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Compl�ments du livre
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Les psychologues et linguistes �volutionnaires consid�rent g�n�ralement que c’est en d�veloppant des �changes symboliques cod�s, sous forme de langages ou proto-langages, que les individus ont progressivement acquis la conscience de soi. Le ph�nom�ne s’est d�velopp� sous des formes vari�es au sein de tr�s nombreuses esp�ces animales pour qui la vie en petits groupes constituait la forme habituelle d’occupation des territoires. Mais il n’a pris de forme syst�matique que chez les hominiens, pour des raisons dont la cause premi�re est encore objet de discussions entre pal�o-anthropologues. On admet cependant que l’aptitude du langage parl� (au-del� des gestes et mimiques porteurs de significations cod�es) � favoriser la coh�sion et la survie adaptatives des hominiens a �t� telle qu’elle a entra�n� un accroissement consid�rable de la masse c�r�brale et des aires d�di�es au traitement de l’information symbolique. Dans la suite du langage se sont tr�s vraisemblablement install�s les premiers �changes en miroir permettant aux individus de s’identifier comme semblables � leurs vis-�-vis, c’est-�-dire dot�s d’autonomie et de l’aptitude � se repr�senter eux-m�mes � eux-m�mes. Les bases neurologiques de cette premi�re proto-conscience de soi sont encore en discussion. On pense que les neurones-miroirs (Sur les neurones-miroirs, voir chapitre 3) consid�r�s il y a quelques ann�es comme ouvrant des perspectives tr�s importantes dans la compr�hension des m�canismes de la conscience, jouent effectivement un r�le majeur. Mais ils ne sont certainement pas les seuls. Pour ce qui nous concerne, pr�sentant les hypoth�ses mat�rialistes relatives � l’apparition de la conscience chez l’homme et de toutes les formes culturelles associ�es � celle-ci, il est en tous cas int�ressant pour nous de mieux conna�tre le r�le du langage. Malheureusement peu de traces demeurent aujourd’hui des conditions dans lesquelles se sont d�velopp�es les cultures langagi�res humaines, bien plus complexes que ne le sont celles associ�es aux langages animaux. On ne voit pas nettement, notamment, les modifications anatomiques ou comportementales pr�cises en ayant r�sult�. C’est pourquoi il convient d’attacher une grande importance aux travaux contemporains concernant l’apparition du langage chez les robots. Ces travaux, malheureusement encore trop rares et mal connus, soul�vent il est vrai un grand scepticisme. Comment des machines, aussi perfectionn�es soient-elles, peuvent-elles acqu�rir des rudiments de langage et par cons�quent sans doute des �l�ments de conscience de soi, qui en feraient v�ritablement nos semblables ? On s’imagine g�n�ralement que si elles le font, c’est parce qu’elles sont programm�es par leurs concepteurs � cette fin, comme le sont d’innombrables dispositifs technologiques capables d’identifier des sons et de synth�tiser des r�ponses vocales. Mais il ne s’agit absolument pas de cela, comme nous allons le voir. Les robots participant � de telles exp�riences acqui�rent progressivement, en d�tournant (exaptant) des modes d’entr�e-sortie qui n’�taient pas pr�vus pour cela, la capacit� de communiquer et de se doter de formes culturelles exploitant ces possibilit�s de communication. Certes, les robots utilis�s pour ces �changes sont tr�s bien dot�s en programmes internes implant�s par leurs concepteurs. Le chien Aibo de Sony, nous l’avons dit, utilis� dans certaines de ces exp�riences, est, comme ses homologues provenant d’autres laboratoires, une machine tr�s complexe, aux nombreux sous-programmes. Cependant les chercheurs de Sony participant au programme ECAgents ont d�pouill� le chien Aibo (qui n’est d’ailleurs plus commercialis�, nous l’avons dit) de tous ses programmes commerciaux. Il constitue cependant encore une plateforme robotique d’une grande richesse, aux nombreuses � boites � susceptibles d’interagir. De ce fait, mis dans une situation nouvelle, il est capable de comportements par essais et erreurs lui donnant des possibilit�s d’adaptation innovantes importantes. Mais encore une fois, r�p�tons que dans de tels cas, le comportement adaptatif nouveau qui est observ� - quand il appara�t un comportement nouveau, ce qui n’est pas toujours le cas - n’est pas programm� a priori par les responsables de l’exp�rimentation. Il est seulement constat�e et si possible expliqu� a posteriori. Sur le plan informatique, il faut pr�ciser que l’architecture hardware de ces robots fait un large appel aux r�seaux neuronaux, de m�me que la programmation utilis�e recourt � la s�lection de type g�n�tique des instructions les plus efficaces. Il s’agit de deux modes plus ou moins inspir�s de la nature, qui ouvrent aux robots des possibilit�s d’�volution non n�gligeables - bien qu’encore limit�es par le manque de ressources informatiques g�n�rales. On notera que la machine consciente propos�e par Alain Cardon (section pr�c�dente) ne fait pas appel aux r�seaux neuronaux ni � la programmation g�n�tique, mais aux agents logiciels. Il s’agit d’un syst�me massivement multi-agents, dont les capacit�s d’apprentissage et d’interaction sont bien plus importantes. Mais c’est une solution � luxueuse � et encore mal ma�tris�e, que la plupart des laboratoires robotiques ne souhaitent pas utiliser � ce jour.
Le laboratoire Sony-CSL de Paris, sous la direction de Luc Steels, a �t� pionnier dans l’exp�rimentation des modalit�s d’acquisition du langage chez les robots. Ce laboratoire, bien que d�pendant d'une entreprise industrielle, est d�di� � la recherche fondamentale. Et les objectifs ont �t� d�s le d�but d'une grande port�e �pist�mologique. Il s'agissait de comprendre comment est apparue et s'organise la communication humaine, non pas par des �tudes sur l'origine des langages dans les soci�t�s animales et pr�-humaines, mais en construisant des robots qui interagiront ensemble et avec l'homme. Ces robots servent de mod�les pour la compr�hension des m�canismes qui ont �t� et demeurent � l'œuvre dans l'apparition et l'apprentissage du langage dans les soci�t�s humaines. On n'affirmera pas que ces mod�les repr�sentent exactement ce qui a pu se passer aux origines de la communication langagi�re, mais on obtiendra de fortes pr�somptions d�bouchant sur des hypoth�ses susceptibles d'�tre reprises et test�es par les chercheurs en sciences humaines et les �pist�mologues. Les robots modernes sont � la fois suffisamment proches et suffisamment diff�rents des hommes pour que ces hypoth�ses puissent �tre fortement suggestives et constructives. Les travaux men�s chez Sony-CSL Paris ne sont pas les seuls � explorer le th�me de l'�mergence du langage dans des populations de robots interagissant en communaut�s. Ils participent d'un bouquet de recherches associant plusieurs laboratoires europ�ens et un japonais, au sein du projet ECAgents, financ� par le programme europ�en Technologies futures et �mergentes (IST-1940) (1). L'objectif en est de d�velopper une nouvelle g�n�ration d'agents incorpor�s (embodied, c'est-�-dire dot�s de corps robotiques) qui puissent interagir sans intervention humaine avec le monde physique et communiquer spontan�ment, soit entre eux, soit avec des humains. Le site du projet indique que les recherches feront appel dans un premier temps aux fonctionnalit�s permises par les technologies existantes (t�l�phone mobile, WI-FI, robots) avant de proposer de nouvelles fonctionnalit�s et de nouvelles solutions technologiques. Sur le plan m�thodologique, on visera aussi le d�veloppement de nouveaux concepts, outils, mod�les, algorithmes, m�thodes d'�valuation s'appliquant � des populations �voluant gr�ce � l'interaction et � la communication. Le projet cherchera � faire appara�tre les propri�t�s de base des diff�rents syst�mes d'�change, depuis ceux des animaux jusqu'aux langages humains complexes utilisant les m�dias technologiques. Il s'agira de mettre en �vidence la nature des syst�mes actuels de communication et de proposer des hypoth�ses selon lesquelles concevoir de nouvelles technologies bas�es sur des syst�mes artificiels incorpor�s, c'est-�-dire des robots. Il n’est pas besoin de longs discours pour d�montrer � la fois l'ambition et l'int�r�t consid�rable de telles recherches. Malheureusement, la communication s'�tablit encore mal entre les travaux de la robotique moderne et ceux des autres sciences, qu'il s'agisse des sciences du vivant ou des sciences sociales et humaines. Il en r�sulte que les avanc�es de tout ce qui concerne la vie artificielle et l'intelligence artificielle �volutionnaires restent peu connues des autres disciplines. Au sein m�me de l'intelligence artificielle, du fait de l'excessif cloisonnement des communaut�s d�di�es en France � l'intelligence artificielle �classique�, la linguistique �volutionnaire, pour reprendre le terme propos�, n'a pas encore trouv� selon nous la place qu'elle m�riterait. Il nous para�t donc important d'y faire r�f�rence ici. Nous sommes l� en effet au centre d’un probl�me important: montrer comment la robotique et l'intelligence artificielle peuvent non seulement simuler des processus analogues � ceux ayant permis l'apparition de la vie et des soci�t�s intelligentes, mais envisager les directions selon lesquelles les syst�mes biologiques et sociaux intelligents (dont l’homme) pourraient co-�voluer avec des entit�s artificielles interagissant avec eux.
Mais si l'on veut aborder cette ambitieuse � vision � avec le recul n�cessaire, il nous semble indispensable de remonter au plus haut de l'apparition de la communication dans les syst�mes vivants. C'est semble-t-il dans l'arch�ologie de la communication biologique que l'on pourra identifier des m�canismes g�n�riques susceptibles de s'appliquer, sous des formes diff�rentes, � toutes les �chelles du vivant. On fera sans doute alors une constatation int�ressante, � savoir que ces m�canismes g�n�riques paraissent sinon les m�mes, du moins tr�s proches de ceux qui permettent l'�mergence de la communication langagi�re au sein des groupes d'automates. Les imaginatifs iront encore plus loin. Ils feront l'hypoth�se que ces m�mes m�canismes se retrouvent � la source de toutes les formes d'�volution construisant des repr�sentations symboliques de notre univers. Il n'est pas question ici d'aborder tous ces th�mes � la fois. Bornons-nous, avant de revenir aux travaux de Sony-CSL et aux recherches men�es dans le projet ECAgents, d'�voquer ce que nous apprennent les travaux r�cents relatifs � l'�mergence de l'association chez les organismes monocellulaires. Pourquoi les organismes vivants ont-ils d�velopp�s au cours de leur �volution des langages de plus en plus organis�s ? Compte tenu des d�penses en temps et en �nergie que l'�mergence de ces langages leur imposait, il a bien fallu qu'ils y trouvent avantage. La r�ponse classique est que le langage permet d'am�liorer la coop�ration entre les individus au sein d'un groupe, coop�ration rendant ce groupe plus efficace dans sa comp�tition darwinienne avec les autres. L'efficacit� du groupe s'�tendant � celle de l'esp�ce, les langages sont devenus des attributs essentiels de la comp�tition entre des esp�ces appel�es � affronter des milieux changeants et pauvres en ressources. Soit. Mais en ce cas, avant le langage, le facteur qu'il convient d'�tudier en premier lieu est la coop�ration... Vient alors la question de savoir comment et pourquoi la coop�ration s'est install�e ? Remarquons que le terme de coop�ration peut d�signer nombre de choses... Sans remonter � l'apparition des premi�res associations de prot�ines auto-r�plicantes, nous pouvons consid�rer que les formes les plus visibles de coop�ration sont apparues quand les bact�ries unicellulaires se sont associ�es pour former des organismes multicellulaires. Un article d'Emily Singers r�sume les recherches
actuelles des biologistes �volutionnaires sur les origines des
organismes multicellulaires (NewScientist, 4 d�cembre 2004, p.
46. Life force). Par rapport aux recherches traditionnelles sur le terrain,
elles montrent comment l'�tude des processus de l'�volution
peut �tre aujourd'hui consid�rablement am�lior�e
gr�ce aux techniques qui permettent d'obliger diverses esp�ces
de bact�ries � s'adapter in vitro � des changements
de milieu ou de type de comp�tition artificiellement provoqu�s
par les chercheurs. Ceux-ci en d�duisent comment les souches de
bact�ries �voluent face � ces changements. Les bases
m�mes de l'algorithme darwinien � mutation-s�lection-ampliation
� ne sont pas modifi�es, mais ces exp�riences montrent
les nombreuses fa�ons selon lesquelles elles se conjuguent en fonction
des circonstances, si bien qu'il est impossible de pr�dire les
chances �volutives d'une souche mutante particuli�re, qu'elle
soit actuellement dominante ou, au contraire, apparemment menac�e
de disparition. Ces recherches sont �videmment particuli�rement
utiles pour l'�tude de la r�sistance des bact�ries
aux antibiotiques. L'article d'Emily Singer est tr�s explicite sur ce sujet de la coop�ration entre bact�ries. Elle cite les propos du biologiste Paul Rainey de l'Oxford Centre for Environmental Biotechnology - voir : http://www.eng.ox.ac.uk/oceb/biog.html - . �Il est co�teux de coop�rer, donc il doit y avoir un b�n�fice � se mettre en groupe�. Mais quel est ce b�n�fice ? Les exp�riences en laboratoire montrent que les bact�ries ob�issent � une tendance tr�s forte � la coop�ration, comme si celle-ci repr�sentait une valeur qui leur �tait impos�e de l'ext�rieur. Il n'est pas question de dire qu'ainsi se manifeste le doigt de Dieu en faveur de l'altruisme dans la nature. Les exp�riences montrent en revanche que d�s que des bact�ries sont soumises � des conditions nouvelles n�cessitant une adaptation, elles font diff�rentes tentatives, faisant appel � des solutions parfois �loign�es, pour s'associer afin de trouver la meilleure formule de survie collective. Elles ne cr�ent pas encore � ce stade d'organismes multicellulaires, cependant elles sont en bonne voie pour le faire. Elles proc�dent alors par essais et erreurs, sur le mode darwinien de la mutation. Tout se passe comme si elles avaient acquis un g�ne de l'association qui les pr�disposerait � s'associer... g�ne que l'on retrouverait dans les organismes plus complexes. Mais parler d'un g�ne de l'association rel�verait d'un darwinisme na�f. Si les bact�ries, comme tous autres organismes plus complexes, sont pouss�es � s'associer, c'est sans doute pour des raisons plus simples. Elles r�agiraient par exemple � des signaux physiques d�coulant de leur proximit� g�ographique. Si deux organismes semblables sont suffisamment proches pour que les substances qu'ils �mettent dans le milieu puissent �ventuellement s'additionner, il peut s'�tablir une association de fait. Si l'association permet aux associ�s d'acc�der � des sources de nutriments inaccessibles autrement, elle se perp�tue, y compris sur le mode g�n�tique. Dans l'article cit�, Paul Rainey mentionne le cas de la bact�rie Pseudomonas fluorescens dont les individus se lient par un mucus pour former des radeaux. Gr�ce � cette formule, elles peuvent flotter � la surface d'un liquide nutritif et profiter des ressources en oxyg�ne offertes par l'air, ressources hors de port�e des bact�ries restant immerg�es dans le liquide. Le radeau pourrait �tre consid�r� comme le prototype d'un organisme multicellulaire dont les composantes pourraient ensuite se sp�cialiser dans des fonctions diff�rentes. Les premi�res Pseudomonas ayant �invent� ce dispositif ne l'ont pas fait intentionnellement. Elles disposaient d�j� de la facult� de secr�ter du mucus et cette facult� a �t� exploit�e par la pr�sence d'un nombre suffisant de bact�ries dans un m�me lieu. La fabrication du radeau peut alors �tre consid�r�e comme une fonction exapt�e (pour reprendre le terme de Stephen Jay Gould) � partir d'une fonction ant�rieure toute diff�rente, secr�ter du mucus. Certaines exp�riences, cit�es �galement par l'article, montrent que si l'exp�rimentateur emp�chait une souche de bact�ries de faire appel � telle propri�t� lui ayant permis de cr�er une association, d'autres propri�t�s jusque l� inutilis�es pour l'association pourraient donner naissance � une coop�ration reposant sur d'autres facteurs. On observera par ailleurs qu'� l'int�rieur des contraintes de s�lection impos�es par l'environnement, ce sont les modes d'association les moins exigeants en ressources qui sont s�lectionn�es les premiers. On retrouve l� une des grandes r�gles de la morphogen�se : la priorit� donn� aux processus les moins gourmands en �nergie (Cf. Chapitre 2). En r�sum�, que conclure de ce qui pr�c�de
? L'association entre organismes jusque l� ind�pendants
ob�it � la r�gle g�n�rale du hasard
et de la n�cessit�. Elle ne se produit que si d'une part
certaines propri�t�s de ces organismes, jusque l�
li�es � des fonctions vitales n'ayant rien � voir
avec l'association, leur permettent dans telles circonstances particuli�res
de se lier entre eux et si, d'autre part, cette liaison ou coop�ration
se r�v�le favorable � la survie des organismes associ�s.
On obtient alors des populations d'agents agissant en groupe (le radeau
de bact�ries flottant � la surface d'un liquide, par exemple)
ou de v�ritables symbioses aboutissant � cr�er de
nouveaux organismes (monocellulaires donnant naissance � des pluricellulaires).
Dans l'un comme dans l'autre cas, les propri�t�s exapt�es
ayant permis de fonder une association durable se trouvent renforc�es
et structur�es par l'�volution. On pourra les qualifier
de moyens de communication sp�cifiques (par exemple des �missions-r�ceptions
de m�diateurs chimiques) ou de langages plus polyvalents, selon
leur complexit�.
Si l'on change brutalement de niveau dans l'�chelle des complexit�s et si l'on s'int�resse au langage, on peut consid�rer que le m�me besoin g�n�rique de s'associer et de faire pour cela appel en premier lieu aux processus les moins gourmands en �nergie, s'est traduit par la s�lection de certaines propri�t�s jusque l� non utilis�es pour communiquer de fa�on symbolique. Ces propri�t�s ont �t� exapt�es au cours de processus d'essais et erreurs plus ou moins longs (�videmment involontaires, c'est-�-dire sur le mode du hasard et de la n�cessit�). Apportant des b�n�fices comp�titifs, ces exaptations ont donn� naissance � des �changes de messages symboliques, proto-langages puis langages, au sein des soci�t�s animales et humaines. Ceci s'est produit tout autant au plan des m�canismes physiques (type de gestes ou de sons) qu'en ce qui concerne la s�lection des contenus s�mantiques ou de signification des �changes. Mais pour tester ces hypoth�ses, il n'est plus possible de g�n�rer une �volution artificielle au sein de tubes � essais ou de bo�tes de P�tri. Les processus �volutifs ayant donn� naissance aux langages symboliques se sont en effet d�roul�s sur des millions d'ann�es. Sauf dans de tr�s rares cas, tel celui cit� par Fr�d�ric Kaplan dans un livre remarqu� (Kaplan, F. La naissance d'une langue chez les robots, Herm�s Science 2001, op.cit) (un groupe de sourds-muets ayant red�couvert un proto langage naturel) on ne peut pas encore exp�rimenter au sein d'esp�ces vivantes complexes les hypoth�ses relatives � cette science nouvelle que l'on appelle la linguistique �volutionnaire. Heureusement, les populations de robots offrent d�sormais la possibilit� d'�tudier un grand nombre d'hypoth�ses relatives aux conditions d'�mergence de la coop�ration entre individus, y compris dans ce domaine tr�s sophistiqu� qu'est la coop�ration langagi�re. Des agents logiciels et mieux encore des robots incorpor�s (dot�s de corps robotis�s et de syst�mes d'intelligence artificielle) peuvent �tre mis en pr�sence les uns les autres dans des conditions tr�s vari�es. Si on les soumet � des contraintes les obligeant � �voluer pour survivre, on s'aper�oit qu'ils d�couvrent l'int�r�t de la coop�ration et donc de la communication. Certaines des propri�t�s de leurs organes d'entr�e-sortie robotiques, jusqu'ici non d�di�es � la communication, peuvent trouver de nouveaux emplois en g�n�rant des �changes. Si ces �changes sont profitables, ces propri�t�s se transforment progressivement en moyens de communication de plus en plus sp�cifiques et efficaces. Comme on pouvait s'y attendre, ce sont les moyens les plus �conomes en �nergie qui sont progressivement s�lectionn�s. Ceci explique pourquoi les langages entre robots retrouvent certaines des caract�ristiques des langages dans la nature, aussi bien en ce qui concerne les appareils utilis�s que les contenus �chang�s. Le langage est co�teux. On ne parle pas pour ne rien dire ou, plus exactement, si dans certains cas on parle pour ne rien dire, c'est parce qu'� terme ceci se r�v�le plus profitable que, pr�cis�ment, ne rien dire. Donnons un exemple simple du processus d'exaptation �voqu� ci-dessus. Supposons un robot dot� d'un senseur � ultrasons lui permettant d'�viter les obstacles. Si plusieurs robots dot�s de tels senseurs se trouvent r�unis et doivent pour des raisons vitales se regrouper (par exemple lutter contre un pr�dateur), il pourra arriver (pas n�cessairement) que ces senseurs leurs servent � s'identifier les uns les autres et se regrouper. Le syst�me � ultrasons sera devenu un langage primitif. On dira que les robots, aussi perfectionn�s soient-ils,
n'ont pas encore atteint la complexit� d'un animal ni m�me
d'une bact�rie, et que les exp�riences susceptibles d'�tre
conduites avec eux incorporent beaucoup de connaissances humaines pr�alables.
On ne se trouve donc pas � l'origine des processus d'�mergence
du langage dans le monde biologique. Mais l'objection n'est que partiellement
valable si l'on consid�re que, pour reprendre le terme employ�
plus haut, la coop�ration, qu'elle prenne ou non le biais du langage,
ob�it � des contraintes g�n�riques extr�mement
simples, se retrouvant sans grands changements � tous les niveaux
de complexit� des organismes physiques, biologiques ou artificiels
constituant notre univers. Depuis 1998/99 jusqu'� aujourd'hui, le laboratoire a conduit une s�rie d'exp�rimentations qui, conjugu�es, permettent de construire une th�orie g�n�rale de l'apparition du langage aux r�sultats impressionnants. Le domaine de recherche fait partie, comme nous l'avons dit, de ce que l'on commence � nommer la linguistique �volutionnaire. On y �tudie la fa�on selon laquelle des agents artificiels en interaction peuvent se doter de langages poss�dant certaines des propri�t�s des langues naturelles et comment les significations ainsi �chang�es peuvent �voluer afin de s'adapter aux besoins et aux possibilit�s des agents. Citons les principaux domaines �tudi�s : - Le Naming Game ou jeu de l'attribution d'un nom. L'exp�rience a utilis� des agents logiciels repr�sentant des communaut�s d'utilisateurs dot�s de langage afin d'explorer la fa�on dont des lexiques partag�s apparaissent dans une population. Les agents interagissent d'une fa�on organis�e. Ces interactions conduisent � l'apparition d'un r�pertoire commun de mots permettant de d�signer des objets. - Les T�tes-Parlantes 1999. Cette exp�rience a donn� lieu au livre de Fr�d�ric Kaplan pr�cit�. Il s'est agi de la premi�re d�monstration faisant appel � de v�ritables robots. Elle a montr�, comme la pr�c�dente, comment un lexique et un syst�me de concepts partag�s pouvaient s'organiser dans une soci�t� de robots au cours de leurs � �changes culturels �. Ainsi le langage peut �tre consid�r� comme un syst�me adaptatif complexe comprenant des structures globales r�sultant d'interactions sociales locales. Les robots ont d�velopp� leur vocabulaire en observant une sc�ne � travers des cam�ras num�riques et en communiquant sur ce qu'ils ont vu. L'exp�rience a �t� compl�t�e par l'intervention d'observateurs humains qui pouvaient cr�er des agents logiciels et les faire interagir avec les robots. Elle visait � proposer des r�ponses � trois questions d'une grande port�e philosophique : comment les concepts acqui�rent-ils leurs significations ? Une intelligence artificielle est-elle possible ? Comment les machines interagissent-elles avec les humains ? La recherche a �t� reprise dans le projet Talking Aibo, d�finissant un cadre dans lequel un humain peut enseigner � un robot, en l'esp�ce le chien Aibo, comment nommer les objets de son environnement. - Ma�do et Gurby 2001. Cette nouvelle exp�rience cherchait � montrer, non pas comment �mergeaient les contenus conceptuels des langages, mais comment une population pouvait en interagissant se mettre d'accord sur un syst�me de sons partag�s, c'est-�-dire sur des v�hicules communs permettant l'�change langagier. Dans cette exp�rience ont aussi �t� d�velopp�es des technologies de synth�se vocale �motionnelle et de reconnaissance des �motions dans la voix humaine. - Aujourd'hui, les recherches de Sony CSL se d�veloppent dans plusieurs directions. Un des enjeux est de montrer que les dynamiques collectives peuvent �tre �tendues pour rendre compte de l'�mergence de formes grammaticales. Pour cela un nouveau cadre formel a �t� d�velopp�, appel� les � grammaires constructionnelles fluides �. L'autre direction consiste � �tudier les pr�-requis n�cessaires � l'�mergence de la communication. Il s'agit de montrer comment des m�canismes programm�s dans les exp�riences pr�c�dentes (T�tes Parlantes, Ma�do et Gurby) peuvent �tre d�velopp�es de fa�on autonome par les robots. Ainsi de l'"attention partag�e". Un autre exemple porte sur les � origines auto-organis�es des syst�mes de vocalisations �. Le m�canisme essentiel de la � curiosit� � est �tudi� dans une exp�rience dite du � tapis d'�veil �, Playground experiment(2) dans lequel un robot muni d'un syst�me de curiosit� d�veloppe des activit�s de plus en plus complexes sur un tapis d'�veil de b�b�.
Le projet se d�veloppe sur plusieurs ann�es � partir de 2003/2004. Il rassemble des partenaires ayant l'exp�rience des syst�mes �num�r�s ci-dessus. La France y est repr�sent�e par le laboratoire de Sony, mais malheureusement pas par un laboratoire universitaire. Les fondations scientifiques du projet s'inspirent des m�thodes et des techniques d�coulant des recherches sur les syst�mes complexes. Un syst�me �volutionnaire de communication sera consid�r� comme un syst�me complexe adaptatif, dont l'�tude s'appuiera sur les th�ories de l'�volution, de l'information, des jeux, des r�seaux, des syst�mes dynamiques. Il existe encore aujourd'hui de grandes lacunes entre les recherches sur les syst�mes complexes et les technologies de l'information, mais le projet vise � combler ces lacunes, ce qui repr�sentera un objectif d'une tr�s grande importance, susceptibles de nombreuses applications, en robotique auto-�volutionnaire, pour le web s�mantique ou pour les technologies de communication sans fil. Plus sp�cifiquement, le projet vise � : - D�velopper de nouvelles g�n�rations de robots capables d'�voluer de fa�on autonome, de s'organiser et d'op�rer de fa�on efficace dans un environnement dynamique, - D�finir les conditions permettant � une population de robots de d�velopper un langage commun de communication et de partager des connaissances, - Identifier de nouvelles m�thodes et nouveaux algorithmes permettant d'obtenir ces propri�t�s �mergentes. Les choix m�thodologiques du projet sont les suivantes: - Constituer des populations d'agents: il s'agit d'agents qui en interagissant acqui�rent de nouvelles capacit�s qu'aucun agent ne pourrait manifester seul. - Les agents sont dot�s de corps et sont physiquement situ�s. Ce sont donc des agents physiques interagissant entre eux et avec un environnement physique, d'une fa�on non symbolique, mais directe. - Le syst�me de communication des agents n'est pas d�fini � l'avance. Il �merge spontan�ment des interactions des agents entre eux et avec leur environnement physique. Il s'y adapte en permanence. - L'ensemble s'auto-organise et �volue en fonction des changements des populations d'agents, des m�dias de communication qu'ils utilisent, de leur environnement et de leurs sujets d'int�r�ts. - La strat�gie de recherche ne consiste pas � �tudier, comme on le fait traditionnellement, les modes de communication d'agents existant d�j� dans la nature, mais � construire des populations d'agents artificiels � partir desquelles on conduira des exp�riences et on formulera des hypoth�ses. - Au-del�, on �tudiera les propri�t�s plus g�n�rales et plus abstraites de la communication au sein de grandes collections d'agents interagissant, par exemple le r�le de la topologie des r�seaux d'interaction et de communication, les propri�t�s abstraites des syst�mes de communication (contenu en information des termes utilis�s, syst�mes combinatoires contre syst�mes non combinatoires, syst�mes grammaticaux contre syst�mes non grammaticaux, etc.), le r�le de l'interaction dynamique (th�orie des jeux). - A partir de ces recherches, le projet sugg�rera de nouveaux syst�mes technologiques capables d'interagir entre eux et avec l'environnement en utilisant les m�thodes �tudi�es (robots, appareils portables, calcul r�parti, etc.).
On trouve sur le site du projet plusieurs documents du plus haut int�r�t pr�cisant les m�thodes retenues par les diverses �quipes de chercheurs associ�es dans le projet, ainsi que les objectifs restant � atteindre. On consultera notamment (� la date de juillet 2006), les rapports suivants : Livre Blanc version 1 : Probl�mes � r�soudre et grands d�fis (anglais) 224 pages http://ecagents.istc.cnr.it/imgs/whitepaper.pdf Livre Bleu : une feuille de route pour la recherche (anglais)
43 pages Nous nous bornerons ici � r�sumer le contenu
du Livre Blanc, � regret car le Livre Bleu est tout aussi, voire
davantage, int�ressant concernant l’avenir de la robotique
autonome. Les �quipes signataires du Livre Blanc proc�dent en plusieurs �tapes : 1. d�finir les conditions de la communications entre animaux et robots animalo�des dits animats. On sait qu’une voie d’exp�rimentation tr�s fructueuse consiste � immerger des robots dans des soci�t�s animales, y compris dans des soci�t�s d’insectes, en dotant ces robots de moyens d’interface avec ces animaux qui soient reconnus par eux (par exemple des ph�romones dans une exp�rience conduite par Jean-Louis Deneubourg dans le programme europ�en Leurre (3)). On peut ainsi infl�chir le comportement d’un groupe, mais aussi, plus surprenant, conduire le mini-robot � se comporter lui-m�me comme un des membres de ce groupe. Ainsi devient-il possible d’�lucider certains des moyens et certaines des fonctions de la vie sociale de l’esp�ce �tudi�e. 2. D�finir les conditions de la communication de type humain (human-like communication) afin d’induire les robots � les impl�menter dans leurs propres �changes. La difficult� est infiniment plus grande, du fait de la complexit� des langages humains et de leurs modes d’utilisation. Pour cela, on d�finira les qualit�s propres au langage humain par rapport � celles des langages animaux, quelles que soient les esp�ces consid�r�es. On observera ensuite si des robots mis en situation d’�change comp�titif d�veloppent ou non ces qualit�s, et � quelles conditions. Le principal responsable de ces �tudes, Domenico Parisi, (Conseil National de la Recherche, Rome) propose ainsi d’identifier 8 caract�res principaux caract�risant le langage humain. Le langage humain dispose de syntaxes permettant d’articuler entre eux des signes plus �l�mentaires, il est culturellement transmis et augment�, il sert � communiquer avec soi-m�me (langage int�rieur) et pas seulement avec les autres, il est capable de transmettre des informations sophistiqu�es sur le milieu ext�rieur, il peut utiliser des signaux non physiquement li�s � l’�metteur (displaced signals) , il transmet des intentions, il est le produit d’un syst�me nerveux complexe et finalement, il influence massivement la cognition. Si l’on veut que des robots se dotent de tels langages, il faut les mettre dans des situations constituant des pr�-requis qu’ils doivent apprendre � ma�triser. On peut en identifier deux : l’ � attention partag�e � qui s’obtient chez les humains par diff�rents m�canismes tels que le geste de d�signation d’un objet ; et le partage d’un moyen physique de communication suffisamment complexe pour s’adapter � des besoins d’�changes tr�s diff�rents. Sur ce point, les technologies modernes permettent aux robots de communiquer par des moyens bien sup�rieurs � ceux dont disposaient les premiers hominiens. 3. Organiser une suite d’�tapes permettant aux robots d’accro�tre progressivement les capacit�s de leurs syst�mes linguistiques d’�change, en franchissant des seuils significatifs : par exemple cr�ation d’une syntaxe, d’une m�ta-grammaire…Luc Steels, directeur de recherche chez Sony-CSL, qui a coordonn� les contributions sur ce point, propose six �tapes au travers desquelles le robot devrait se retrouver dot� d’une v�ritable langue de type humain ou, en tous cas, capable d’�changes avec les langues humaines. Au-del� de ces premiers objectifs, le projet vise � r�pondre � deux autres enjeux majeurs. Le premier est d’ordre neurobiologique. Il s’agira de transformer les mod�les computationnels du langage chez les robots en mod�les neuraux susceptibles d’�tre utilis�s pour comprendre l’acquisition et l’emploi du langage chez l’homme - ce qui est loin d’�tre encore clairement per�u aujourd’hui. Le second enjeu est d’ordre th�orique. Il int�resse l’�tude des syst�mes complexes, en utilisant les acquis des exp�rimentations pr�c�demment �num�r�es : comment par exemple un syst�me macroscopique ressent les modes d’�volution des unit�s microscopiques dont il est constitu�, comment les populations d’agents �voluent en fonction de tel ou tel changement global. Le projet propose enfin diverses applications pratiques, d’int�r�t industriel, soci�tal ou commercial, int�ressant les diff�rents syst�mes et mat�riels susceptibles d’incorporer les agents communicants �tudi�s pr�c�demment sur un plan th�orique. 1 : Nous ne pouvons que renvoyer le lecteur au site web du projet : http://www.ecagents.org/index.php?tmvb=0|&tmva=21 On y trouvera notamment la liste des laboratoires associ�s et de leurs principaux travaux, qui font autorit� dans le domaine de la robotique autonome. 2 : Par le terme de "quorum sensing", on d�signe la propri�t� qu'ont certaines bact�ries pathog�nes de rester dormantes dans l'organisme envahi, tant que leur nombre n'est pas suffisant pour leur permettre de passer victorieusement � l'attaque. Elles �mettent une substance dont la concentration, fonction du nombre des bact�ries pr�sentes dans l'organisme, leur indique le moment favorable pour d�clencher l'infection. 3 : Jean-Louis Deneubourg est
le tr�s r�put� directeur du service d’�cologie
sociale de l’Universit� Libre de Bruxelles, et sp�cialiste
de la communication chez les insectes sociaux. |
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