� 
      Dans un futur proche : 
      Il est d�finitivement interdit de fumer et d’aborder 
        les femmes, de boire du vrai caf� et de lire des livres qui ne 
        correspondent pas aux crit�res �tablis par les d�fenseurs 
        de la d�mocratie, d�mocratie vigilante d’un monde 
        parfait o� l’agence Together loue aux femmes de luxueux gigolos. 
        Apr�s un exil en Italie, Luc en est devenu un employ� mod�le. 
         
        D’o� vient alors qu’il ne se satisfait ni de sa condition 
        ni d’une �poque qui lui assure une exemplaire r�ussite 
        et lui promet le bonheur ? Sans doute parce qu’il a compris fort 
        jeune comment tout cela allait finir.  
         
        Troie n’est plus dans Troie mais c’est Paris qui br�le. 
        Quant � Achille, il sourit.  
         
        Dans un futur proche ?  
       
      �
      Extraits : 
       
        � 
        Le soir de l’explosion, le ciel de Tchernobyl 
          devait �tre absolument magnifique ; irradiant mon visage, un halo 
          de lumi�re bleu-jaune se frayait un chemin � travers les 
          interstices des volets. J’avais allum� une cigarette en 
          sachant pertinemment qu’elle me le reprocherait. Ne plus penser, 
          ne plus penser qu’� l’objectif, � la mission, 
          au contrat. Facile, �vident, conforme, ce que l’on attendait 
          de moi. C’�tait l� tout ce que l’on attendait 
          de moi. Alors, achever, litt�ralement, les discussions convenues, 
          les niaises embard�es pseudos litt�raires ou philosophiques 
          ; �tre cette obligation : assouvir ses pauvres d�sirs de 
          fille couch�e sur un lit vierge de pr�sence masculine 
          depuis trop longtemps. Revenir, apr�s un d�tour �reintant, 
          � la simple et pure consommation. Parce que nous en �tions 
          arriv�s l�, dans cette pi�ce, une chambre semblable 
          � mille autres, avec une table en bois, un lit en bois, un corps 
          en simili femme. Elle m’avait regard� avec ses grands yeux 
          clairs. Un instant, j’avais cru que je pourrais encore tout arr�ter. 
          Elle �tait devenue tr�s directive, puisant en elle une 
          insoup�onnable autorit�, singeant l’exasp�ration 
          comme elle mimait quotidiennement la joie. � Bon, tu viens maintenant 
          ! � J’�tais venu apr�s avoir, toujours selon 
          ses ordres, mis de la musique. Elle adorait le jazz, elle trouvait cela 
          apaisant. Tout le monde trouvait le jazz apaisant. Quand un seul adjectif 
          suffit � d�finir un art, celui-ci ne peut �tre que 
          vulgaire. Pire, un lieu commun. La professeur de philosophie �tait 
          d�j� nue, � quatre pattes, seins pendouillant, 
          mordillant ses l�vres comme le faisaient ces fausses catins filiformes 
          ornant les couvertures et les meilleures pages des magazines masculins 
          et f�minins. Elle poussait de petits soupirs, murmurait des propos 
          obsc�nes. Je m’�tais d�shabill� machinalement, 
          m’�tais avanc� vers elle et lui avais demand� 
          de me dire ses envies. Alors, elle s’�tait retourn�e 
          sur le dos, avait �cart� les jambes et, avec l’air 
          grave d’une militante l�niniste d’autrefois, avait 
          prononc� ces mots : � Vu combien tu me co�tes, tu 
          peux bien me l�cher la chatte ! � 
        .../... 
        J'avais longuement regard� ma m�re. " 
          �a y est ", m'avait-elle dit. Les rues �taient aussi 
          d�sertes que ne l'�tait aujourd'hui le port. Une infirmi�re 
          �tait venue nous chercher pour nous conduire jusque dans la pi�ce 
          o� mon p�re, maigre comme un rescap� d'Auschwitz, 
          �touffait, un tuyau enfonc� dans le nez, une couverture 
          bleu ciel rabattue au-dessous du trou qui avait remplac� son 
          ventre. L'h�pital �tait vide � l'exception d'un 
          maigre escadron d'infirmi�res qui venaient assister au spectacle 
          interrompant leur pause repas. Elles parlaient � voix basse, 
          comme si la modulation des voix devait s'accorder avec la mort. Etait-ce 
          du respect ? Qu'est-ce que cela pouvait bien changer ? Le r�sultat 
          est le m�me. Deux ans plus tard, j'avais travers� les m�mes 
          couloirs. Apr�s l'enterrement, je m'�tais senti soulag�. 
          C'�tait certainement horrible et d'ailleurs des membres de la 
          famille m'avaient reproch� de ne pas avoir montrer plus de chagrin. 
          " Mais enfin, tu ne pleures pas ? ", m'avait lanc� 
          un oncle. On est libre, totalement libre que lorsque 
          nos parents sont morts. Alors, les seules personnes qui avaient le droit 
          de nous juger ne sont plus.  
        .../... 
        Nous avons longuement discut�. Le drapeau n’�tait 
          pas accroch� au mur, enfin, je ne sais plus, je n’ai pas 
          fait attention, j’�tais ivre, j’avais bu avant de 
          la rejoindre. Nous sommes all�s dans sa chambre, je l’ai 
          caress�e, lui ai dit des choses tendres, qui co�tent beaucoup 
          plus qu’on ne le croit, quand on aime les mots. J’aurais 
          m�me pu lui dire � Je t’aime �. �a n’aurait 
          pas �t� tout � fait faux. Lui parler de sa voix, 
          de ses mains, de sa peau, de ses hanches, de la longue m�che 
          brune qui couvrait en partie son œil droit, de la fa�on 
          qu’elle avait de se cabrer quand elle s’allongeait. Lui 
          dire que je sentais en elle beaucoup d’honn�tet� 
          et de pudeur. Nous nous �tions couch�s ensemble, l’un 
          contre l’autre. Ce soir, j’�tais de retour apr�s 
          une journ�e inutile, une de plus. � l’instar des 
          prisonniers dans leur cellule, je raye les jours sur les calendriers. 
          Un de moins. Ce soir, je dis n’importe quoi, je d��ois. 
          C’est une constante. Je pourrais encore lui dire que je regrette, 
          �noncer la liste de mes remords, pr�tendre que je suis 
          patriote. � Siamo passati �. Moi aussi, je suis pass� 
          et sors rapidement de sa vie. Ils poussent tous un soupir de soulagement. 
       
      .../... 
       
        Andrea m’assomme depuis des semaines avec son 
          histoire de fresque qu’il a command�e � un artiste 
          romain tr�s connu. Et la voici, enfin. La peinture n’honore 
          pas un th�me pourtant merveilleux, celui du h�ros de la 
          guerre de Troie et son fid�le compagnon. Sous les murs de Troie, 
          c’est l� o� j’ai l’impression d’�tre. 
          Torse nu, portant nonchalamment, voire m�me lascivement, une sorte 
          de pagne et un casque, Achille a plus l’air d’un participant 
          � la gay pride qu’� un guerrier l�gendaire. 
          Surtout, le Patrocle gisant � ses pieds, le regard obnubil� 
          par le pagne de son protecteur ne laisse planer aucun doute sur la nature 
          des rapports entre les deux personnages et � l’action que 
          s’appr�te � ex�cuter l’agenouill�. 
          Il est dommage qu’un David ou un Ingres n’ait pas pens� 
          � cette sc�ne : Patrocle su�ant Achille. Voil� 
          qui aurait remu� les guind�s visiteurs du Salon.  
        .../... 
        � quelques encablures de la maison que j’occupais, 
          dans la baie de Saint-Malo, une minuscule �le baptis�e 
          C�zembre avait eu le malheur d’�tre le premier coin 
          d’Europe arros� au napalm. C’�tait en ao�t 
          1944, la garnison allemande refusait de mettre bas les armes. T�tus, 
          ces Allemands, tr�s � j’y suis, j’y reste �. 
          Alors les B-17 avaient largu� cette merveille sur les taupes 
          perdues de la Wehrmacht, perdues parce que leur r�sistance n’avait 
          aucun sens ni utilit�, la ville de Saint-Malo �tant d�j� 
          entre les mains des Am�ricains. �a les avait calm�s, 
          le napalm. Une moiti� de carbonis�s, une autre d’estropi�s 
          ; ils avaient finalement hiss� le drapeau blanc. Je me rappelais 
          d’un reportage consacr� � Hiroshima. Images � 
          l’appui, le commentateur expliquait comment l’ombre des 
          corps des victimes s’�tait imprim�e sur les murs 
          alentours alors m�me que les corps, eux, avaient disparu, s’�taient 
          litt�ralement volatilis�s, r�duits instantan�ment 
          en poussi�re. C’�tait encore plus fort que Pomp�i 
          : il ne restait de certains habitants d’Hiroshima que des n�gatifs. 
        |