus banalement m�me un automobiliste sous impr�gnation
alcoolique ou hallucinog�ne, peut se r�v�ler une
redoutable machine � tuer.
Les r�seaux intelligents (cerveau dit global)
La litt�rature mondiale sur ce sujet est immense.
D�s les origines du Web, on a voulu y voir l’�quivalent
d’un cerveau biologique, disposant de neurones individuels dot�s
d’une autonomie locale (pro-activit�), reli�s par
des canaux interneuronaux plus ou moins denses en fonction de la fr�quence
des trafics, et s’organisant autour de centres serveurs eux-m�mes
distribu�s, sans contr�le hi�rarchique central. La
g�n�ration de contenus informationnels circulant sur le
r�seau dans une relative comp�tition a par ailleurs �t�
compar�e � celles des id�es cr��es
par des cerveaux individuels et �chang�es par les outils
de la communication sociale. On s’est demand� enfin si les
virus informatiques, dont l’apparition et la prolif�ration
�ventuelles sur le Web ressemblent beaucoup aux modes d’action
des virus biologiques, ne seraient pas l’indice d’un d�but
d’autonomisation de la part de certains �l�ments du
Web lui-m�me consid�r� comme un cerveau global.
Il est certain que la r�flexion sur les r�seaux
artificiels, que ce soit ceux du Web, des simples communications t�l�phoniques
et postales ou des �changes de trafic entre centres urbains, pr�sente
beaucoup d’int�r�ts pour les neurologues. Ils peuvent
ainsi mieux comprendre les �changes entre composants cellulaires
du cerveau. Mais la question qui nous int�resse dans ce livre est
un peu diff�rente. Nous nous demandons si un r�seau comme
le Web et plus g�n�ralement tous les r�seaux �lectromagn�tiques
reliant les humains peuvent donner naissance � des robots num�riques
qui prendraient de l’autonomie par rapport aux utilisateurs humains
de ces r�seaux, quitte � se retourner contre eux �ventuellement.
Une autre fa�on de poser la question consiste � se demander
si des robots autonomes connect�s au Web, comme beaucoup le seront,
pourraient profiter de ces connexions pour se regrouper, renforcer leurs
autonomies et devenir de plus en plus ind�pendants des humains,
voire hostiles.
Ces deux questions sont un peu diff�rentes, mais
se compl�tent. La premi�re consiste � se demander
si un r�seau comme le Web pourrait �voluer sur le mode darwinien
en entit�s virtuelles acqu�rant des corps, des organes d’entr�e
sortie et des cortex associatifs virtuels les transformant en v�ritables
entit�s artificielles quasi-biologiques. De telles entit�s
pourraient alors se d�velopper et se complexifier dans le cadre
d’une comp�tition quasi biologique ressemblant � celles
que les m�m�ticiens croient d�celer entre m�mes
et m�mesplexes dans les actuels syst�mes sociaux. Nous pensons
qu’en th�orie, rien n’interdit de penser que cette
situation se produise. Nous avons vu, en �tudiant l’IA, que
de nombreux programmes auto-g�n�rateurs et auto-complexificateurs
existent d�j�. Leur population pourrait s’�tendre,
si le monde du virtuel et des r�seaux, qui est en pleine expansion,
leur offrait un terrain favorable. Ceux qui s’int�ressent
� la d�tection d’�ventuelles formes de vie
et d’intelligence extra-terrestres les rechercheront d’abord
sous de telles formes. Les tenants d’une vie terrestre post-biologique
pensent �galement que celle-ci pourrait �merger spontan�ment
sous cette forme en se superposant � la vie biologique.
L’opacit� du monde des r�seaux contemporains,
dont la complexit� n’est analysable qu’en termes statistiques
globaux, incite certains observateurs � penser que des centres
de d�cision autonomes, �chappant aux humains, sont d�j�
en train d’�merger sur le Web. La puissance des moteurs de
recherche, le caract�re touffu des r�seaux de serveurs,
pourraient favoriser la naissance discr�te de telles entit�s.
Nous pensons cependant pour notre part que rien, pour
le moment, ne semble justifier de telles hypoth�ses. Ces entit�s
se r�v�leraient tr�s vite par des manifestations
explicites suscitant des r�sultats � aberrants � dont
l’on ne manquerait pas d’analyser les causes, comme on le
fait des multiples � bugs � g�n�r�s en
permanence par les syst�mes actuels. Il faut davantage craindre
les pouvoirs politiques ou �conomiques s’infiltrant sciemment
et discr�tement sur le Web pour contr�ler les comportements
et pens�es de ses usagers. Nous sommes alors l� en terrain
plus connu.
La seconde question, concernant les � augmentations
� que les robots pourraient acqu�rir en �tant branch�s
sur le Web (voire en se branchant spontan�ment sur le Web), est
beaucoup plus actuelle. Nous avons d�j� indiqu� qu’un
robot autonome de demain, disposant d’une connexion permanente sur
Internet, capable d’interroger les diff�rents moteurs de
recherches, bases d’images et de connaissances y figurant, deviendrait
dans les relations quotidiennes ou professionnelles avec les humains un
comp�titeur redoutable. Le Web fera de tels robots ce que l’on
pourrait nommer des post-robots, de m�me que le Web a fait incontestablement
de nous des post-humains, par comparaison avec les humains des soci�t�s
traditionnelles.
Ces facult�s pourraient �tre exploit�es
par les humains. Ils utiliseraient alors les robots et les IA associ�es
comme de super-machines � inventer, gr�ce � leurs
puissances dans la recherche d’id�es et dans la g�n�ration
d’hypoth�ses. Ils s’�viteraient ainsi le mal
de collationner eux-m�mes des informations et de les regrouper en
mod�les heuristiques. Cependant, si les humains prenaient pr�texte
de l’assistance des robots pour s’�viter de penser,
ce serait grave. C’est un reproche que l’on fait d�j�
aux addicts de la t�l�vision.
Il semble cependant que le risque de voir les humains
se reposer sur des syst�mes d’heuristique robotis�s
pour s’�viter de penser eux-m�mes est faible, sinon
inexistant. Les cerveaux humains sont ainsi faits que, dans des corps
bien portants, ils ne se laissent pas submerger par l’afflux d’id�es
neuves. Au contraire, ils les retraitent spontan�ment pour en extraire
des id�es nouvelles enrichies. Rien n’est pire que l’isolement
sensoriel et informationnel pour la sant� du cerveau. Nous pensons
que si les robots de demain devenaient capables d’explorer, non
seulement de nouveaux espaces physiques, mais de nouveaux espaces th�oriques,
ils apporteraient beaucoup � la cognition collective et aux cerveaux
individuels eux-m�mes.
Les univers virtuels ou de synth�se
Nul n’ignore l’importance que prend d�sormais
ce que l’on nomme en simplifiant la r�alit� virtuelle
dans la cr�ation artistique, la recherche scientifique, les pratiques
professionnelles et plus g�n�ralement la vie quotidienne.
On peut la d�finir simplement comme une technique consistant, gr�ce
� des algorithmes math�matiques et informatiques, �
reproduire sur un �cran des univers et des entit�s en 3
dimensions semblables ou au contraire tr�s diff�rents de
ce que nous rencontrons dans le monde r�el. La plupart des cr�atures
du monde virtuel prennent l’apparence d’animaux ou d’�tres
humains avec lesquels les humains proprement dits ont la possibilit�
d’interagir. On pourrait penser qu’il n’y a pas lieu
ici de les distinguer des robots. Ils posent les m�mes questions
que ces derniers quant aux possibilit�s d’introduire dans
les soci�t�s humaines traditionnelles des agents artificiels
dot�s d’aptitudes � l’autonomie, face auxquels
les individus et les groupes devront mieux d�finir leurs sp�cificit�s,
s’ils en ont. Ce sera encore plus �vident lorsque se g�n�raliseront
les cr�atures virtuelles dites haptiques ou � � retour
d’effort �, avec lesquelles le contact, bien que virtuel,
donnera l’impression d’�tre r�el. Cette propri�t�
est d�j� utilis�e dans les �missions virtuelles
� finalit� sexuelle.
Nous ne d�taillerons pas ici les diff�rentes
techniques permettant de construire un monde virtuel et y interfacer un
�tre humain en lui donnant l'impression qu'il y per�oit et
agit de mani�re naturelle : perception en 3 dimensions, immersion
sensori-motrice (syst�mes haptiques pr�cit�s), interaction
en temps r�el, etc. Ces techniques sont des d�veloppements
de ce qui a �t� fait � plus petite �chelle
dans le multim�dia �ducatif et ludique ou dans les simulateurs
industriels, destin�s notamment � la formation des pilotes.
La conjonction de ces techniques conduit tout naturellement � la
r�alit� dite “augment�e” (“augment�e”
dans la mesure o� elle utilise les techniques du virtuel puisque
toute r�alit�, en principe, peut �tre dite augment�e
par celui qui la per�oit avec un instrument quelconque). On aboutit
� la “t�l�-pr�sence” ou “sortie
du corps”, qui n'ont pas l� de dimension mystique, mais signifient
simplement que l'exp�rimentateur est compl�tement d�tach�
par le syst�me des pesanteurs de sa cognition habituelle.
Un auteur comme Denis Berthier(10)
s’est attach� � �tudier ce qu'il appelle le
“clonage de l'univers semiotico-cognitif” r�alis�
par l’IA appliqu�e � la cr�ation virtuelle.
Il ne faut plus d�sormais distinguer les mod�les mobilisant
les perceptions sensorielles de ceux s'adressant, via les agents de l'IA,
aux contenus de connaissance, c’est-�-dire � �
l'univers des signes, des savoirs et de la raison". Cette IA aboutit
� une augmentation s�miotico-cognitive du r�el, qui
duplique ou compl�te l'augmentation sensorielle permise par le
virtuel. Ainsi par exemple le robot peut-il �tre consid�r�
comme l'habillage perceptible par les sens d'un agent virtuel op�rant
dans notre monde, c'est-�-dire �tre consid�r�
comme une augmentation s�miotico-cognitive du r�el ais�ment
perceptible du fait de son aspect humano�de.
La r�alit� virtuelle, qui est dite aussi
r�alit� � augment�e �, pose �
grande �chelle la question de la prolongation des capacit�s
sensorielles des organismes biologiques par divers moyens artificiels.
On sait que le cerveau, s’il ne dispose pas de rep�res extra-sensoriels,
peut se montrer incapable de distinguer entre un monde r�el et
un monde virtuel. Il n’y a l� rien d’�tonnant,
si les messages en provenant sont identiques ou quasi identiques. Faut-il
alors s’en inqui�ter ou s’en r�jouir ? Le risque
vient de ce que, aussi parfaite que soit l’imitation du r�el
par le virtuel, cette imitation ne peut � elle seule embrasser
les infinis aspects de l’univers r�el. Elle concentre l’attention
sur une toute petite lucarne en la d�tournant des dangers et opportunit�s
du monde r�el. Le cerveau infect� par le virtuel vit alors
dans une �troite bulle au sein de laquelle il finira par d�p�rir.
Les films en r�alit� virtuelle, comprenant
ou non des acteurs r�els, donnent une bonne id�e de la philosophie
qui sous-tend la cosmogonie des mondes virtuels dans la production cin�matographique
et les jeux vid�o : notamment la difficult� � distinguer
le virtuel du r�el, la dimension mythique voire mystique de l'histoire,
la r�cursivit� de la virtualit� c'est-�-dire
le fait qu'un monde virtuel donne acc�s � un autre. Ils
permettent d’�tudier aussi les r�percussions de la
fr�quentation des mondes virtuels sur les personnalit�s
des personnages. Celle-ci se traduit par la difficult� �
sortir du monde dans lequel ils sont immerg�s, la compulsion �
faire certaines actions, pouvant aller jusqu'� un “verrouillage”
dans le virtuel, selon le mot de Denis Berthier, verrouillage qui est
un peu � l'image du verrouillage que subit le spectateur. D'une
fa�on g�n�rale, on retrouve l'id�e qu'il est
difficile, sinon impossible, de faire la preuve de ce qu'un ph�nom�ne
est r�el face � son double virtuel. Certains physiciens
ont �mis l’hypoth�se que nous ne serions nous-m�mes,
dans notre monde suppos� r�el, que des acteurs virtuels
verrouill�s dans un univers cr�� par des intelligences
�manant d’un super-univers ext�rieur � nous.
Ces films ou jeux vid�o, malgr� leur apparente
diversit� foisonnante, posent la question, importante de l'aptitude
qu'ont ou non les auteurs � imaginer des mondes virtuels v�ritablement
innovants. Nous avons un peu l'impression qu'ils se r�p�tent
tous en exploitant un effet de mode. Au d�but, le caract�re
original de ces films leur a permis de cr�er leur public, en faisant
sensation. Mais se renouvellent-ils aujourd'hui ? On retrouve dans ces
films le m�me d�faut qui a frapp� les films et s�ries
de science-fiction pr�sentant des robots, chaque nouvelle œuvre
semblant un remake de Star Trek. De plus, l'originalit� n'est-elle
pas finalement plus dans la forme que dans le fond. Les th�mes
sont transpos�s du vieux fond, m�lange de mystique, de pr�jug�s
et de manque d'ouverture aux autres soci�t�s, qui se retrouve
depuis une cinquantaine d'ann�es dans toutes les formes d'expression
de la soci�t� am�ricaine, roman et cin�ma
notamment(11). La question nous semble
plus importante qu'il ne para�t. Pourrait-on inventer, ou plut�t
voir appara�tre un virtuel qui remette radicalement en cause les
croyances et certitudes intellectuelles �tablies ? Sans doute pas,
si dans ce domaine comme dans tous les autres de la cr�ation, on
veut rester fid�le � des convenances qui sont, pense-t-on,
le prix � payer pour r�aliser un chiffre d'affaires suffisant.
Cette contrainte peut expliquer, en partie, la difficult�
� faire, au moins dans ces films, la diff�rence entre le
r�el et le virtuel. C'est qu'il s’agit un peu du m�me
monde. Si l’on �tait capable de laisser des agents autonomes
(comme le seraient par exemple des extraterrestres, ou des animaux) nous
proposer des versions virtuelles de leur monde � eux, peut-�tre
pourrions-nous identifier des logiques radicalement diff�rentes
� l'œuvre. Techniquement, c'est aujourd'hui impossible. Cependant,
si on consid�re que la sph�re du virtuel s'�tend
ou � vocation � s'�tendre bien au-del� de
la cognition humaine actuelle, il faut garder cette id�e en t�te.
Les raisons de la difficult� � distinguer
le r�el du virtuel s'expliquent en partie, avons-nous indiqu�,
par le fait que le r�el et le virtuel �mettent des messages
sensoriels voisins, que notre cerveau n'a pas toujours la possibilit�
de distinguer. On en a eu la preuve depuis longtemps en �tudiant
les images produites par un miroir, ou diverses illusions d'optique. Mais
alors se pose
la question de la consistance de ce que nous appelons le r�el.
Pour la philosophie scientifique moderne, il n'existe pas des entit�s
r�elles en soi ou ontologiques, ind�pendantes de l'homme,
que celui-ci pourrait observer en se situant en dehors d'elles. Tout pour
lui se traduit par des repr�sentations internes � son cerveau,
qui font l'objet de traitements diff�rents selon l'exp�rience
de chacun. Il est donc important de se rendre compte que les garde-fous
mis par le bon sens traditionnel, permettant de ne pas confondre le r�el
et l'imaginaire, les choses et leurs apparences, sont en train de dispara�tre.
Il faudra vivre dans un monde tout diff�rent, dont les contours
apparaissent � peine.
Une deuxi�me question vient dans la suite de celle-ci.
Est-il possible de distinguer le virtuel du potentiel�? On r�pond
g�n�ralement par la n�gative. Le virtuel vise tr�s
souvent � pr�senter des univers futurs, probables ou improbables,
comme s’ils �taient r�els. Il fait tout pour emp�cher
de les distinguer du r�el. Il construit de v�ritables �
hallucinations � qui risquent d’enfermer en elles-m�mes
ceux incapables d’en sortir. Mais n’y a-t-il pas l�
un �l�ment favorable au renouvellement de notre monde quotidien
? Les sc�narios explorant des mondes virtuels qui, soit n'existent
pas encore, soit m�me paraissent aujourd'hui impossibles, ne vont-ils
pas cr�er les conditions favorables � leur r�alisation,
dans le sens o� l'on dit que ce que l'homme imagine finit toujours
pas se r�aliser ? Il est seulement dommage que pour le moment,
en raison sans doutes des d�terminismes anciens � l’œuvre
dans les syst�mes anthropotechniques, ce soit dans la cr�ation
de mondes hyperviolents que de tels sc�narios trouvent le plus
d’addicts.
Beaucoup de pr�visionnistes, nous l’avons
vu, envisagent le d�veloppement exponentiel des moyens de calcul,
qui se traduira par le d�veloppement lui-m�me exponentiel
des applications faisant appel au virtuel. Ceci s'accompagnera de la possibilit�
croissante d'interagir directement avec les cerveaux, dans les deux sens,
soit pour cr�er des illusions sensorielles et cognitives, soit
pour donner une consistance mat�rielle aux cr�ations de
l'imaginaire. Il para�t ind�niable que, sauf catastrophe
dans le d�veloppement technologique, ces perspectives se r�aliseront
un jour, peut-�tre m�me dans la premi�re moiti�
de ce si�cle. Dans quels mondes vivrons-nous alors ? Les gens pr�f�reront-ils
voyager dans des pays virtuels, reproduction ou non de pays r�els,
plut�t qu'affronter les frais et les risques du tourisme sur une
plan�te surpeupl�e et agressive. Pr�f�rera-t-on
fr�quenter des partenaires artificiels, humains ou animaux, si
ceux-ci offrent autant de ressources que des �tres vivants, sans
imposer leurs contraintes ? On serait tent� de r�pondre
par l'affirmative, quand on voit la pr�f�rence d�j�
affich�e par beaucoup de nos contemporains pour l'illusion. Nous
avons effleur� cette question � propos des robots utilis�s
comme des partenaires de jeu ou de sexe, d’autant plus facilement
qu’ils seront de plus en plus capables d’autonomie.
On peut �galement r�pondre � cette
question en rappelant que l'homme a toujours construit sa niche dans l'univers
en combinant inextricablement les ressources offertes par son organisation
biologique, les constructions cognitives de son cerveau, les ressources
de ses moyens de computation et finalement la mise en place de mondes
virtuels s'enracinant dans un r�el dont on ne peut rien dire, sauf
qu'il para�t riche d'infinies possibilit�s (r�el symbolis�
aujourd'hui par le concept de vide quantique). Plus g�n�ralement,
le monde dans lequel nous vivons serait fait d'une intrication permanente
entre le quantique, le cognitif, le biologique et le virtuel, dont la
pens�e humaine contemporaine devra in�vitablement tenir
compte. Ceci d’autant plus qu’en tous ces domaines se manifeste
un aspect fondamental de la r�troaction homme-machine : le pr�tendu
clonage modifie l'original.
Les vivants g�n�tiquement modifi�s
Avec les manipulations g�n�tiques, nous
retrouvons des perspectives proches de celles de la robotique : la possibilit�
de cr�er des entit�s r�elles qui seraient proches
bien que diff�rentes des humains et des animaux actuels. Par contre,
ces entit�s ne seraient pas artificielles (� base de composants
non biologiques). Au contraire, elles appartiendraient au monde biologique,
mais � une biologie d�tourn�e des voies �volutives
jusqu’ici suivies par la vie sur Terre. Ces d�tournements
seront le fait des soci�t�s humaines poursuivant diff�rents
buts : l’int�r�t �conomique, la curiosit�
scientifique et plus g�n�ralement la volont� d’intervenir
dans des m�canismes jusque-l� consid�r�s comme
inabordables ou ne devant pas �tre abord�s.
Les manipulations g�n�tiques auront un
autre point commun avec la robotique. Elles permettront de cr�er
des hybrides entre le vivant et le robot qui augmenteraient �ventuellement
consid�rablement les domaines d’action de l’un et de
l’autre. Il en r�sulterait en effet des symbioses qui pourraient
b�n�ficier des qualit�s respectives de chacun des
ordres pour se d�velopper dans le domaine d’action naturel
de l’autre. On sait qu’il existe d�j� de nombreuses
exp�riences visant � implanter des �lectrodes ou
des puces �lectroniques dans les cerveaux d’hommes et surtout
d’animaux. Des recherches militaires assez pouss�es visent
actuellement, par cet interm�diaire, � � piloter �
des mammif�res, des oiseaux voire des insectes afin de leur faire
accomplir des missions offensives ou de surveillance. Mais les animaux
ainsi transform�s restent en g�n�ral sous le contr�le
d’op�rateurs humains. Le temps n’est pas loin cependant
o�, gr�ce � la miniaturisation, il sera envisag�
de remplacer une partie de leurs fonctions c�r�brales par
de v�ritables robots autonomes.
A l’inverse, de nombreuses exp�riences reposent
aujourd’hui sur l’utilisation de neurones animaux ou m�me
de fragments d’aires c�r�brales provenant de cerveaux
animaux, afin de piloter des syst�mes robotiques. L’essai
n’a pas encore �t� fait, semble-t-il, avec des neurones
humains. Il s’agit plus pour le moment d’�tudier le
fonctionnement des interactions entre messages externes et tissu c�r�bral
que de construire de v�ritables hybrides op�rationnels,
dont l’int�r�t n’appara�t pas �vident.
Les animaux “utilis�s” ou “d�tourn�s”
par le g�nie g�n�tique souffrent on le sait de diverses
incapacit�s naturelles que les g�n�ticiens essaient
de pallier gr�ce � leurs manipulations. Ceci n’emp�che
pas les recherches de s’int�resser � la possibilit�
de r�aliser des hybrides ou chim�res entre individus d’esp�ces
voisines ou m�me diff�rentes visant � cumuler dans
une m�me esp�ce au g�nome artificiellement modifi�
les qualit�s des esp�ces parentes. De tels animaux nouveaux,
que l’on consid�rera tr�s facilement comme du mat�riel
de laboratoire, pourront se voir greffer des composants robotiques plus
ou moins intrusifs. On aboutira � des r�sultats qui seront,
selon la proportion des composants biologiques et artificiels, soit des
animaux robotis�s soit des robots animalis�s.
Le g�nie g�n�tique n’envisage
pas encore, pour des raisons �thiques, de proc�der �
des hybridations v�ritables entre animaux et hommes. Par contre,
nous l’avons vu, les � augmentations de capacit� �
offertes aux humains par l’apport de compl�ments chimiques
ou robotiques sont consid�r�es en g�n�ral
comme ne posant pas de trop graves probl�mes. Ceci tant que ces
ajouts n’ont pas d’influence sur les g�nomes reproducteurs
et ne risquent donc pas de modifier l’esp�ce humaine en profondeur.
Cependant, l� encore, le g�nie g�n�tique a
commenc� � proposer des m�thodes permettant d’�liminer
l’expression de g�nes suppos�s apporter des invalidit�s
ou maladies chez le sujet adulte. On le fait et on le fera de plus en
plus aussi chez l’embryon, par l’interm�diaire notamment
du � diagnostic pr�-implantatoire �, pour pr�venir
la naissance de sujets jug�s non d�sirables. Certains parents
enfin r�fl�chissent s�rieusement � l’int�r�t
que repr�senteraient des interventions sur leurs propres syst�mes
reproducteurs afin d’�liminer d’embl�e des g�nes
� nuisibles � ou d’y introduire des g�nes �
souhaitables �.
Tout ceci, on le sait rel�ve encore d’acrobaties
m�dicales et n’offre aucune garantie de r�sultats.
Mais il ne faut pas s’illusionner. Ce que la g�n�tique
et la biologie associ�e pourront faire pour � am�liorer
� l’esp�ce humaine, ou certains de ses repr�sentants,
sera fait un jour, � plus ou moins grande �chelle. On verra
donc s’imposer la tentation de r�aliser des hybrides biologico-robotiques,
non plus cette fois avec des animaux mais avec des humains. Ces hybrides,
contrairement aux � hommes augment�s � actuels, seront
dot�s de qualit�s g�n�tiquement programm�es
leur permettant de coexister durablement et utilement avec des robots.
Ceci pour le plus grand b�n�fice, dira-t-on, des deux esp�ces
concern�es, l’humaine et l’artificielle.
De telles �volutions, �voqu�es aujourd’hui,
soul�vent en g�n�ral l’indignation. Mais seront-elles
d�cid�es � volontairement � par des chercheurs
ou des entrepreneurs sachant tr�s bien sur quel terrain glissant
ils s’avancent et soucieux de respecter des limites d’ordre
�thique ? Seront-elles au contraire engag�es au hasard,
sans finalit�s affich�es et sans souci des suites possibles,
en prolongement des processus �volutifs subis par la Terre depuis
qu’elle est stabilis�e sur son orbite. Nous pensons que cette
seconde hypoth�se est la plus probable, Cependant, rien n’exclut
aujourd’hui que parmi de tels organismes mutants apparaissent certaines
forces capables d’influencer l’�volution globale, dont
l’action r�gulerait certains comportements anarchisants susceptibles
de d�truire compl�tement les �cosyst�mes.
Le vivant artificiel ou synth�tique
On d�signe par ce th�me les exp�riences
visant, non plus � intervenir sur les g�nomes des esp�ces
vivantes afin de cr�er de nouvelles vari�t�s ou esp�ces,
mais � cr�er avec des composants enti�rement artificiels
des entit�s qui se comporteraient de fa�on plus ou moins
fid�le comme des vivants. On dira que c’est bien l’objectif
de l’IA depuis les ann�es 1970 (avec par exemple le Jeu de
la Vie de John Conway utilisant des automates cellulaires). C’est
tr�s exactement aussi, avec des moyens autrement puissants, l’ambition
de la robotique. Mais la biologie synth�tique est une d�marche
diff�rente, apparemment � la fois plus simple et plus compliqu�e.
Elle consiste � faire travailler ensemble des mol�cules
ou atomes appartenant � la chimie min�rale et non �
la biochimie, afin de recr�er des entit�s artificielles
ayant les propri�t�s de la vie au niveau le plus fin, celui
de la cellule et de ses composants (par exemple les ribosomes).
Les recherches sur la vie synth�tique ont toujours
int�ress� les biologistes cherchant � conna�tre
le fonctionnement des syst�mes vivants naturels. L’espoir
� plus long terme est de r�ussir une synth�se de
la vie. Une mani�re simple et directe de v�rifier notre
compr�hension actuelle des m�canismes du vivant est de construire
un exemplaire (ou une version) d’un syst�me selon notre compr�hension
de ce dernier. Le travail avant-gardiste de Michael Elowitz du Caltech
est un bon exemple d’une telle approche. Michael Elowitz avait �labor�
un mod�le du fonctionnement de l’expression g�n�tique
dans les cellules vivantes. Pour le v�rifier, il construisit un
morceau d’ADN selon son mod�le, le pla�a dans les
cellules vivantes et observa les r�sultats. De tels travaux utilisent
beaucoup de math�matiques pour pr�dire et �tudier
les dynamiques des syst�mes biologiques avant de les construire
de mani�re exp�rimentale. Une difficult� clairement
soulign�e cependant par Jean-Jacques Kupiec tient � ce que
dans ces tentatives de reconstruction, les biologistes ou biochimistes
s’inspirent de ce qu’ils savent aujourd’hui de la vie,
c’est-�-dire qu’ils y r�percutent beaucoup d’erreurs
- notamment celles de la biologie mol�culaire traditionnelle.
Mais ceci pourrait en principe �tre �vit� dans le
futur.
Les syst�mes biologiques sont des syst�mes
physiques compos�s de mat�riaux chimiques. Il y a environ
cent ans, la chimie passa de l’�tude des mat�riaux
chimiques naturels � la conception et l’�laboration
de nouveaux mat�riaux chimiques. Cette transition inaugura le domaine
de la chimie de synth�se. Certains aspects de la biologie de synth�se
peuvent �tre vus comme une extension et une application de la chimie
de synth�se � la biologie, allant jusqu’� cr�er
de nouveaux mat�riaux biochimiques qui puissent non seulement �clairer
les origines de la vie sous sa forme actuelle mais proposer de nouvelles
formes de vie biologique. De nombreux travaux am�ricains explorent
avec succ�s ces perspectives.
Les ing�nieurs pour leur part voient la biologie
comme une technologie. La biologie de synth�se inclut une large
red�finition et extension de la biotechnologie, avec le but ultime
d’�tre capable de concevoir et construire des syst�mes
biologiques fabriqu�s qui traitent l’information, manipulent
les �l�ments chimiques, produisent de l’�nergie,
fournissent de la nourriture et maintiennent et am�liorent la sant�
humaine et notre environnement. Un des aspects qui distingue la biologie
de synth�se de l’ing�nierie g�n�tique
traditionnelle est son souci de d�velopper des technologies fondamentales
rendant l’ing�nierie biologique plus facile et plus fiable.
Les � r��crivains � sont des biologistes synth�tiques
souhaitant v�rifier l’id�e que, puisque les syst�mes
biologiques naturels sont si compliqu�s, nous ferions mieux de
reconstruire le syst�me naturel qui nous int�resse �
partir de z�ro, afin de fournir des produits plus faciles �
comprendre et avec lesquels l’interaction serait plus facile.
Il faut savoir que les recherches avancent vite concernant
la cr�ation de formes de vie artificielle dot�es des propri�t�s
de la vie biologique, notamment la r�plication et la capacit�
de s'alimenter. A la XVe Conf�rence Internationale sur l'origine
de la vie, qui s'est tenue � Florence les 24/29 ao�t 2008,
une �quipe dirig�e par le Dr Jack Szostak, de la Harvard
Medical School, a pr�sent� le prototype de protocellules
comportant l'�quivalent d'informations g�n�tiques
leur permettant de se reproduire. Ces protocellules comportent des mol�cules
d'acide gras qui peuvent se lier avec des morceaux d'acides nucl�iques
contenant le code source n�cessaire � la r�plication.
Conjugu�es avec un processus permettant de capter l'�nergie
solaire ou d'utiliser l'�nergie de r�actions chimiques,
elles peuvent former un syst�me auto-r�plicateur auto-�volutif
qui, sans ressembler encore � la vie terrestre actuelle, pourrait
simuler les formes de vie terrestre � ses d�buts, ou telle
qu'elle pourrait exister sur d'autres plan�tes.
Le mod�le montr� � Florence n'est
pas encore pleinement autonome, mais repr�sente la forme de vie
artificielle utilisant des compos�s chimiques la plus achev�e
� ce jour. Il comporte des membranes capables de grandir et de
se reproduire. Cependant, il faut aller plus loin et reconstituer les
conditions de l'�volution darwinienne primitive en cr�ant
les forces s�lectives s'appliquant � un grand nombre de
s�quences capables de se modifier arbitrairement, sur le mode des
mutations al�atoires. Ce processus une fois enclench� sera
particuli�rement int�ressant car les chercheurs ne pourront
pas, par d�finition, pr�dire a priori les formes auxquelles
il aboutira. Il s'agira de cr�er une forme de vie nouvelle que
les humains n'ont jamais vue et qui n'a peut-�tre jamais exist�
(sauf sur d'autres plan�tes ?).
Les auteurs de cette communication(12)
consid�rent que les protocellules ainsi r�alis�es
repr�sentent une forme de vie artificielle plus compl�te
que celle dite de la biologie synth�tique �tudi�e
par Craig Venter. Celui-ci s'efforce de construire une bact�rie
artificielle E. Coli disposant du plus petit nombre de g�nes possibles
compatibles avec la r�plication. Mais le produit de cette recherche
ne sera pas une forme de vie nouvelle, contrairement aux protocellules
de Jack Szostak. Il se bornera � reconstituer une cellule comparable
� celles qui existent d�j� sur Terre. Or les cellules
biologiques disposent de m�canismes d�velopp�s au
long de millions d'ann�es d'�volution, qui en font de v�ritables
petites usines ou nanomachines visant � asservir l'�nergie
pour faire des copies d'elles-m�mes. Il s'agit de syst�mes
d�j� tr�s perfectionn�s disposant d'une machinerie
mol�culaire tr�s complexe, qu'il n'est pas possible de synth�tiser
� partir de compos�s chimiques.
Les protocellules de Jack Szostak se situent bien en
amont de telles r�alisations. Elles se placent au niveau de ce
qui pourrait �tre l'origine v�ritable de la vie terrestre,
ou d'une sorte de vie n'ayant jamais encore exist� sur Terre et
pouvant �ventuellement appara�tre dans des plan�tes
disposant d'un environnement physique et chimique diff�rent, �ventuellement
d�pourvu d'eau liquide.
L'�quipe esp�re disposer en laboratoire
d'un syst�me auto-r�plicateur complet dans un futur proche.
Peut-�tre se trouve-t-on au d�but d'une v�ritable
r�volution des sciences de la vie. Depuis les premi�res
exp�riences de Stanley Miller, comme on le sait, les chercheurs
et les philosophes ont toujours esp�r�, mais en vain, pouvoir
faire revivre le d�but du d�but de celle-ci. Le mod�le
de Szostak n'a pas cette ambition. Il ne nous dira pas n�cessairement
comment la vie est effectivement apparue sur Terre. Il montrera seulement
comment elle aurait pu appara�tre, quitte � �voluer
de fa�on tr�s diff�rente. Ce serait, pensons-nous,
encore plus int�ressant, notamment pour les exobiologistes.
Concernant l’avenir de la robotique, on voit que
la biologie synth�tique ne pr�sente pas les inconv�nients
�thiques ou les difficult�s scientifiques obligeant �
r�aliser des symbioses viables entre de l’artificiel ou du
biologique. On peut tr�s bien envisager doter les robots de demain
de corps exploitant les propri�t�s de la biologie synth�tique
et leur permettant d’interagir plus facilement avec les humains
et les animaux. Ces interactions pourraient avoir des finalit�s
th�rapeutiques. Plus g�n�ralement, elles poursuivraient
l’objectif de faire appara�tre des robots compagnons beaucoup
plus acceptables par les soci�t�s humaines traditionnelles
et plus efficaces qu’ils ne sont actuellement.
On devra cependant se poser la question des risques pouvant
�ventuellement r�sulter de la mise en circulation dans nos
�cosyst�mes de robots biosynth�tiques pouvant se
reproduire par emballement. Ces risques sont aussi � prendre en
consid�ration concernant les relations entre la robotique et les
nanotechnologies.
Les nanomat�riaux et nano-objets
Les nanosciences et nanotechnologies (NST) peuvent �tre
d�finies comme l'ensemble des �tudes et des proc�d�s
de fabrication et de manipulation de structures, de dispositifs et de
syst�mes mat�riels � l'�chelle du nanom�tre
(milliardi�me de m�tre). Dans ce contexte, les nanosciences
sont l’�tude des ph�nom�nes et de la manipulation
de la mati�re aux �chelles atomique, mol�culaire
et macromol�culaire, o� les propri�t�s physico-chimiques
diff�rent sensiblement de celles qui pr�valent �
une plus grande �chelle. Les nanotechnologies, quant � elles,
concernent la conception, la caract�risation, la production et
l’application de structures, dispositifs et syst�mes par
le contr�le de la forme et de la taille � une �chelle
nanom�trique.
On consid�re tr�s g�n�ralement aujourd’hui
que les nanosciences ouvrent des perspectives consid�rables aux
sciences de l’ing�nieur et � la robotique, en permettant
soit de r�aliser de nanomachines ou nanorobots capables d’op�rer
par exemple � l’int�rieur du corps, soit d’obtenir
des mat�riaux de grande r�sistance (par exemple des nanotubes
de carbone) offrant une grande r�silience pour la r�alisation
des �l�ments physiques des robots. Nous pensons que ces
perspectives sont int�ressantes mais que pour le moment elles rel�vent
encore de la recherche fondamentale. Il est difficile de concevoir des
nanorobots, faits d’une ou plusieurs nanoparticules, si l’on
ne sait pas comment les doter de propri�t�s les rendant
aptes aux op�rations logiques.
La presse confond souvent � cet �gard les
nanomachines avec des machines travaillant � l’�chelle
micro�lectronique, les MEMS. Un MEMS ou microsyst�me �lectrom�canique
comprend un ou plusieurs �l�ments m�caniques, utilisant
l'�lectricit� comme source d'�nergie, en vue de r�aliser
une fonction de capteur et/ou d'actionneur avec au moins une structure
pr�sentant des dimensions microm�triques. Issus de la technologie
de la micro�lectronique, les MEMS font appel pour leur fabrication
� cette derni�re, laquelle permet une production �
grande �chelle. Leurs applications sont d�sormais nombreuses,
notamment en robotique.
Un des avenirs des nanotechnologies en robotique repose
sur la capacit� d’utiliser les nanocomposants non de fa�on
isol�e mais en essaims de millions d’unit�s de base.
Ces essaims pourraient alors se comporter comme des robots macroscopiques,
disposant de corps et d’unit�s logiques leur permettant d’agir
de fa�on coordonn�e. Des applications militaires ou spatiales
(smart dust ou poussi�res intelligentes) sont d�j�
� l’�tude. De tels essaims pourraient en effet survivre
sans les contraintes des organismes biologiques et pr�figurer des
formes de vie et d’intelligence en milieu hostile ou extraterrestre.
On sait que les chercheurs s’int�ressent
par ailleurs aux possibilit�s de l’ing�nierie mol�culaire.
Certaines nanomol�cules pourraient se reproduire spontan�ment,
sur un mode quasi biologique. La science-fiction a exploit� des
sc�narios selon lesquels des nuages de nanomati�re dot�s
de propri�t�s organiques pourraient envahir notre environnement
(grey goo). Dans une perspective plus concr�te, il s’agirait
d’une formule permettant d’obtenir des robots auto-r�plicants
susceptibles de coloniser le syst�me solaire. Le risque d’un
emballement mettant en p�ril la vie sur Terre existera �
terme, comme dans tous les domaines de la science, mais il ne nous para�t
pas justifier les peurs quasi religieuses que suscitent actuellement les
nanotechnologies dans certains milieux, y compris semble-t-il �
la Cour Royale d’Angleterre.
Les � objets � quantiques
Les progr�s des calculateurs quantiques sont lents
mais ind�niables. Il faut les conna�tre car la possession
d’un ordinateur quantique r�volutionnera les perspectives
de l’IA et de la robotique. Le premier pays qui ma�trisera
compl�tement de tels dispositifs se donnera une avance strat�gique
ind�passable sur les autres. Il pourra, en cas de conflit, rendre
inutilisables la plupart des ordinateurs et r�seaux actuellement
en place.
On ne d�crira pas ici un ordinateur quantique.
Disons seulement qu'il utilisera les propri�t�s des bits
quantiques ou qbits. Un qbit est un syst�me quantique mont�
en laboratoire. Il peut s'agir d'un atome ou d'une particule, entour�
d'un champ magn�tique intense et subissant des impulsions radio
de haute fr�quence qui modifient par exemple sa rotation (son spin).
On attribuera la valeur 1 � une rotation dans le sens des aiguilles
d'une montre et la valeur 0 � la rotation en sens inverse, c'est-�-dire
les deux valeurs utilis�es dans le langage binaire des informaticiens.
Compte tenu de la difficult� que l'on rencontre pour manipuler
de tels atomes, le nombre maximum des qbits qui ont pu �tre mis
en œuvre dans les prototypes les plus r�cents d'ordinateur
quantique ne d�passe pas 7 - ce qui para�t risible au regard
des dizaines de millions d'unit� composant le processeur d'un simple
micro-ordinateur.
Mais la particule isol�e peut, comme l'enseigne
la m�canique quantique, se trouver dans deux �tats �
la fois. C'est ce que l'on appelle l'�tat de superposition coh�rente.
Si on veut s'en servir comme unit� de repr�sentation de
l'information (bit) elle peut donc pr�senter simultan�ment
l'�tat 1 et l'�tat 0. L'ordinateur quantique calcule ainsi
en manipulant des bits pouvant prendre soit la valeur 1, soit la valeur
0, soit la superposition 1 et 0. Avec deux bits, un ordinateur classique
peut repr�senter un des 4 nombres traduits en binaire par 00, 11,
01 ou 10. L'ordinateur quantique, lui, peut repr�senter simultan�ment
ces 4 nombres. Trois qbits, de m�me, pourront repr�senter
simultan�ment 8 nombres, au lieu de 1 nombre � la fois.
La suite en proportion, chaque nouveau qbit ajout� aux autres doublant
la quantit� de nombres repr�sent�s par la s�quence�:
quatre qbits repr�sentent 16 nombres, cinq qbits 32 nombres…
dix qbits 1.024 nombres/ N qbits peuvent m�moriser 2 puissance
N nombres. Il en r�sulte que si on utilise trois qbits comme donn�e
d'entr�e en vue d'un calcul (diviser par 2 ou extraire la racine
carr�e), comme ils repr�sentent 8 nombres, ils feront 8
calculs � la fois chaque fois que l'on changera l'�tat d'un
des bits. L'ordinateur quantique est donc d'abord un calculateur massivement
parall�le. Avec 13 atomes (ce qui n'est pas envisageable pour le
moment), il atteindrait la puissance de calcul en parall�le de
l'ordinateur Blue Mountain d’IBM.
Un ordinateur quantique peut utiliser n'importe quelle
particule susceptible d'avoir deux �tats en superposition. Des
ordinateurs quantiques peuvent �tre construits � partir d'atomes
qui sont � la fois excit�s et non excit�s au m�me
moment. Ils peuvent �tre construits � partir de photons de
lumi�re qui sont � deux endroits au m�me moment. Ils
peuvent �tre construits � partir de protons et de neutrons
ayant un spin soit positif soit n�gatif ou les deux en m�me
temps. Une mol�cule peut contenir plusieurs millions de protons
et de neutrons. Elle peut donc, th�oriquement, �tre utilis�e
comme ordinateur quantique dot� de plusieurs millions de qbits.
Les capacit�s potentielles de calcul correspondraient, avec un
ordinateur classique, � des dur�es de plusieurs fois l'�ge
de l'univers. On imagine ainsi le gain de temps calcul et d'utilisation
m�moire � laquelle peut conduire cette nouvelle technologie.
Mais elle promet aussi beaucoup plus : les vrais progr�s viendront
aussi de nouveaux algorithmes qui vont permettre de r�soudre des
probl�mes jusqu'alors inaccessibles pour l'informatique classique.
Il y a donc un int�r�t strat�gique
majeur � ma�triser cette puissance, sachant que les nombres
et les calculs sont aujourd'hui � la source de toute connaissance
et de toute action sur le monde. De nombreux laboratoires se sont donc
mis en piste. Mais une �norme difficult� a jusqu'ici arr�t�
les chercheurs : la difficult� de maintenir en �tat de superposition
un ensemble de plus de 1 particule. La localisation ou l'impulsion d'une
particule quantique en �tat de superposition ne peuvent �tre
d�finies que par une probabilit� statistique d�coulant
elle-m�me de la fonction d'onde de la particule. Pour conna�tre
exactement ces valeurs, il faut faire interf�rer la particule avec
un instrument, comportant par d�finition une grande quantit�
d'atomes. Mais alors, la fonction d'onde s'effondre et l'observateur n'obtient
qu'une seule des deux valeurs, l'autre �tant d�finitivement
perdue, en application du principe d'ind�termination. C'est ce
que l'on appelle aussi le ph�nom�ne de la d�coh�rence.
Pour qu'un ou plusieurs qbits conservent leur caract�re
quantique, et puissent donc travailler en �tat de superposition,
il faut les isoler de toute mati�re ou �nergie avec lesquels
ils interf�reraient - ce qui paraissait impossible ou tr�s
difficile d�s que le nombre de qbits d�passait deux ou trois.
Aujourd'hui cependant, en utilisant diverses techniques, un certain nombre
de laboratoires ont annonc� (comme un grand succ�s c�l�br�
unanimement par la communaut� des physiciens) avoir maintenu �
l'�tat quantique de courtes s�quences de bits (4 �
7) et pour des dur�es de temps suffisantes � la r�alisation
de quelques op�rations.
L'avenir de l'ordinateur quantique repose donc sur les
technologies qui seront utilis�es pour g�n�rer et
maintenir en �tat de superposition coh�rente des cha�nes
de bits de plus en plus longues. La d�marche consiste �
r�aliser d'abord une porte logique quantique (ou syst�me
microscopique), g�n�ralement de 2 qbits, capable de pratiquer
une op�ration quantique �l�mentaire dans une longueur
de temps donn�e. Les physiciens ont depuis longtemps r�ussi
� maintenir en �tat de superposition un atome ou un photon
isol�. Mais si on veut cr�er des circuits avec ces portes,
en les ajoutant les unes aux autres, les risques de d�coh�rence
augmentent rapidement, du fait de l'interaction avec les atomes de l'environnement.
L'information utile se trouve donc dissip�e. Il faut donc r�aliser
des syst�mes microscopiques o� les qbits interagissent avec
eux-m�mes et non avec ceux de l'environnement. C'est l� l'enjeu
essentiel de la course � l'ordinateur quantique, engag�e
depuis une dizaine d'ann�es dans les principaux pays du monde.
Diff�rents substrats et diff�rentes m�thodes de d�tection
(par exemple la r�sonance magn�tique nucl�aire) sont
actuellement exp�riment�s.
M�me si l'�tat actuel de la technique ne
permet pas de l'envisager � br�ve �ch�ance,
nous devons conclure cette rubrique en �voquant la perspective
d'un robot dont le cerveau serait constitu� d'un ordinateur quantique.
Comme indiqu� plus haut, peu d'organismes vivants ou mat�riels
seraient alors capables d'entrer en comp�tition avec lui dans le
domaine des facult�s logiques, voire de la cr�ation affective.
Faudrait-il alors parler d'un robot parfait, comme on parle de la temp�te
parfaite (Perfect storm)?
1.* Voir sur ces sujets Serge Boisse,
L’Esprit, l’IA et la Singularit�, �ditions en
ligne Lulu.com, 2007
* Voir aussi Jacques Pitrat, Artificial Beings. The Conscience of a Conscious
Machine ISTE 2009
Retour
2. Daphne Koller
http://robotics.stanford.edu/~koller/research.html
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3. Cf. le Singularity Institute for
Artificiel Intelligence http://www.singinst.org/
Retour
4.Voir pour plus de d�tails http://www.alaincardon.net/
Retour
5. On lira dans la Revue Philosophique
de la France et de l’Etranger, N� 3 juillet-septembre 2008,
Simulation et connaissance, un article de deux roboticiens fran�ais,
Fr�d�ric Kaplan et Pierre-Yves Oudeyer, sur ce sujet : Le
corps comme variable exp�rimentale, p. 287
Retour6. Voir les perspectives
offertes par les deux robots � scientifiques � ou �
inventeurs � Adam et Eve, http://www.automatesintelligents.com/labo/2009/avr/adam.html
Retour
7.
http://www.ecagents.org/
Retour
8. En France, le tout nouveau
P�le de productivit� dit Cap Robotique pourrait soutenir
de telles initiatives ; encore faudrait-il que des innovateurs audacieux
se fassent conna�tre. Voir http://www.automatesintelligents.com/edito/2009/mai/edito.html
Retour
9. David Levy, Love+Sex with Robots,
Harper 2007
Retour
10. Denis Berthier, M�ditations
sur le r�el et le virtuel, Collection Impact des nouvelles
technologies, L'Harmattan 2004
Retour
11. Rien de plus lassant que les personnages
et les situations du jeu � succ�s Wow, World of Warcraft
Retour
12. Sheref S. Mansy & Jack W. Szostak,
Thermostability of model protocell membranes, PNAS, 3 septembre 2008
(voir l'abstract)
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